L’État, l’Assurance maladie, la profession : tous ciblés - Clinic n° 10 du 01/11/2010
 

Clinic n° 10 du 01/11/2010

 

COUR DES COMPTES

ACTUALITÉ

Le rapport de la Cour des comptes n’épargne ni l’État qui n’a pas su mettre en place une politique globale de soins dentaires, ni l’Assurance maladie dans sa gestion de la politique conventionnelle, ni la profession qui pratique des « dépassements ». Le résultat, c’est une situation du secteur dentaire qui n’est « pas satisfaisante ». Les syndicats dentaires ont réagi (cf. l’événement).

« Une politique globale des soins dentaires fait défaut. Aucune stratégie explicite n’articule l’ensemble des problématiques (accès aux soins, financement, démographie, prévention, recherche, formation, stratégie thérapeutique, hiérarchisation des actes)… Cette situation tient en partie à la faiblesse des moyens de la puissance publique dans ce domaine, qu’il s’agisse de la structuration de l’offre de soins, de sa capacité d’expertise ou simplement de sa connaissance du secteur », jugent les magistrats de la Cour des comptes à l’issue du chapitre 13 (30 pages) de leur rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale qui est consacré cette année aux soins dentaires. Avant d’ajouter que des outils utiles à cette mission ont soit disparu – c’est le cas de la commission permanente d’odontologie du ministère de la Santé – soit n’ont pas joué le rôle attendu – c’est le cas de la commission paritaire nationale instituée par la convention de 2006.

Pour planter le décor, le rapport met en parallèle dans sa présentation la part des dépenses dentaires dans la consommation des soins et biens médicaux et la part des remboursements : 5,7 % et 2,5 %. L’écart « croissant » entre ces deux taux « s’explique principalement par l’importance des dépassements de tarifs qui concernent aujourd’hui près de la moitié des honoraires remboursables ». Et pour la Cour des comptes, « l’ampleur de ces dépassements explique que les problèmes dentaires représentent à eux seuls plus de la moitié des cas de renoncement à des soins pour des raisons financières ». Les soins dentaires représentaient 63 % des cas de renoncement à des soins pour des raisons financières en 2006 (46 % en 2000). Aussi, l’accès aux soins est « insuffisant », particulièrement pour les personnes disposant de faibles revenus mais trop élevés pour pouvoir bénéficier de la CMUC. La Cour des comptes s’interroge sur l’opportunité d’étendre le bénéfice du panier de soins à tarifs opposables (aujourd’hui proposé aux patients profitant de la CMUC) aux assurés bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS), avec ou sans prise en charge à 100 %.

Offre de soins

En matière de démographie, la politique s’avère « inadaptée aux défis ». Pour prévenir les difficultés « aujourd’hui prévisibles de répartition de l’offre », la Cour des comptes recommande de s’inspirer des dispositifs mis en place dans d’autres professions (masseurs­kinésithérapeutes et infirmières). Elle reprend aussi des idées développées en 2003* : la rémunération des étudiants contre l’engagement d’exercer 10 ans dans une zone rurale ou urbaine difficile, et la mise en circulation de plateaux techniques mobiles. Elle suggère aussi des mesures plus coercitives comme le numerus clausus d’installation justifié par la gratuité de la formation. En Allemagne, expliquent les magistrats, un système de conventionnement sélectif limite l’installation des praticiens dans les régions à forte densité.

La CNAMTS, qui souhaite faire de la répartition des professionnels un enjeu important des négociations conventionnelles, est invitée à réfléchir à la possibilité de créer une filière de soins à l’hôpital, au déploiement de ses centres de santé dans les zones difficiles, et à l’élargissement du champ d’activité des assistantes dentaires à des actes « simples » (le détartrage) et au suivi bucco-dentaire dans les institutions.

Contrôles des pratiques

Les contrôles de la qualité et de la sécurité des soins s’avèrent « insuffisants ». Le contrôle exercé par l’Ordre au titre de l’obligation de qualité et de sécurité des soins paraît « limité », tandis que celui effectué à la demande de la DDASS ou de la DRASS (des missions maintenant confiées à l’ARS) dans les cabinets de ville, généralement à la suite d’une plainte, est « exceptionnel ». C’est généralement un chirurgien-dentiste conseil de l’Assurance maladie qui assiste les directions dans ces contrôles.

La Cour des comptes profite de ce passage pour s’interroger sur le rôle que pourraient jouer les chirurgiens-dentistes conseils. La CNAMTS les juge en sureffectif depuis la suppression de l’entente préalable. Leur recrutement est arrêté depuis 2005. Leur rôle ne concerne plus que le contrôle, la demande d’entente préalable à des traitements ODF, des contrôles « d’une pertinence contestable ». Alors que dans le même temps, « les règles applicables aux soins dentaires se caractérisent par leur complexité voire leur ambiguïté, qu’on manque d’études sur les besoins et les pratiques dans ce domaine et que les contrôles sanitaires paraissent peu développés ».

Une politique tarifaire « inefficace et obsolète »

Pour les magistrats, la politique tarifaire du secteur dentaire est « inefficace et obsolète ». D’abord parce qu’elle repose sur « une connaissance imparfaite des données économiques ». Les dépenses dentaires et les revenus des chirurgiens-dentistes sont « sous-estimés » car depuis 2004, les actes hors nomenclature n’apparaissent plus dans la base de données du SNIR. Ainsi en 2007, les revenus libéraux des chirurgiens-dentistes, nets de charges professionnelles, ont été estimés à 81 400 euros en moyenne par la DREES, à comparer au résultat fiscal moyen (de la direction générale des finances) des chirurgiens-dentistes de 90 255 euros. La Cour des comptes en conclut que les actes hors nomenclature expliquent « une grande part de l’écart significatif entre ces deux revenus ».

Autre raison, la nomenclature jugée « obsolète » depuis bien longtemps « offre de multiples possibilités d’optimisation » explorées par les sociétés de conseil en gestion de cabinet, et de « contournement du caractère opposable de certains tarifs ». Malgré tout, la CCAM tarde à cause de « difficultés et des incertitudes financières importantes ». Pour la Cour des comptes, la réforme exige au préalable une refonte des taux de remboursement en fonction du service médical rendu et l’intégration d’actes aujourd’hui non-remboursables alors que ce sont « souvent des solutions à envisager en première intention ».

La Cour des comptes se lance ensuite dans une critique de la dernière convention dentaire jugée « peu contraignante ». La revalorisation des soins conservateurs n’a pas eu de résultats tangibles sur le recours à ces soins. De plus, il n’y a pas eu de « contrepartie réelle en matière de modération des prix des soins prothétiques ». Au passage, la Cour des comptes estime que le développement des importations de prothèses induit un phénomène de « rente » pour les chirurgiens-dentistes estimé à 160 millions d’euros. Pour les magistrats de la Cour des comptes, la question est maintenant de savoir s’il convient d’encadrer le tarif des prothèses en contrepartie de la revalorisation de certains soins conservateurs, ou d’encourager le développement de réseaux promus par les complémentaires qui pratiquent cet encadrement.

* Mission odontologique confiée par le ministre de la Santé en avril 2003 à trois chirurgiens-dentistes MM D.Bois, J.Massonaud et J.Melet.

Les 8 recommandations de la Cour des comptes

– Prévenir les difficultés, aujourd’hui prévisibles, de répartition de l’offre en s’inspirant des dispositifs mis en place pour d’autres professions de santé.

– Élargir le rôle des assistant(e)s dentaires et optimiser l’usage des cabinets dentaires des caisses d’Assurance maladie.

– Mettre en place un examen de prévention avec les moyens adaptés dans les établissements scolaires.

– Inclure dans le SNIR la totalité des actes hors nomenclature.

– Mettre en place un dispositif apportant des informations fiables sur le nombre de prothèses importées et posées ainsi que sur la répartition des marges et de la valeur ajoutée au sein de cette filière.

– Simplifier la réglementation en matière de cotisations d’Assurance maladie des chirurgiens-dentistes en élargissant leur assiette au titre du régime des PAMC à l’ensemble de leurs revenus libéraux.

– À terme, mettre en œuvre la CCAM après une évaluation précise de son impact financier, en veillant à la neutralité financière de cette mesure.

– Modifier le code de la mutualité pour rendre possible la différenciation des remboursements par les organismes complémentaires selon que les professionnels consultés font partie ou non des réseaux qu’ils promeuvent.