« Apprendre à composer avec “la peur du dentiste” » - Clinic n° 05 du 01/05/2016
 

Clinic n° 05 du 01/05/2016

 

L’entretien

Anne-Chantal de Divonne  

Comprendre la peur du dentiste pour mieux la prendre en charge, tel est l’objectif de Jean-Baptiste Bohl et Philippe Pirnay, avec leur ouvrage sur La peur du dentiste paru aux Éditions CdP. Ces deux chirurgiens-dentistes, membres du Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale du Pr Christian Hervé, présentent un large panel d’aides thérapeutiques utilisées au cabinet. Mais, préviennent-ils, quelle que soit la méthode retenue, c’est la relation de confiance que saura établir le praticien avec son patient qui est fondamentale.

Une enquête récente* montre que la moitié des patients a peur du dentiste, particulièrement les femmes et les jeunes. Cela vous étonne-t-il ?

P. Pirnay : Pas du tout. On retrouve toujours un peu la même proportion de personnes qui ont peur d’aller chez le chirurgien-dentiste. En ce qui concerne les femmes, mon expérience au fauteuil m’incite au contraire à penser qu’elles sont souvent plus courageuses que les hommes ! Entre les déclarations et la réalité, il y a souvent une différence.

J.-B. Bohl : Les femmes sont beaucoup plus expressives dans leur façon de ressentir les choses que les hommes. Dans les questionnaires, les hommes ont peut-être moins de courage que les femmes à reconnaître leur peur. Quant aux personnes âgées, différentes études montrent qu’elles ressentent moins d’anxiété face aux soins dentaires. Peut-être est-ce lié à l’expérience, à une certaine désacralisation.

Pourquoi écrire un livre sur ce sujet ?

P. Pirnay : Parce que la peur de nos patients est une réalité de notre exercice. Le chirurgien-dentiste y est confronté toute la journée. Nous entendons tous : « Docteur, est-ce que cela va faire mal ? Qu’est-ce que je vais ressentir ? Je vous en prie, ne me faites pas mal. Est-ce que j’aurai mal en sortant ? » On sent bien que cette peur est aussi à l’origine de rendez-vous manqués, du retard de certains patients, de l’arrivée d’autres transis ou en sueur ! Il est difficile de prendre en charge ces patients. En tout cas certains d’entre eux. Nous avons écrit ce livre pour apporter notre expérience et, peut-être, aider à cette prise en charge.

J.-B. Bohl : Ce livre contribue à la réflexion sur une prise en charge du patient dans sa globalité et pas seulement dans la pratique dentaire. À 28 ans, j’ai encore peu d’expérience, mais cette peur ambiante m’a intrigué dès mes études. Et l’aura que peut avoir le chirurgien-dentiste m’a aussi surpris. Les gens ont toujours une réaction particulière lorsqu’on leur dit : « Je suis chirurgien-dentiste. » En fait, ce thème s’est imposé.

Est-ce qu’on s’habitue à cette peur du patient ?

P. Pirnay : Je ne le pense pas. Un praticien qui fait cas de ses patients sait qu’une prise en charge un peu particulière est nécessaire.

J.-B. Bohl : Plus que s’habituer, je pense qu’il faut apprendre à composer avec et à considérer ces patients dans le désarroi. On est dans une prise en charge totalement personnalisée.

Vous écrivez que l’histoire des soins dentaires a toujours été associée à la peur. N’avez-vous rien trouvé de positif ?

P. Pirnay : Ce n’était pas l’objet de ce livre, mais nous pourrions écrire un autre ouvrage sur le bonheur d’être « dentiste ». J’ai la plus haute opinion du métier que j’exerce. Le chirurgien-dentiste a souvent été présenté dans l’histoire comme un arracheur de dents, un menteur… Il est inscrit dans la mémoire collective comme quelqu’un qui coûte cher, qui fait mal et qui fait peur. C’est ce que nous avons voulu comprendre. En même temps, le chirurgien-dentiste a totalement conscience de cette image qui ne reflète plus la réalité. Et le fait que nous écrivions ce livre le prouve, contrairement à ce que pensent certains patients.

J.-B. Bohl : L’acte du chirurgien-dentiste permet d’apaiser des douleurs très intenses de patients venus parce qu’ils n’avaient plus le choix. Son action est donc positive. Et pourtant, chez le chirurgien-dentiste, l’environnement, l’odeur, la blouse blanche, la lumière dans les yeux… sont liés à la douleur au fauteuil. Ces aspects négatifs vont supplanter les aspects positifs. Je souhaite que ce livre incite le praticien à élargir la sphère de ses compétences pour mieux prendre en charge la peur de ses patients afin que l’aspect positif prédomine.

Vous présentez de nombreuses aides thérapeutiques. Quelle est celle qui vous convient le mieux ?

P. Pirnay : Nous ne prenons pas partie. Il n’y a pas une solution miracle pour tous les patients sinon nous lui aurions consacré un livre. Nous avons choisi de présenter la palette des solutions pour rappeler à nos confrères qu’ils peuvent les utiliser. Un aquarium, de la musique et une communication adaptée suffisent parfois pour détendre certains patients. D’autres ont besoin de plus.

J.-B. Bohl : Le praticien pourra choisir les solutions avec lesquelles il se sent le plus à l’aise et éventuellement se former. Mais quelle que soit la méthode, elle n’aura d’effet que si une relation de confiance est installée avec le patient.

P. Pirnay : Tous les praticiens ne sauront pas pratiquer l’hypnose, et tous les patients ne seront pas réceptifs à cette méthode ; de même pour l’acuponcture, l’homéopathie et les autres. Il y a un ingrédient psychologique. Un praticien à l’aise avec une méthode donne confiance à son patient. C’est un élément essentiel. Face à un patient qui a peur, il faut être soi-même dans une situation psychologique totalement calme. Si le praticien lui-même n’est pas détendu, il y aura une tension nerveuse face à un patient qui est souvent agressif parce qu’il a mal et peur.

La formation fait-elle évoluer cette peur ?

P. Pirnay : Toutes les facultés dentaires proposent d’une manière ou d’une autre des enseignements sur la prise en charge de la peur du patient et l’angoisse des soins dentaires. Le jeune chirurgien-dentiste y est donc sensibilisé. Mais cette prise en charge est complexe et l’expérience permet de mieux ressentir les choses et de mieux comprendre la palette à utiliser.

J.-B. Bohl : On parle d’art dentaire. Je pense que savoir prendre en charge tous les patients est aussi un art. C’est important dans la formation et les jeunes chirurgiens-dentistes ont vraiment envie que les patients aient moins peur d’eux. La médicalisation va dans ce sens. J’ai très bon espoir que cette peur diminue dans le futur.

P. Pirnay : Les patients le savent et le disent maintenant : le dentiste ne fait plus mal. La technologie des cabinets et même l’image du chirurgien-dentiste ont changé. Pourquoi un patient sur deux a-t-il encore peur du chirurgien-dentiste ? Ce n’est certainement pas du chirurgien-dentiste dont il a peur, car celui-ci a pris en charge la demande du patient, sa souffrance. Or, le patient n’a pas uniquement peur de la souffrance. Il a peur des instruments, des odeurs, du coût de l’intervention… Aujourd’hui, le chirurgien-dentiste en est conscient, ce qui explique ce livre. Et il va pouvoir prendre en charge tous ces aspects.

* La moitié des Français a peur d’aller chez le dentiste. Et ce sont les femmes et les jeunes de 25 à 34 ans qui se disent les plus angoissés lorsqu’ils se rendent chez le dentiste, montre une étude OpinionWay réalisée en mars pour Doctolib auprès de 1 012 adultes.