Aux origines égyptiennes de la dentisterie - Clinic n° 05 du 01/05/2014
 

Clinic n° 05 du 01/05/2014

 

Passions

ANNE-CHANTAL DE DIVONNE  

Passionnée d’égyptologie et d’histoire de l’art dentaire, Pauline Ledent, étudiante à Bordeaux, a mis en lumière la pratique de la dentisterie dans l’Égypte ancienne. Sa thèse de fin d’études, deux fois primée, vient d’être publiée aux éditions de l’Harmattan.

Pourquoi vous intéressez-vous à l’Égypte ancienne ?

L’histoire m’a toujours passionnée. En 4e année d’études dentaires, j’ai réalisé que mon grand-père, qui était chirurgien-dentiste, avait commencé une thèse comparant la dentisterie dans l’Égypte antique, la Rome antique et la Grèce antique. À l’époque, ce n’était pas obligatoire. J’ai voulu la reprendre mais plutôt que de survoler ces trois civilisations, j’ai centré mes recherches sur l’Égypte.

Comment avez-vous fait vos recherches ?

J’ai travaillé essentiellement sur la base de recherches bibliographiques. Mes visites au musée du Louvre ainsi qu’au British Museum, qui possède de nombreuses momies, m’ont plutôt été utiles pour avoir un contact avec cette période de l’histoire. Le Dr Laurent Dussarps, qui a travaillé sur des momies au musée de l’Homme, m’a fourni des illustrations.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

J’ai été très intéressée par la démarche diagnostique des Égyptiens. Leur manière de penser était très différente de la nôtre, mais elle avait sa logique. Pour eux, une maladie était due à une intervention divine, à un démon ou encore à un sort lancé contre la personne. L’objectif de la thérapie était de chasser le démon. Les instruments étaient là pour faire partir le génie responsable de la douleur. Cette partie magique et rituelle est très intéressante.

On s’aperçoit aussi que les Égyptiens disposaient d’une pharmacopée très importante. Ils utilisaient par exemple le clou de girofle mais pas forcément dans l’objectif de calmer la douleur, du miel et de nombreuses autres plantes dont on connaît les vertus.

Leur niveau chirurgical impressionne beaucoup. Ils avaient découvert des techniques que l’on utilise encore de nos jours.

Quelles techniques par exemple ?

Ils connaissaient la manœuvre de Nellaton, une technique qui permet de remettre en place les mandibules quand elles sont luxées. Les Égyptiens la décrivent très précisément dans les papyrus et c’est exactement ce que nous apprenons aujourd’hui à la fac. En revanche, nous n’avons pas trace d’obturation métallique, par exemple. Et puis, on ne sait pas s’ils effectuaient des extractions ou si les dents tombaient d’elles-mêmes. Il serait logique qu’ils aient fait des extractions mais nous n’en avons aucune preuve.

Qui étaient les personnes qui pratiquaient cette dentisterie ? Comment étaient-elles considérées ?

On a des preuves de l’existence de dentistes. Lors des fouilles archéologiques, on a retrouvé des listes de noms avec la qualification de dentiste. Ils n’étaient pas ce qu’on appelle des dentistes. Ces personnes avaient bénéficié d’une vraie formation médicale dans les universités de l’époque. Étaient-ils des médecins qui se formaient et se spécialisaient ensuite en dentisterie ou étaient-ils directement formés en tant que dentistes, nous n’en savons rien. À la lumière des recherches que j’ai effectuées, la première hypothèse me semble plus logique. À côté des médecins, d’autres personnes étaient formées à la dentisterie. On a la trace de sorciers qui étaient au service d’une déesse et de prêtres médecins au service d’une autre déesse.

Que peut-on observer du travail des dentistes sur les momies ?

On a retrouvé des bridges sur des momies mais on ne sait pas s’ils sont vraiment d’origine égyptienne car ces momies datent de la fin de l’Antiquité, une période pendant laquelle les échanges avec les autres pays se sont beaucoup développés. On ne sait pas non plus quand ces prothèses ont été réalisées. Est-ce avant la mort de l’individu ou est-ce le travail des embaumeurs après la mort pour reconstituer l’intégrité du corps ? Cette reconstitution était une étape importante pour que les corps puissent accéder à l’au-delà. On remarque simplement que certaines prothèses auraient pu être utilisées en bouche.

A-t-on une idée de l’état dentaire des individus de l’époque ?

Ils avaient une très forte usure des dents due la quantité importante de sable charriée par le vent et qu’ils respiraient. En revanche, ils étaient moins touchés par les caries qu’aujourd’hui. Mais plus on avance dans le temps, plus les caries apparaissent avec l’arrivée du sucre tandis que l’usure s’amenuise.

Quels sont vos projets professionnels dans les années à venir ?

À côté de mon activité au cabinet dentaire, je voudrais continuer à travailler dans le domaine de l’anthropologie. Pour mettre le pied à l’étrier, je commence avec un CES de thanatologie. C’est important pour savoir, par exemple, comment examiner une momie, comment caractériser son âge, son sexe, ses habitudes, sa taille… Ensuite, je voudrais continuer à me former à l’anthropologie. Actuellement, j’ai deux collaborations. Plus tard, j’aimerais travailler dans un cabinet de groupe dentaire, plutôt à la campagne et si possible à mi-temps afin de garder du temps pour l’anthropologie.

Diplômée à Bordeaux en 2012, Pauline Ledent a obtenu le prix de thèse ADF-Dentsply « Culture » en 2013 et le prix George-Villain d’histoire de l’art dentaire 2013. Sa thèse a été publiée aux éditions de l’Harmattan : L’art dentaire en Égypte antique, préface de Xavier Riaud, coll. Médecine à travers les siècles, 22 euros, 226 p., février 2014.

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