Les antiagrégants plaquettaires et les antivitamines K : respect des recommandations dans le cadre de la pratique quotidienne ambulatoire - Implant n° 2 du 01/05/2011
 

Implant n° 2 du 01/05/2011

 

RECOMMANDATIONS

Sarah MILLOT*   Jean-Luc CHARRIER**  


*Département d’Anatomie
fonctionnelle, UFR Odontologie,
Université Paris Descartes
Service d’Odontologie, Hôpital
Bretonneau, APHP Paris
sarahmillot@yahoo.fr
**Département d’Anatomie
fonctionnelle, UFR Odontologie,
Université Paris Descartes
Service d’Odontologie, Hôpital
Bretonneau, APHP Paris
jean-luc.charrier@parisdescartes.fr

INTRODUCTION

Les maladies cardio-vasculaires sont dans le monde et en France la première cause de morbidité et de mortalité. L’OMS indique que l’athérosclérose et la thrombose combinées ont été responsables de plus de 55 millions de décès pour la seule année 2000 dans le monde. Le nombre de patients traités par antiagrégant plaquettaire et antivitamine K pour la prévention primaire ou secondaire de ces pathologies est en constante augmentation.

Le...


Résumé

La prévention primaire ou secondaire du risque d’athérosclérose et de thrombose par traitement antiagrégant plaquettaire (APP) et/ou antivitamine K (AVK) est actuellement nécessaire pour un nombre toujours croissant de patients. La Société francophone de médecine buccale et chirurgie buccale, en partenariat avec la Société française de cardiologie, a édité en 2005 et 2006 des recommandations sur la prise en charge des patients bénéficiant de ces traitements [1, 2].

La structure hospitalière reste requise dans le cadre de risque de saignement augmenté :

– patient bénéficiant de traitement bithérapie APP ou d’association AAP et AVK,

– patient sous AVK dont l’INR n’est pas stabilisé à 3 sur les trois derniers tests,

– intervention à risque hémorragique majoré, extractions multiples, régularisation importante de crêtes, dents incluses compliquées, etc.

Les patients sous monothérapie AAP ou sous AVK dont l’INR est stabilisé dans une fenêtre thérapeutique inférieure à 3 (et qui représentent la grande majorité de ces patients) peuvent bénéficier d’interventions de chirurgie ambulatoire dans le cadre de l’omnipratique. La condition est de s’assurer de la capacité de l’équipe soignante à mettre en œuvre des procédures d’hémostase locale. Celles-ci doivent être graduées en fonction de l’évaluation peropératoire des saignements au niveau de la plaie. Il ne s’agit pas d’un acte unique mais d’une succession d’attitudes et de précautions.

Le chirurgien-dentiste « généraliste » doit pouvoir sélectionner des interventions de chirurgie réalisables en dehors d’un contexte hospitalier, mettre en œuvre des procédures d’hémostases locales adaptées et communiquer avec les communautés de patients et de professionnels de santé sur les recommandations de prise en charge.

INTRODUCTION

Les maladies cardio-vasculaires sont dans le monde et en France la première cause de morbidité et de mortalité. L’OMS indique que l’athérosclérose et la thrombose combinées ont été responsables de plus de 55 millions de décès pour la seule année 2000 dans le monde. Le nombre de patients traités par antiagrégant plaquettaire et antivitamine K pour la prévention primaire ou secondaire de ces pathologies est en constante augmentation.

Le chirurgien-dentiste soigne donc de plus en plus de patients dont l’hémostase et/ou la coagulation sont modifiées, ce qui interfère directement avec la réalisation d’actes sanglants. La difficulté d’évaluer les risques potentiels ou réels d’hémorragie buccale de ces patients ainsi que les facteurs associés ont conduit la Société francophone de médecine buccale et chirurgie buccale, en partenariat avec la Société française de cardiologie, à éditer en 2005 et 2006 des recommandations sur cette prise en charge [1, 2].

Nous nous proposons de refaire le point sur ces traitements dans leurs indications, sur les moyens disponibles pour évaluer le risque de saignement et sur l’incidence d’autres facteurs locaux et généraux.

L’objectif de la deuxième partie est de guider le praticien en dehors des structures hospitalières dans ses prises de décision concernant :

• la sélection des interventions de chirurgie pouvant être réalisées en dehors d’un contexte hospitalier ;

• la mise en œuvre des procédures d’hémostases locales adaptées ;

• la communication avec les communautés de patients et de professionnels de santé sur les nouvelles procédures de prise en charge.

LES ANTIAGRÉGANTS PLAQUETTAIRES (AAP)

Généralités

L’athérosclérose associe l’épaississement de la paroi des grosses artères (coronaires, cérébrales, abdominales) et leur obstruction par des plaques d’athérome. Elle peut être asymptomatique ou bien se manifester par un syndrome coronaire (angor, infarctus du myocarde), par un accident vasculaire cérébral, mais aussi par une artériopathie chronique des membres inférieurs. Si tous les mécanismes à l’origine de cette pathologie ne sont pas encore connus, de nombreux éléments sont susceptibles de favoriser son apparition ou son aggravation, notamment les habitudes de vie, des pathologies métaboliques comme le diabète, mais aussi des facteurs génétiques et l’hypertension artérielle.

La thrombose est déclenchée par la rupture de la plaque d’athérome induisant une perte d’intégrité de l’endothélium vasculaire, ce qui favorise l’adhérence puis l’agrégation des plaquettes qui aboutit au thrombus.

Les AAP s’opposent à la formation de thrombus artériels et sont indiqués principalement dans la prévention primaire des infarctus du myocarde (IM) et des accidents vasculaires cérébraux (AVC), mais aussi dans la phase aiguë de l’IM et pour la prévention secondaire des AVC. Les AAP sont enfin utilisés après la pose de stents. Ils peuvent être prescrits seuls ou en association avec les AVK. En France, environ 2,5 millions de personnes sont traitées par AAP dans le cadre de la prévention des thromboses artérielles. Le rôle de cette classe médicamenteuse n’est plus à démontrer et réduit de manière significative les risques thrombotiques. Plusieurs essais cliniques randomisés ont apporté des arguments en faveur de la prescription au long cours des AAP, mais c’est dans la méta-analyse antiplatelet trialist’s collaboration qu’a été démontré l’effet bénéfique de l’aspirine. Cette étude regroupe tous les essais randomisés testant les AAP versus placebo, et il a été mis en évidence un bénéfice significatif des AAP sur les événements vasculaires puisque leur risque relatif est diminué de 25 % sous traitement [3].

Les différents AAP et mode d’action

Les AAP s’opposent à la formation de thrombus artériels par agglutination des plaquettes sanguines. Il existe aujourd’hui deux groupes d’AAP : les antiactivateurs plaquettaires et les antiagrégants plaquettaires hospitaliers. Nous n’évoquerons pas les antiagrégants plaquettaires appelés antagonistes du récepteur plaquettaire aIIbb3 (GPIIbIIa) car leur utilisation est spécifique au milieu hospitalier pour la cardiologie interventionnelle, ces molécules étant administrées uniquement par voie intraveineuse.

Les AAP sont la pierre angulaire du traitement et de la prévention des accidents thromboemboliques. Longtemps limités à l’aspirine, de nouveaux traitements ont fait leur apparition et il convient de connaître ces médicaments.

L’aspirine (Aspégic®, Aspirine protect®, Kardégic®) inhibe la production plaquettaire de thromboxane A2, puissant inducteur de l’agrégation, en inhibant de façon irréversible la cyclooxygénase plaquettaire. La récupération complète de l’agrégation plaquettaire après arrêt de l’aspirine nécessite de 7 à 10 jours (durée de vie des plaquettes). Les doses correspondant à ces utilisations sont comprises entre 75 et 350 mg/jour.

Les thiénopyridines : clopidogrel (Plavix®) et la ticlopidine (Ticlid® ou Ticlopidine®). Ils inhibent, par l’intermédiaire de leurs métabolites actifs, l’agrégation plaquettaire induite par l’ADP en modifiant de façon irréversible l’un des récepteurs plaquettaires de l’ADP.

Le flurbiprofène (Cebutid®) est aussi inhibiteur de la synthèse du thromboxane A2 mais de façon réversible.

L’ozagrel inhibe également le thromboxane A2 mais il est peu prescrit en France.

Enfin, le dipyridamole (Cleridium® ou Persantine®) est encore quelquefois prescrit dans ce cadre malgré un service médical rendu peu évident [9].

Souvent utilisés en monothérapie, ils peuvent être néanmoins associés. En effet, la synergie de leur mécanisme d’action permet une inhibition de l’agrégation toujours plus forte. Ils peuvent aussi être associés à un traitement par AVK mais, dans ces conditions, le risque hémorragique est important et la prise en charge concerne exclusivement le milieu hospitalier.

Évaluation du risque hémorragique et maintien du traitement par AAP

L’évaluation biologique du risque hémorragique avant un acte de chirurgie buccale permet de rassurer le chirurgien-dentiste, mais en réalité les possibilités concernant le suivi des patients sous AVK sont très peu fiables. Le temps de saignement qui est le seul à pouvoir être fait en routine ne doit pas être réalisé pour estimer le risque hémorragique d’un patient sous traitement par AAP : sa sensibilité aux AAP est inconstante et il existe aussi une variabilité de la sensibilité individuelle à l’aspirine [4]. Le test PFA (platelet function analyser) n’est pas prédictif du risque hémorragique. Enfin, la capacité d’agrégation plaquettaire ou la cytométrie en flux sont des techniques lourdes et leur valeur prédictive n’a pas été clairement démontrée. La seule façon d’appréhender le risque hémorragique chez ces patients repose donc d’une part sur l’entretien primordial pour aborder d’éventuelles comorbidités, d’autres facteurs de risque, et d’autre part sur l’analyse des facteurs locaux : inflammation, nombre de dents à extraire. Ces différents facteurs seront abordés dans l’avant-dernière partie de cet article.

En revanche, la conduite à tenir en partenariat avec les médecins généralistes et cardiologues sur le maintien ou l’arrêt du traitement par AAP est beaucoup plus claire depuis 2004. Les recommandations qui émanent du groupe de travail de la Société francophone de médecine buccale et chirurgie buccale démontrent très clairement que l’arrêt d’un traitement par AAP pour des soins dentaires ou une intervention chirurgicale n’est pas justifié puisqu’il augmente clairement le risque thromboembolique pendant 8 à 10 jours [1]. Cette attitude cohérente expose cependant à un risque hémorragique qu’il est nécessaire de prendre en compte et face auquel nous devons donc adapter nos moyens d’hémostase locale (cf. « Protocole de prise en charge d’un patient traité par AAP ou AVK à risque d’hémorragie modéré »).

Plusieurs études rétrospectives ont montré le risque supérieur ­d’arrêt des AAP. Par exemple, l’étude publiée dans Neurology en 2004 [5] montre que parmi les patients inclus dans l’étude pour un AVC, 4 % ont eu cet AVC dans un contexte d’interruption de traitement antithrombotique (arrêt inférieur à 3 semaines) et que plus de la moitié d’entre eux avaient cessé leur traitement pour une chirurgie ambulatoire. Cet AVC est survenu dans les 7 à 10 jours suivant la chirurgie.

L’étude publiée dans Circulation en 2004 [6] conforte cette hypothèse et met en évidence un risque de mortalité doublé chez des patients hospitalisés pour infarctus du myocarde ayant interrompu leur traitement antithrombotique, en les comparant avec des patients non traités ou traités. L’arrêt des antiagrégants a donc confirmé leur valeur prédictive positive de décès et d’accident ischémique majeur.

Malgré le fait que la maladie thromboembolique représente un risque vital plus important que l’hémorragie, nombreux sont les patients qui interrompent encore leur traitement, soit d’eux-mêmes soit sur demande médicale, afin de « prévenir le risque de saignement ». Cette attitude peut mettre le chirurgien-dentiste, conscient du risque thromboembolique encouru par son patient, dans une position délicate.

LES ANTIVITAMINES K

Généralités

Utilisés depuis plus de 40 ans, les AVK sont encore aujourd’hui le traitement anticoagulant de référence pour des indications cardiologiques et thromboemboliques veineuses. Entre 1996 et 2007, le nombre de patients traités a doublé et on estime aujourd’hui en France que près d’un million de personnes suit ces traitements, pour la majorité d’entre eux au long cours. Le traitement par AVK tient toujours une place importante dans la iatrogénie médicamenteuse. En effet, ces AVK sont responsables de 12,3 % des motifs d’hospitalisation pour effets indésirables ; les AVK sont d’ailleurs les médicaments qui entraînent le plus fort taux d’hospitalisation pour effets indésirables [7]. C’est pour ces raisons que de nombreux groupes pluridisciplinaires d’experts travaillent constamment sur des guides d’utilisation destinés aux patients eux-mêmes, mais participent également à la formation des professionnels de santé quant à la prise en charge de ces malades. Plusieurs recommandations émanent de la Haute Autorité de Santé (HAS), de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), mais aussi de la Société francophone de médecine buccale et chirurgie buccale (SFMBCB) pour diminuer les risques et effets indésirables éventuels chez ces malades [2, 8, 9].

La prise en charge en chirurgie buccale des patients sous AVK a considérablement évolué et les soins chez ces malades sont tout à fait gérables en pratique de ville sous certaines conditions. Les « craintes » légitimes du chirurgien-dentiste et les habitudes de nombreux médecins généralistes face au risque hémorragique font que ces patients sont encore majoritairement adressés en milieu hospitalier.

Mode d’action et indications

Les AVK commercialisés en France sous forme orale sont : l’acénocoumarol (Sintron®, et Minisintron®), le fluindione (Préviscan®) et la warfarine (Coumadine®). L’action anticoagulante des AVK est indirecte, liée à la réduction de la synthèse dans le foie de certains facteurs procoagulants vitamine K dépendants (facteurs : II, VII, IX, X).

Les indications de ce traitement sont majoritairement les pathologies cardiaques emboligènes, c’est-à-dire la complication thromboembolique des fibrillations auriculaires, les valvulopathies et les prothèses valvulaires mais aussi des infarctus du myocarde. La deuxième indication de ce traitement est représentée par les maladies thromboemboliques veineuses, notamment pour le traitement des thromboses veineuses profondes et de l’embolie pulmonaire en relais de l’héparinothérapie.

Surveillance du traitement par AVK

Contrairement aux AAP, le degré d’anticoagulation par AVK est apprécié par le temps de Quick, exprimé en INR (international normalized ratio). L’avantage fondamental de l’INR est que ce paramètre est indépendant des réactifs utilisés et donc limite la variabilité entre laboratoires. En dehors de tout traitement, l’INR d’un sujet normal est inférieur ou égal à 1.

Pour la plupart des indications, l’INR « cible » est compris entre 2 et 3, sauf pour les valvulopathies mitrales et les prothèses mécaniques en position mitrale ou aortique (en présence d’un autre facteur de risque embolique) dont l’INR cible peut être supérieur à 4.

Le maniement de ce traitement complexe (risque de sur ou sous-dosage pour les risques de complications hémorragiques ou thrombotiques) est réalisé par les spécialistes en cardiologie, mais il est important de savoir en pratique de chirurgie buccale que l’équilibre est difficile à obtenir et que de nombreux facteurs liés au patient, à ses pathologies, tendent à déséquilibrer ce traitement.

Une étude de l’Afssaps [10] en 2003, effectuée dans plus de 450 laboratoires, montre que plus de 30 % des patients sont en dehors de leur cible thérapeutique.

Conduite à tenir

La conduite à tenir ne concerne dans cet article que les cas des patients traités par AVK au long cours. Sont exclus les patients traités par une association d’AVK et AAP ainsi que les patients souffrant de pathologies cardio-vasculaires non stabilisées qui nécessitent une consultation pluridisciplinaire et une hospita­lisation.

Différentes attitudes thérapeutiques ont été longtemps essayées mais une seule semble sûre et envisageable pour les actes de chirurgie buccale : c’est le maintien du traitement AVK. La prise en charge de patients sous antithrombotiques par le chirurgien-dentiste en pratique de ville est licite sous réserve de :

• contacter préalablement le médecin prescripteur du traitement AVK ;

• évaluer les facteurs favorisant le risque hémorragique (liés au malade, liés à l’acte) ;

• avoir un bilan biologique donnant la valeur de l’INR 24 heures avant l’acte chirurgical. Cette valeur doit être inférieure à 3. Un INR supérieur à 3 pour tout type de chirurgie, ou bien un INR compris entre 2 et 3 pour des actes de chirurgie buccale à haut risque hémorragique, nécessitent une prise en charge hospitalière ;

• réaliser des actes de chirurgie buccale sans risque hémorragique ou à risque hémorragique modéré. Le niveau de risque hémorragique de l’acte est évalué par un examen clinique rigoureux au cours duquel sont considérés : le nombre d’extractions, la nature inflammatoire du site opératoire, la difficulté des extractions. Il est indiqué de limiter les soins à chaque rendez-vous pour diminuer le risque hémorragique ;

• spécificités chirurgicales ou techniques d’hémostase particulières.

Malgré ces recommandations claires et justifiées, encore trop d’extractions dentaires sont réalisées avec une interruption du traitement AVK ou relais héparinique qui pose de nombreux problèmes et nécessite le plus souvent une hospitalisation d’une semaine. La littérature n’est pas assez fournie pour évaluer précisément le taux de complications thromboemboliques et hémorragiques sous héparine mais l’expérience montre qu’elles ne sont pas rares [11].

La réalisation d’actes de chirurgie buccale avec poursuite du traitement permettant une anticoagulation efficace est donc l’attitude la plus justifiée et la plus simple. Mais elle est encore trop peu suivie compte tenu des « craintes » du risque hémorragique. Cependant, une importante étude qui rapporte plus de 2 000 procédures effectuées chez des patients traités par AVK ne révèle que 1,5 % de complications hémorragiques, dont plus de la moitié sont imputables à un surdosage d’AVK [12].

Évaluation des autres facteurs favorisant le risque hémorragique

La décision d’un acte de chirurgie buccale ne peut se faire sans une anamnèse rigoureuse destinée à mettre éventuellement en évidence des facteurs de risque hémorragique supplémentaires.

Il faut prendre en compte le terrain du malade : plus le patient est âgé, plus les risques hémorragiques sont importants (à partir de 65 ans). La proportion de personnes âgées traitées est importante puisque dans l’étude de l’Afssaps de 2003 plus de 25 % des patients sous AVK ont plus de 78 ans [10].

Si les patients sous AVK pour des problèmes valvulaires connaissent le plus souvent leur traitement et les précautions (notamment l’antibioprophylaxie nécessaire avant un acte de chirurgie buccale), de nombreux patients cancéreux sont traités par AVK compte tenu du risque thrombotique encouru. Chez ceux-ci, l’ampleur de la maladie et des traitements afférents peut les conduire à omettre de mentionner un traitement par AVK. C’est pourquoi il est indispensable de poser une question spécifique lors de l’entretien avec le patient.

Une surveillance renforcée de l’INR est fondamentale pour certaines associations médicamenteuses, en particulier les antibiotiques (macrolides fluoroquinolones…) capables d’inhiber ou de potentialiser l’effet des AVK. Les comorbidités sont bien évidemment à prendre en compte (insuffisance rénale…). Enfin, l’équilibre du traitement par AVK est important à connaître : les accidents hémorragiques surviennent plus dans les premiers temps après l’instauration du traitement.

PROTOCOLE DE PRISE EN CHARGE D’UN PATIENT TRAITÉ PAR AAP OU AVK A RISQUE D’HÉMORRAGIE MODÉRÉ

Dans le cadre d’un risque de saignement évalué faible (patient sous monothérapie AAP ou AVK avec INR contrôlé et régulier inférieur à 3), la décision peut être prise d’intervenir dans le cadre du cabinet de chirurgie dentaire de ville, à condition d’être en capacité de mettre en place un protocole d’hémostase locale adapté.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, chez ces patients, il est toujours difficile d’évaluer exactement le risque de saignement lors de l’intervention. Le risque d’hémorragie per ou postopératoire n’est pas lié seulement aux seuls défauts médicalement induits. En effet, il est fréquent d’observer la constitution d’un caillot spontanément chez ces patients. La procédure ne doit pas être systématique et uniforme mais doit être graduée en fonction des observations peropératoires.

À partir des procédures décrites dans les recommandations de la SFMBCB, nous proposons d’adapter le protocole de prise en charge du patient en fonction du risque et de l’acte. En particulier, nous verrons que, dans ce cadre, il est rarement nécessaire de recourir à la fabrication d’une gouttière de compression. Cependant, il est souhaitable de disposer d’une empreinte ou d’un moulage de l’arcade avant l’acte opératoire. S’il devient nécessaire de recourir à la réalisation d’une gouttière, celle-ci sera d’autant plus simple et plus rapide. Notons que si une prothèse adjointe existe, l’anticipation de l’adjonction de la dent ou des dents à extraire permet son utilisation immédiate et concourt à l’hémostase. À chaque étape, le praticien devra réévaluer les risques de saignement prolongé et de saignement différé avant de décider de la mise en œuvre d’une précaution supplémentaire. L’objectif sera toujours d’obtenir la constitution et la stabilisation d’un caillot sanguin. Chaque geste constitutif de l’acte chirurgical doit prendre en considération les difficultés éventuelles d’obtenir une bonne hémostase.

L’anesthésie doit prendre en compte le risque de saignement dans des régions où le drainage d’hématome est compliqué. À ce titre, les anesthésies régionales sont classiquement écartées au profit de techniques locales ou ponctuelles. L’observation et l’entretien clinique peuvent relativiser cette attitude lorsque le risque est faible. L’observation de zones d’hématomes multiples sur les membres et le visage, ou le signalement par le patient de saignements prolongés au cours de petits incidents de la vie courante (rasage, contusion minime, etc.) doivent conforter cette contre-indication. L’effet du vasoconstricteur associé à l’anesthésique améliore les conditions opératoires en limitant les saignements dans les premiers temps de l’intervention, il est donc systématiquement utilisé en dehors des rares contre-indications absolues [13, 14].

Toutes les préparations initiales, locales ou régionales visant à diminuer préalablement l’inflammation améliorent sensiblement les conditions opératoires et limitent significativement les saignements immédiats et différés. En dehors du contexte de l’urgence, il sera donc encore plus important chez ces patients de réduire, dans les jours précédant l’intervention, l’inflammation locale.

Les techniques d’extraction doivent être les plus atraumatiques possibles. Nous recommandons des mesures simples permettant de diminuer les dommages tissulaires et donc le saignement :

• une incision sulculaire franche au bistouri, avant la syndesmotomie proprement dite, permet d’écarter sans les dilacérer les tissus gingivaux lors des étapes suivantes (fig. 1 à 4),

• la syndesmotomie est conduite avec des instruments fins et tranchants et initie la luxation,

• les racines des dents pluriradiculées sont séparées d’emblée même si l’extraction simple est envisageable. La luxation de racine isolée permet de limiter les microfractures osseuses à l’origine de saignements supplémentaires.

Lorsque l’alvéole est correctement curetée et inspectée, une compresse humidifiée est appliquée sur la plaie pendant 10 minutes. Une compresse sèche peut coller au caillot et le désorganiser lors de son retrait. L’eau peut être avantageusement remplacée par de l’eau oxygénée ou une solution d’acide tranexamique (Exacyl®) pour imbiber la compresse.

Si ces simples mesures suffisent à stopper les saignements, la fixité des bords gingivaux est assurée par une simple suture en croix ou en O sur l’alvéole qui constitue toujours une protection du caillot vis-à-vis des ­mouvements liés au jeu musculaire de la langue et lors de la mastication.

En revanche, si le caillot ne se constitue pas correctement, la cavité alvéolaire est remplie d’un matériau résorbable à base de collagène natif de type 1 (Pangen®) et on procède à une nouvelle phase d’observation après compression à l’aide de compresses toujours humidifiées (fig. 3). Ce type de matériau va donner de la consistance au caillot sanguin et peut permettre sa stabilisation. Les sutures précédemment décrites complètent le dispositif d’hémostase.

Si les saignements persistent, un deuxième matériau résorbable est utilisé et comprimé dans l’alvéole en superposition du premier. Il s’agit de cellulose oxydée d’origine végétale sous forme de compresse (Surgicel®). Il est souhaitable de ne pas mettre directement au contact osseux ce type de matériau qui nuit à la cicatrisation osseuse.

Dans l’hypothèse où l’hémostase n’est toujours pas effective, il convient alors d’utiliser des colles tissulaires. Les colles cyanoacrylates (Histoacryl®), normalement à usage dermique et seules utilisables en France en cabinet dentaire (les colles biologiques étant réservées à l’usage hospitalier), peuvent être déposées sur des compresses résorbables de cellulose oxydée (Surgicel®). La réalisation des sutures précède l’étape de collage, puis une ou deux couches de cellulose sont déposées de manière à recouvrir largement la plaie alvéolaire et les sutures. La colle est déposée en gouttes sur toutes les surfaces et sur les collets des dents adjacentes. L’ensemble est recouvert rapidement de vaseline (fig. 4).

Enfin et en dernier recours, si toutes les procédures précédentes n’ont pas abouties, la réalisation d’une gouttière de compression complétera le dispositif. L’information donnée au patient est alors primordiale : en effet, si le matériau est souple et que le patient déstabilise la gouttière en permanence, le résultat est inverse et la gouttière se comporte alors comme une pompe aggravant les saignements.

Dans tous les cas, on peut recommander l’usage de solution d’acide tranexamique (Exacyl®) en bain de bouche toutes les 4 h pendant 12 h en insistant bien sur la nécessité de ne pas avaler le produit.

Il est conseillé de garder le malade au fauteuil ou en salle d’attente 20 minutes pour vérifier la qualité de l’hémostase.

Dans tous les cas de figure, le patient et son entourage doivent être informés et maîtriser quelques éléments essentiels. Le patient doit pouvoir joindre l’équipe soignante dans les heures qui suivent l’intervention. Il est normal d’observer une couleur rosâtre de la salive même pendant 24 h. Le fait de cracher et de se moucher violemment augmente le saignement. On ne peut juger d’un saignement qu’en observant du sang couler directement de la plaie. Appliquées sur le site d’extraction, les compresses ne doivent pas être constamment changées. Il faut les laisser en place au moins 20 minutes en demandant au patient de « mordre », le fait qu’elles s’imbibent de salive est nécessaire pour qu’elles puissent être retirées sans entraîner le caillot naissant.

CONCLUSION

Depuis les publications des recommandations de la SFMBCB et de la Société française de cardiologie, nous savons que les traitements AAP et anticoagulants ne doivent pas être modifiés dans l’objectif de diminuer un risque mineur de saignements postopératoires dans le cadre de la chirurgie buccale. Le praticien en odontostomatologie agissant en dehors de ces recommandations, même s’il n’est pas à l’origine de la modification des traitements de fond, engage sa responsabilité.

Les procédures d’hémostase locale doivent être graduées en fonction de l’évaluation peropératoire des saignements au niveau de la plaie. La non prise en charge par l’Assurance maladie de telles procédures peropératoires, conformes aux données acquises, est un manquement supplémentaire qui mérite d’être signalé aux organismes paritaires.

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Nota bene : tout matériau placé dans une alvéole doit être résorbable pour permettre la cicatrisation complète des tissus. Cependant, il faut bien être conscient que l’utilisation de ces matériaux retarde systématiquement le processus de cicatrisation. La pertinence de leur utilisation doit donc être évaluée en fonction d’un rapport bénéfice (en termes d’hémostase) risque (en termes de retard de cicatrisation) ; le recours systématique au comblement de l’alvéole est une attitude obsolète.