Les notions à retenir sur les alliages de titane de grade 4 (Ti-Cp) et de grade 5 (TA6V4) - Implant n° 3 du 01/09/2018
 

Implant n° 3 du 01/09/2018

 

REVUE DE LITTÉRATURE

M. FONTUGNE / P. TRAMBA / R. BENBELAÏD  

Résumé

En implantologie orale, la référence est le titane de grade 4, ou Ti-Cp, un titane dit « commercialement pur ». Il contient toutefois des impuretés (oxygène, hydrogène, carbone, fer et azote). Le titane de grade 5 (TA6V4) est formé d'un alliage de titane, d'aluminium et de vanadium, permettant de former un réseau cristallin plus complexe, résistant mieux aux contraintes. Les performances mécaniques sont doublées en faveur du TA6V4. Cependant, le réseau cristallin est moins homogène dans le TA6V4, les interfaces impuretés-cristaux sont plus nombreuses. In vitro, l'augmentation de ces interfaces rend le matériau plus sensible à la corrosion par rapport au Ti-Cp. Il est nécessaire d'avoir un traitement thermique adéquat lors de la fabrication de l'implant pour limiter ces interfaces.

Summary

Concepts to remember about titanium alloys grade 4 (Ti-Cp) and grade 5 (TA6V4)

Grade 5 titanium implants (TA6V4) contain more impurities than titanium grade 4 (Ti-Cp) implants. These impurities, vanadium and aluminum, form a more complex crystalline network, with a better resistance to stress. Mechanical performances are doubled in favor of TA6V4. However by increasing the impurities in the TA6V4, the network is less homogeneous. The impurities-crystals interfaces are more numerous. In vitro, studies show that the increase of these interfaces makes the material more sensitive to corrosion compared to Ti-Cp. That's why it is necessary to have adequate heat treatment during the manufacture of the implant to limit these interfaces.

Key words

mechanical property, titanium implant, titanium alloy

L'ASTM (American Society for Testing and Materials) a classé les alliages de titane selon leurs compositions chimiques, leurs propriétés physiques et leurs propriétés mécaniques, en plusieurs grades. Les grades de 1 à 4 sont considérés comme un titane commercialement pur. Les grades 5 à 38 sont des alliages de titane.

Les plus utilisés en orthopédie et en implantologie dentaire sont :

– grade 1 : unalloyed titanium, low oxygen ;

– grade 2 : unalloyed titanium, standard oxygen ;

– grade 3 : unalloyed titanium, medium oxygen ;

– grade 4 : unalloyed titanium, high oxygen ;

– grade 5 : titanium alloy (6 % aluminum, 4 % vanadium) ;

– grade 23 : titanium alloy (6 % aluminum, 4 % vanadium with extra low interstitial elements, ELI).

En implantologie orale, la référence est le titane de grade 4, un titane dit « commercialement pur » selon la classification.

Il s'agit d'un alliage de titane composé de plus de 99 % de particules de titane et de moins de 1 % d'impuretés : oxygène, hydrogène, carbone, fer et azote.

Le titane de grade 5, ou TA6V4, est arrivé sur le marché de l'implantologie orale appuyé par le recul clinique de son utilisation en orthopédie. Cet alliage est constitué de :

– plus de 89 % de titane ;

– 6 % d'aluminium ;

– 4 % de vanadium ;

– et de moins de 1 % d'impuretés : oxygène, hydrogène, carbone, fer et azote.

Aujourd'hui, l'industrie développe le grade 5 comme une alternative au grade 4. Dans ce contexte, et afin d'optimiser le rapport coût-bénéfice-sécurité des thérapeutiques implantaires, nous nous sommes posés la question de savoir si le TA6V4 présente de meilleurs critères biomécaniques que le Ti-Cp.

Structures cristallines du Ti-Cp et du TA6V4 [1, 2]

Les alliages obtenus par solidification après fusion à haute température se présentent comme un assemblage de cristaux d'orientations différentes. Ces cristaux sont aussi appelés grains. La zone de raccordement entre deux cristaux d'orientations différentes s'appelle un joint de cristaux (fig. 1).

La taille des cristaux varie selon la pureté. Plus le métal sera pur, plus les cristaux seront longs. Or, les propriétés mécaniques sont supérieures en présence de cristaux plus petits. En effet, lorsque la désorientation des cristaux est forte, on obtient une structure complexe où des atomes étrangers s'insèrent entre les cristaux, au niveau des joints de cristaux.

Le Ti-Cp et le TA6V4 comportent autant d'impuretés (oxygène, hydrogène, carbone, fer et azote). Pour le TA6V4, l'aluminium et le vanadium participent au renforcement mécanique de la structure cristalline. Ils vont pouvoir s'opposer aux déplacements et aux glissements des cristaux entre eux. Cependant, ces zones de joints de cristaux sont plus sensibles à la corrosion à cause des interfaces cristaux-impuretés.

Le TA6V4 devrait répondre sur le plan physique à des propriétés mécaniques supérieures.

Propriétés chimiques et physiques du Ti-Cp et du TA6V4 [3, 4]

Les quatre premiers grades de titane représentent les titanes dit « commercialement pur » (Cp), c'est-à-dire sans adjonction d'atomes de substitution. Ils ne sont pas vraiment purs car ils contiennent des impuretés d'insertion : l'oxygène, l'azote, le fer, le carbone et l'hydrogène.

Dans les quatre premiers grades, plus le grade est important, plus il y a une concentration d'impuretés élevée afin de renforcer les propriétés mécaniques de l'alliage. Comme on l'a vu précédemment, les impuretés permettent de résister aux glissements des cristaux entre eux. Néanmoins, les concentrations en impuretés ne dépassent jamais 1 % du poids total de l'alliage.

Pour le TA6V4, les atomes d'insertions sont communs avec ceux des 4 premiers grades, mais dans des proportions différentes, ne dépassant jamais 1 % du poids total. Les atomes d'aluminium et de vanadium se substituent à hauteur respectivement de 6 % et de 4 % aux atomes de titane d'où son appellation : TA6V4 (tableau 1).

Le titane se présente sous deux formes allotropiques (propriété dont jouissent certains corps de se présenter sous différentes variétés) qui dépendent de la température et des atomes étrangers incorporés dans le réseau cristallin (fig. 2).

La température de transformation allotropique se situe entre 882 oC et 890 oC, en fonction de la méthode d'obtention du titane :

– au-dessous de 882,5 oC, le titane se présente sous sa forme α, de structure hexagonale stable. La phase α pure est dite résistante ;

– au-dessus de 882,5 oC, le titane se présente sous une forme β, de structure cubique centrée stable. La phase β pure est dite plastique et sensible aux traitements thermiques.

La température de transition des deux phases est appelée transus β.

Certains éléments vont être « alphagène », c'est-à-dire qu'ils vont être stabilisants pour la phase α. Certains éléments vont être « bétagène », c'est-à-dire qu'ils vont être stabilisants pour la phase β.

Les atomes solides d'insertions sont communs au Ti-Cp et au TA6V4. Sont présents :

– des éléments alphagènes : l'oxygène, le carbone et l'azote qui occupent les sites interstitiels du réseau hexagonal compact du titane α. Ces éléments entraînent une diminution du nombre des plans de glissement. Le métal est donc moins ductile à température ambiante ;

– un élément bétagène : l'hydrogène qui, lors du refroidissement, provoque la formation d'hydrure, qui peut conduire à des fragilités importantes. Il faut donc une faible teneur en hydrogène. La fusion du métal doit se faire sous vide ou sous argon.

Les atomes solides de substitution ne sont pas présents dans la composition du Ti-Cp. C'est ce qui différencie l'alliage TA6V4 de l'alliage Ti-Cp. Dans le TA6V4 sont présents :

– un élément alphagène : l'aluminium, qui durcit la phase α et permet une amélioration de la résistance ;

– un élément bétagène : le vanadium, qui améliore la ductilité mais réduit l'oxydation.

Le TA6V4 est donc un alliage mixte car il contient des éléments « alphagène et bétagène ». C'est un alliage dit « mixte αβ ». À température ambiante, le TA6V4 est à la limite entre les domaines α et αβ, et à température plus élevée il entre dans le domaine αβ.

La structure biphasée du TA6V4 est hétérogène et représente donc une zone de fragilité au niveau des interfaces α et αβ. Elle est sensible à la corrosion et à la fatigue. Il faut donc limiter ces domaines αβ au niveau de la coulée et du traitement de l'alliage.

Propriétés mécaniques comparées entre le Ti-Cp et le TA6V4 [3]

La dureté se définit comme la résistance d'un matériau à la pénétration d'un autre corps plus dur que lui. Elle se mesure par l'essai de Vickers et s'exprime en unité Vickers. La dureté d'un implant de grade 4 est de 200 Vickers, tandis que la dureté d'un implant de grade 5 est de 390 Vickers. À titre de comparaison, l'or pur a une dureté de 216 Vickers.

La limite élastique est la contrainte qu'il faut appliquer pour que le matériau commence à se déformer de manière irréversible. Elle s'exprime en MPa. La limite élastique du grade 4 est de 390 MPa, tandis que la limite élastique du grade 5 est de 930 MPa.

La limite de rupture est la contrainte qu'il faut appliquer pour que le matériau se fracture. Elle s'exprime en MPa. La limite de rupture du grade 4 se situe entre 540 et 740 MPa tandis que la limite de rupture du grade 5 avoisine les 1 000 MPa (fig. 3 à 6).

La ductilité est l'aptitude à supporter une déformation permanente sans rupture. La ductilité se mesure en pourcentage d'élongation avec fracture. Pour le grade 4 et le grade 5, la stabilisation de la phase α, rigide, explique qu'ils soient moins performants que les trois premiers grades. Ils restent néanmoins classés dans les matériaux dits ductiles.

Le module d'élasticité est une grandeur intrinsèque du matériau, définie par le rapport de la contrainte sur le début de déformation élastique provoquée par cette contrainte. C'est le module de Young. Il existe très peu de différence entre les cinq premiers grades. Les alliages de titane sont des matériaux souples, avec un faible module élastique, se rapprochant de celui de l'os. C'est un avantage dans la répartition des contraintes transmises à l'os (tableau 2).

Le grade 5 présente des propriétés mécaniques doublées par rapport au grade 4. Le grade 5 présente le même module d'élasticité que le grade 4, mais il est plus dur et plus résistant que celui-ci. Les implants dentaires en TA6V4 présentent un intérêt justifié sur le plan mécanique.

L'impact de la méthode de traitement thermique sur les caractéristiques mécaniques du TA6V4 en fonction de la méthode de traitement thermique (forgé en αβ ou forgé en forme β) est relativement faible, sauf en ce qui concerne la ténacité, c'est-à-dire la résistance à la propagation brutale d'une fissure.

La ténacité est caractérisée par le Kic. La valeur du Kic pour le TA6V4 forgé en phase αβ est de 52, alors qu'elle est de 82 pour le TA6V4 forgé en phase β. Des fissures se produisent souvent à l'interface αβ, d'où la différence de ténacité entre les deux méthodes de traitement thermique. La forme TA6V4 forgée en phase β est privilégiée car elle résiste mieux à la propagation des fissures.

Traitements métallurgiques du Ti-Cp et du TA6V4

Il existe deux méthodes de transformation statique de la structure du TA6V4 :

– le traitement avec chauffage dans le domaine β : la température de transus pour amener le TA6V4 dans sa phase β est de 980 oC, puis le TA6V4 est refroidi très rapidement pour permettre le passage d'une phase β à une phase métastable α' (très proche de la phase α) ;

– le traitement avec chauffage dans le domaine αβ : la température pour le domaine biphasé se situe entre 850 oC et 950 oC, suivi d'un refroidissement très rapide en réduisant le temps de transfert entre le four et le bac de trempe. Dans le cas contraire, il y a un risque de dégradation de l'alliage. Ce type de traitement sera privilégié pour limiter le nombre d'interface αβ.

Dans les deux cas, l'alliage TA6V4 a besoin d'être recuit pour limiter les interfaces cristaux-impuretés. Le recuit est un traitement isotherme compris entre 700 oC et 730 oC, d'une durée de 1 à 2 heures, suivi d'un refroidissement lent à l'air à 500 oC. Il en résulte une structure pratiquement stable, ce qui augmente la résistance à la corrosion.

Le titane est très réactif à haute température et fait partie des matériaux dits réfractaires. Sa mise en œuvre est complexe. Trois principales méthodes de mise en forme sont actuellement utilisées : la coulée de précision, l'usinage et l'électro-érosion.

La coulée de précision

La faible masse volumique, la forte réactivité à haute température du titane et son point de fusion très élevé rendent difficile le remplissage parfait du moule. Il est nécessaire de travailler sous vide ou atmosphère raréfiée pour éviter l'incorporation des éléments d'insertion, notamment l'hydrogène. L'insertion de l'hydrogène, comme on l'a vu précédemment, peut conduire à des fragilités importantes de l'alliage avec une diminution de la résistance à la traction.

Le titane en fusion réagit aussi avec le revêtement du moule et crée une couche polluée appelée alpha-case. Cette couche de 10 à 100 μm possède une résistance diminuée à la corrosion et des propriétés mécaniques moindres. Elle peut être éliminée par mordançage, sablage ou les deux combinés.

Des travaux ont montré que les techniques de traitement de surface de l'implant ne sont pas standardisées entre les marques commerciales []. De plus, il n'existe pas de consensus sur un traitement de surface de référence. Les implants ont donc des rugosités différentes allant de 5 μm pour des mordançages seuls, à 20 μm pour des mordançages-sablages.

Les taux de succès de la coulée du titane sont désormais similaires à ceux des autres alliages dentaires et permettent la réalisation de pièces complexes et uniques. C'est la principale méthode de fabrication des implants dentaires.

L'usinage

L'usinage par soustraction se fait par conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO). Le fraisage se fait à vitesse très lente avec un système de refroidissement efficace. On obtient un excellent état de surface des pièces usinées. Néanmoins, les propriétés mécaniques élevées du grade 4 et du grade 5 compliquent la mise en œuvre de cet usinage. Les fortes contraintes sur l'arrête de coupe entraînent l'usure de l'outil avec à terme des copeaux irréguliers. L'usinage peut devenir coûteux et long avec une vitesse réduite de coupe et l'utilisation d'abondantes quantités d'huile de coupe.

L'avantage de cet usinage est la création de pièces sans porosité et sans alpha-case, mais les formes restent moins complexes pour le moment.

L'électro-érosion

L'électro-érosion du titane est moins utilisée. Cette méthode met en œuvre une soustraction du matériau à partir de matière forgée. Cette élimination de matière se pratique par étincelage obtenu sous forme de décharges électriques, qui provoquent la fonte du métal immédiatement éliminé par une couche diélectrique.

Conclusion

Les implants en titane de grade 5 ont des propriétés mécaniques supérieures aux implants en titane de grade 4. Grâce aux éléments aluminium et vanadium qui s'insèrent et se substituent aux molécules de titane, la structure cristalline est renforcée et résiste mieux aux déplacements des cristaux entre eux. Cependant, le titane de grade 5 nécessite un contrôle plus rigoureux dans son traitement métallurgique avec nécessité d'un recuit pour limiter les interfaces entre les cristaux et les impuretés qui sont plus nombreuses que dans la structure du grade 4. En effet, ces interfaces hétérogènes constituent une zone de fragilité à la corrosion importante.

Le praticien devrait pouvoir s'assurer auprès du fabricant des propriétés électrochimiques et des procédés de fabrication de l'alliage. D'après la directive européenne 93/42/CEE, il s'agit d'une prescription engageant la responsabilité du praticien.

BIBLIOGRAPHIE

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Michael Fontugne
Diplômé de l'université Paris Descartes, Groupe Hospitalier Charles-Foix/Pitié-Salpétrière

Philippe Tramba
MCU Paris Descartes, Groupe Hospitalier Charles-Foix/Pitié-Salpétrière

Radhia Benbelaïd
MCU Paris Descartes, Groupe Hospitalier Charles-Foix/Pitié-Salpétrière

les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.