Le droit à l’oubli fiscal - Clinic n° 04 du 01/04/2010
 

Clinic n° 04 du 01/04/2010

 

IMPÔTS

GÉRER

PATRIMOINE

Robert GROSSELIN  

contact@grosselin-ega.fr

Deux, trois, cinq, six, voire dix ans, telle est la période pendant laquelle l’Administration fiscale peut revenir sur la situation d’un contribuable. La durée du délai de prescription est plus élastique qu’on ne le dit. Explications.

Qu’il s’agisse des règles fiscales ou des dispositions propres au contrôle fiscal, l’Administration ne sait pas faire simple. Prenons-en notre parti, mais en connaissance de cause. La géométrie est variable dans les situations les plus simples. Ainsi, le chirurgien-dentiste réputé de bonne foi peut voir son revenu professionnel reconsidéré sur 3 années pleines. C’est la règle de base. Un avis de vérification reçu en 2010 autorisera l’Administration à contrôler et peut-être à redresser 2007, 2008 et 2009. Ce délai de base est susceptible d’être porté à 5 ans en cas de manquements significatifs et réputés volontaires. Mais, bonheur !, il est dorénavant raccourci à 2 ans pour un adhérent à une association agréée pour lequel l’AGA aura transmis à l’Administration un rapport de mission de contrôle interne. Le délai s’applique aussi à la TVA dont un praticien peut être redevable au titre d’un contrat de collaboration. Concrètement, et du fait des amortissements s’étalant dans le temps, il faut considérer que les archives comptables doivent être conservées 10 ans.

En matière d’ISF, cet impôt auquel l’Administration accorde de plus en plus d’attention, les règles de prescription sont aussi à géométrie variable, même si on doit reconnaître que la loi TEPA (travail, emploi et pouvoir d’achat) d’août 2007 a réduit de 10 à 6 ans le délai réputé maximal de reprise. Concrètement, une déclaration d’ISF déposée en 2009, et pour autant qu’elle ne comporte pas d’omission, ne pourra être rectifiée que jusqu’à fin 2012. En l’absence de déclaration, ou si la déclaration comporte des oublis, voire fait ressortir une valeur nette de patrimoine inférieure au seuil d’imposition (790 000 € en 2009), le redressement pourra porter sur 6 années, donc jusqu’au 31 décembre 2015. Mais une première déclaration en 2010 donne à l’Administration le droit de revenir en arrière. Dans ce cas, elle se limite habituellement à 3 ou 4 ans selon l’état du patrimoine déclaré. Un héritage étant réputé obtenu dans l’année civile du décès et non dans l’année de la clôture de la succession, il y a matière à redressement.

L’Administration est tolérante en pareil cas mais, détentrice de l’information, elle circonscrira sa tolérance à 1 année. Comme en matière d’impôt sur le revenu, lorsque l’Administration découvre des agissements qu’elle qualifie de fraude fiscale, elle peut allonger le délai ordinaire de prescription de 2 ans complémentaires, jusqu’à 8 ans donc.

Le délai de 10 ans, d’usage courant avant la loi TEPA, peut rester en vigueur lorsque les déclarations n’ont pas été déposées ou lorsque des revenus ou un patrimoine sont détenus dans un pays « non coopératif ». C’est toute l’actualité des comptes en Suisse, sachant qu’au-delà de toute appréciation morale ou civique, il faut se dire que, s’il y a des paradis fiscaux, c’est bien que l’enfer peut exister ailleurs.

Les délais de prescription sont rendus élastiques par la procédure administrative. Ainsi, lorsque l’Administration en 2010 envoie un avis de redressement pour 2007, elle pourra, jusqu’au 31 décembre 2013, négocier la reprise et sa mise en recouvrement. Pour le contribuable, la fête aura duré 6 ans bien que le délai de prescription soit limité à 3 ans.

À l’ouverture d’une succession, lorsqu’il est constaté que le défunt n’a pas été normalement soumis à l’impôt sur le revenu, en particulier parce que la déclaration n’a pas été faite par les héritiers, le délai de reprise est de 4 ans. L’acte de succession est, en outre, une mine de renseignements pour le fisc, qui ne se prive pas d’exploiter le délai le plus long de prescription pour procéder à un redressement en matière d’ISF s’il y a lieu. Dans ce cas, l’impôt dû au titre des années non prescrites, les intérêts de retard et diverses pénalités sont à supporter par la collectivité des héritiers.

Ce type de rectification, largement postérieure à l’attribution de la succession aux héritiers, n’est pas sans leur poser des problèmes financiers, tant individuels que collectifs.

Parlons enfin du recouvrement de l’impôt issu de la rectification, puisqu’il s’agit de l’intervention d’un autre service de l’Administration. Celui-ci émettra un avis d’imposition ou un avis de mise en recouvrement. Si ce dernier n’est pas honoré et que pendant les 4 années civiles qui suivent l’Administration n’a pas engagé de poursuites, il y a extinction de la dette.

Mon conseil

Matthieu GROSSELIN, gestion de patrimoine, cabinet EGA

Pour vivre heureux, il faut vivre caché, dit-on. En matière fiscale, à défaut de se cacher, il faut éviter de se montrer et parfois chercher à se faire oublier. Pour chacun d’entre nous, la discrétion consiste à respecter les échéances des déclarations et à répondre, de façon non dilatoire, aux demandes de renseignements.

En matière d’impôt sur le revenu, déclaration professionnelle ou privée, la cohérence des chiffres et surtout de leur évolution par rapport à l’année précédente est essentielle.

En matière d’ISF, c’est un événement patrimonial (vente d’un bien, héritage, divorce…) qui attirera l’attention du fisc si aucune déclaration n’est déposée alors qu’elle le devrait. Notre conseil, chaque année, est d’établir pour soi-même un état de son patrimoine sur le formulaire fiscal ISF (www.impots.gouv.fr) afin de disposer d’informations si, par mésaventure, le fisc se manifeste 3, 5 ou 10 ans plus tard.

Il faut aussi éviter les facteurs suscitant l’intérêt du contrôleur. Ainsi, un engagement pris par un contribuable vis-à-vis de l’État dans le cadre d’une opération à avantage fiscal et non respecté scrupuleusement déclenchera demandes d’informations et plus, si…

Le délai de prescription, c’est-à-dire de reprise fiscale, ne doit pas se confondre avec la durée d’un engagement fiscal : 5 années civiles pleines pour les FCPI, FIP, holding ou autres versements au capital des sociétés, 12 ans pour l’immobilier Robien ou assimilé.