Traitement endochirurgical d’une incisive centrale maxillaire géminée - Clinic n° 05 du 01/05/2010
 

Clinic n° 05 du 01/05/2010

 

REGARDS CLINIQUES

Serge BAL  

Chirurgien-dentiste
Exercice limité à l’endodontie
2, rue de l’Humilité
69003 Lyon

Les dents géminées, bien que n’étant pas très fréquentes, entraînent un préjudice esthétique certain. Nous voyons dans cet article le traitement conservateur en deux phases d’une telle dent : tout d’abord le traitement endodontique sous microscope opératoire du système canalaire extrêmement complexe, puis l’hémi-amputation de la dent. Les contrôles successifs pendant 5 ans montrent un excellent résultat pour ce genre de traitement.

Présentation du cas

Guillaume, âgé de 13 ans en juin 2001, nous est adressé par son praticien traitant et son orthodontiste pour tenter de régler le problème de sa 11 (fig. 1 à 4).

Cette dent présente une anomalie de forme de la racine et de la couronne (dysmorphie coronoradiculaire) : une gémination – ou coalescence de tous les tissus de deux dents dont une est supplémentaire. La gémination se produit essentiellement au niveau des incisives mandibulaires. Il ne manque pas de dents sur l’arcade, contrairement à une fusion où, dans ce cas, il manquerait une dent.

Une telle dent, ne pouvant quasiment pas être déplacée par l’orthodontiste, est surtout absolument inesthétique par absence de symétrie entre les deux incisives centrales maxillaires.

L’objectif est de réaliser l’hémi-amputation de cette dent. Le traitement comportera deux phases : la première sera le traitement endodontique du système canalaire, complexe au possible ; la seconde sera l’hémi-amputation proprement dite avec extraction de la portion distale selon les desiderata de l’orthodontiste.

Phase endodontique

Lors d’un premier rendez-vous (26 juin 2001), le questionnaire médical nous indique que Guillaume est un adolescent en pleine santé. La dent ne présente aucun signe clinique ou radiographique pathologique. Le test au froid est positif.

Nous expliquons à Guillaume et à sa mère le traitement que nous envisageons de réaliser. Un devis est remis à celle-ci. Un rendez-vous de soins est pris.

Lors de cette seconde visite, une anesthésie para-apicale est faite (articaïne à 4 % adrénalinée au 1/100000) et la digue est posée.

Toutes les étapes suivantes vont se dérouler sous microscope opératoire avec enregistrement vidéo. Les photos cliniques sont tirées de ces vidéos, ce qui explique parfois une impression de flou sur certaines d’entre elles.

Une première ouverture pulpaire est faite à la fraise carbure de tungstène montée sur contre-angle multiplicateur (Alto bague rouge, Micro Mega, France), la cavité d’accès est réalisée avec une fraise Endo Z n° 152 (Dentsply-Maillefer, Suisse). Une première lime manuelle de 15/100e (Endoschein, Henry Schein, États-Unis) est introduite dans le canal (fig. 5) et une radiographie est prise (fig. 6). Une première seringue d’irrigation à l’hypochlorite de sodium à 2,5 % est délivrée dans la cavité d’accès et le patient se plaint d’un manque d’étanchéité au niveau de la digue. Cela est corrigé par un calfatage au Temp Bond (Kerr, Romulus, Italie). Une seconde lime 15/100e, précourbée, est introduite à la recherche du canal mésial (fig. 7). Même si ce sondage est facile, les canaux étant très larges, il apparaît qu’il sera impossible d’éliminer totalement le contenu canalaire comme il convient de le faire [1] sans une seconde ouverture dans la couronne mésiale. Celle-ci est réalisée comme la première (fig. 8). La même lime de 15/100e est alors introduite dans cette seconde cavité d’accès et une radiographie est prise (fig. 9). La détermination des longueurs de travail se fera avec un localisateur électronique d’apex (Apex Pointer, Micro Mega, France). La préparation canalaire est accomplie avec des Hero 6.4.2 (Micro Mega, France) avec un protocole légèrement modifié comme nous l’avons déjà décrit [2, 3].

Une irrigation très abondante est assurée : une seringue de 3 cm3 d’hypochlorite de sodium à 2,5 % après chaque passage instrumental (acier ou nickel titane) est vidée dans chaque canal. Le but de cette irrigation n’est pas de désinfecter quoi que ce soit, la dent n’étant pas du tout infectée, mais de réaliser une préparation chimique de tous les espaces ne pouvant être instrumentés et non instrumentés [4, 5].

On peut remarquer les espaces entre les 2 canaux (fig. 10), espaces qui ont été, encore une fois, préparés chimiquement.

Les maîtres cônes (medium fine, Henry Schein, États-Unis) sont calibrés puis introduits dans les canaux remplis d’EDTA liquide (Henry Schein, États-Unis) et un cliché est pris (fig. 11). Les canaux sont alors rincés à l’hypochlorite de sodium et asséchés avec des pointes de papier stériles (fine, Henry Schein, États-Unis). Une goutte de ciment endodontique (Sealite regular, Pierre Rolland, France) est déposée à l’extrémité de chaque cône de gutta qui est alors introduit dans les canaux puis thermocompacté avec un gutta condensor de 40/100e (Dentsply Maillefer, Suisse) (fig. 12). On peut voir nettement que la gutta chaude a fusé dans toutes les anastomoses intercanalaires, ce qui donne cette image « en nappe » entre les canaux principaux. Un ciment provisoire, IRM (Dentsply, Caulk, États-Unis) est déposé dans chaque cavité d’accès, puis la digue est déposée, une nouvelle radiographie est prise (fig. 13) et les recommandations habituelles sont données au patient.

Un rendez-vous est pris pour la phase chirurgicale.

Phase chirurgicale (21 octobre 2001)

Après une anesthésie para-apicale à l’articaïne à 4 % adrénalinée au 1/100000e, un lambeau de pleine épaisseur est soulevé sous microscope opératoire. Il est chargé sur un écarteur de type Carr (EIE, États-Unis). Pour couper les 2 racines, un disque diamanté chirurgical monté sur pièce à main chirurgicale droite (Micro Mega, France) a été choisi. Le refroidissement est assuré par la seringue eau/air de l’unit (fig. 14). La progression se fait exprès très lentement, en contrôlant radiographiquement avec des pointes de gutta l’axe de coupe (fig. 15 à 17). Une fois que la séparation complète est achevée, la partie distale de la dent est mobilisée délicatement (fig. 18) puis extraite au davier (fig. 19 et 20). Le bord distal de la partie conservée est adouci à la fraise diamantée et l’angle distal est arrondi. Une radiographie de contrôle est prise (fig. 21). L’alvéole est curetée, le lambeau replaqué et suturé au Vicryl 5/0 par des points simples (fig. 22).

Les sutures seront enlevées par le praticien traitant environ 1 semaine après, et ce pour arranger le patient qui habite à 200 km de notre cabinet.

Contrôles

Le premier contrôle a lieu au bout de 3 mois (18 janvier 2002). La gencive a parfaitement cicatrisé. On ne voit aucune trace des incisions. La dent ne présente aucun signe clinique et le patient ne se plaint de rien. Une radiographie est prise (fig. 23). Elle objective une bonne cicatrisation osseuse et la migration spontanée de la canine dans l’espace libre.

Le deuxième contrôle à 9 mois (8 juillet 2002) montre la complète reformation osseuse avec lamina dura (fig. 24).

Le contrôle suivant (6 janvier 2003) (fig. 25) montre le traitement orthodontique en cours, avec déplacement de la latérale pour la remettre à sa place. Notre dent se porte bien.

Le contrôle suivant (16 juin 2003) (fig. 26) objective la suite du traitement d’orthopédie dento-faciale. Rien à signaler pour notre dent.

Nous décidons avec le patient de ne nous revoir qu’une fois par an environ, en fonction de sa venue à Lyon.

Le contrôle suivant à plus de 1 an (17 septembre 2004) (fig. 27), après la fin du traitement d’orthopédie dento-faciale, objective la parfaite tenue de notre dent.

Un an plus tard (1er septembre 2005) (fig. 28), tout va bien.

Encore 1 an plus tard (28 août 2006) (fig. 29), rien à signaler, tout va bien pour notre dent traitée 5 ans auparavant. Il est décidé avec le patient, qui est maintenant majeur, de suspendre ces contrôles.

Discussion

Des cas cliniques ressemblants, sans être très nombreux, ont déjà été décrits dans la littérature médicale [6].

La gestion clinique d’un tel cas appelle une discussion sur plusieurs points : le choix de la thérapeutique et celui des traitements cliniques.

Choix de la thérapeutique

La complexité clinique pour traiter une telle dent n’est-elle pas du surtraitement ? Une extraction simple ne serait-elle pas mieux indiquée ?

La motivation première du patient et surtout de sa mère est un problème esthétique. Cette dent double ne correspond pas aux critères esthétiques que l’on attend. Cependant, la volonté de garder la dent sur l’arcade est là ! D’où la visite au praticien traitant habituel pour envisager une coiffe prothétique qui ne réglera pas le problème esthétique. Le patient ne présente pas de dysharmonie dento-maxillaire mais simplement des dents pas tout à fait dans l’ordre : il n’est pas nécessaire de créer de l’espace. La solution extractionnelle simple n’est donc pas envisageable.

De même, la solution implantaire est formellement contre-indiquée, le patient étant loin d’avoir fini sa croissance à cette époque.

Choix technique

Le traitement endodontique de la dent est nécessairement réalisé avant l’hémi-amputation. Pourquoi ne pas avoir traité seulement le canal mésial ? Les radiographies de contrôle postendodontique objectivent parfaitement la complexité de ce système canalaire. Il serait illusoire de penser pouvoir ne traiter qu’une partie de ce complexe.

L’intérêt de l’utilisation du microscope opératoire en endodontie n’est plus à démontrer. Nous l’avons déjà largement décrit [7, 8].

Un disque diamanté a été choisi, à la place d’une fraise, car nous pensions obtenir une coupe plus fine, principalement sur le volet osseux et donc potentiellement une meilleure cicatrisation osseuse.

Conclusion

Même si de tels cas cliniques sont plutôt rares, il faut pouvoir les traiter de façon conservatrice. Une solution implantaire n’est pas envisageable étant donné le jeune âge du patient. Seule une dysharmonie dento-maxillaire importante impliquerait l’extraction d’une telle dent. La complexité majeure du système canalaire implique une rigueur absolue dans la conduite du traitement endodontique. De même, une collaboration étroite est indispensable entre le praticien généraliste, l’endodontiste et l’orthodontiste pour gérer au mieux de tels cas.

Bibliographie

  • 1. Bonnet E, Bal S. La rotation continue en endodontie : principes généraux. Alternatives 2001 ; 10 : 33-37.
  • 2. Bal S. Le système Hero 642 : du canal rectiligne à la double courbure. Alternatives 2001 ; 11 : 47-56.
  • 3. Bal S, Bourbon-Kérisit S. Du Hero 6.4.2 au Hero Shaper. Clinic 2002 ; 23 : 517-528.
  • 4. Sirtes G, Waltimo T, Schaetzle M, Zehnder M. The effects of temperature on sodium hypochlorite short-term stability, pulp dissolution capacity, and antimicrobial efficacy. J Endod 2005 ; 31 : 669-671.
  • 5. Van der Sluis LW, Versluis M, Wu MK, Wesselink PR. Passive ultrasonic irrigation of the root canal : a review of the literature. Int Endod J 2007 ; 40 : 415-426.
  • 6. Braun A, Appel T, Frentzen M. Endodontic and surgical treatment of a geminated maxillary incisor. Int End J 2003 ; 36 : 380-386.
  • 7. Bal S. Intérêt du microscope opératoire en endodontie conventionnelle. À propos d’une molaire maxillaire à 5 canaux. Inf Dent 2001 ; 5 : 286-289.
  • 8. Bal S. Traitement des prémolaires mandibulaires à canaux multiples. Intérêt du microscope opératoire. Clinic 2003 ; 24 : 289-299.