Médicament : des prescriptions plus encadrées - Clinic n° 10 du 01/11/2012
 

Clinic n° 10 du 01/11/2012

 

L’ENTRETIEN

Anne-Chantal de Divonne  

La récente loi (29 décembre 2011) sur la sécurité des médicaments introduit de nouvelles règles sur les prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Les chirurgiens-dentistes sont concernés comme les médecins, bien que dans des proportions et des risques bien moindres. Nathalie Dumarcet, chef du Département de l’information et du bon usage du médicament à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) fait le point pour Clinic.

NATHALIE DUMARCET Chef du Département de l’information et du bon usage du médicament à l’ANSM

Qu’est-ce que la nouvelle loi sur le médicament change pour les prescriptions des chirurgiens-dentistes ?

Auparavant, le prescripteur devait marquer « NR » (non remboursable) sur une ordonnance lorsqu’il prescrivait hors AMM. En réalité, il le faisait rarement. Et comme le diagnostic est secret, l’Assurance maladie remboursait aveuglément un médicament qui n’aurait pas dû l’être. La liberté de prescription existe toujours. Et prescrire hors AMM n’est pas une faute si le prescripteur estime que c’est le mieux pour son patient. Mais désormais, la nouvelle loi permet d’encadrer certaines prescriptions hors AMM.

Comment donc prescrire hors AMM ?

Deux cas se présentent.

Soit l’ANSM identifie un besoin thérapeutique non couvert. S’il n’y a pas d’alternative au médicament utilisé hors AMM et si le rapport bénéfice/risque est favorable, le produit peut faire l’objet d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU). Celle-ci dure 3 ans et est forcément associée à un suivi des patients afin de s’assurer que le produit n’est pas nocif. Dans ce cas, il est possible que la Haute Autorité de santé demande le remboursement du médicament s’il est prescrit dans le cadre d’une affection de longue durée ou d’une maladie rare.

Soit le médicament ne bénéficie pas de RTU. Le prescripteur doit informer son patient qu’il est prescrit hors AMM, justifier son choix dans son dossier et inscrire « hors AMM » sur l’ordonnance.

Il faut toujours garder à l’esprit que la loi a été votée pour protéger le patient à la suite du drame du Mediator. Parfois, à l’usage, on sait ou l’on croit savoir que des médicaments ont un bon rapport bénéfice/risque. Mais il faut se méfier de « l’usage bien établi ». Les évaluations de l’ANSM ­s’effectuent à partir de données ayant un niveau de preuve supérieur à celui d’un accord professionnel.

Quels conseils pourriez-vous donner concernant les médicaments hors AMM qui ont pu être recensés dans le domaine dentaire ?

Pour obtenir une sédation, il faut utiliser le MEOPA. L’emploi du Valium® pose un problème de sécurité. Si le patient réagit mal, il faut avoir du matériel de réanimation et savoir l’utiliser. Si le praticien souhaite tout de même donner du Valium® ou de l’Atarax® pour des raisons bien précises, il doit pouvoir l’expliquer ; il doit aussi inscrire « hors AMM » sur l’ordonnance et son patient ne sera pas remboursé.

Pour les glucocorticoïdes, aucun laboratoire ne voudra effectuer un suivi des patients car c’est un générique. Il n’y aura donc pas de RTU et pas de remboursement. Cela dit, le Solupred® est indiqué comme pouvant être utilisé pour ses effets anti-inflammatoires. On peut donc comprendre qu’il soit utilisable pour la bouche. Il entre alors dans le cadre de l’AMM.

L’utilisation de la crème à base corticoïde par voie orale pour la prise en charge des lésions de la muqueuse buccale entre tout à fait dans l’AMM. Elle ne pose donc pas de problème.

Le Rivotril® est à supprimer des prescriptions. Ce médicament n’a jamais démontré son efficacité. Sur ce point, les chirurgiens-dentistes doivent se référer à la mise au point faite par l’ANSM il y a quelques mois. De plus, il n’y a pas de vide thérapeutique car d’autres médicaments sont recommandés par la Société française de la douleur.

D’une manière générale, que recommandez-vous aux chirurgiens-dentistes lorsqu’ils prescrivent ?

Cette loi est l’occasion de s’interroger sur sa façon de prescrire. Je leur recommande de se demander pourquoi ils prescrivent hors AMM. Est-ce à cause d’un vide ? Est-ce qu’il y a un mésusage ?

Il faut privilégier à chaque fois la solution dans l’AMM pour protéger le patient et se protéger en tant que prescripteur. Car un médicament n’est jamais anodin. Tant que le praticien prescrit dans le cadre de l’AMM, il est couvert. S’il prescrit hors AMM, il n’est plus couvert. Il doit donc être sûr de lui.

Hors AMM, que prescrit-on ?

Vianney Descroix, chirurgien-dentiste et pharmacien, observe que dans la très grande majorité des cas, les chirurgiens-dentistes prescrivent des médicaments dans leur indication d’AMM. Des prescriptions hors AMM peuvent cependant être fréquentes dans deux situations :

• dans le cas de sédation consciente par voie orale, lorsqu’un praticien prescrit par exemple du diazépam (Valium®) ou de l’hydroxyzine (Atarax®). Aucun de ces deux médicaments n’a l’AMM pour la sédation consciente comme peut l’avoir le MEOPA (« sédation en soins dentaires, chez les enfants de plus de 1 mois, les patients anxieux ou les patients handicapés ») ;

• dans le cas où un praticien prescrit des glucocorticoïdes comme le Solupred® ou le Cortancyl®, ces médicaments n’ont pas l’AMM (traitement symptomatique de l’inflammation postopératoire).

D’autres situations sont moins fréquentes :

• l’utilisation de crème à base de corticoïdes pour la prise en charge des lésions de la muqueuse buccale comme le lichen plan aigu ;

• dans le domaine de la douleur chronique et/ou neuropathique, aucun médicament n’a d’indication pour les douleurs de la cavité orale mais des praticiens ont longtemps utilisé le Rivotril® (clonazépam) pour les stomatodynies, qui n’a jamais eu l’indication dans l’AMM.

Cap sur les génériques

Le durcissement de la politique de générique produit ses effets. Le taux de substitution du médicament de marque par le générique, tombé à 72 % en avril dernier contre 79 % en 2010, est remonté à plus de 80 % fin septembre. C’est l’avenant qui engage les pharmaciens à réserver le tiers payant aux seuls assurés acceptant la substitution ou pour lesquels le prescripteur a porté la mention manuscrite « non substituable » sur l’ordonnance, qui est à l’origine de ce revirement. En cas de refus de substitution, tout se complique pour l’assuré qui doit régler le montant du médicament de marque délivré et envoyer à sa caisse la feuille de maladie papier accompagnée de l’ordonnance pour obtenir le remboursement.