Philippe CALFON - Clinic n° 02 du 01/02/2010
 

Clinic n° 02 du 01/02/2010

 

INTERVIEW

Propos recueillis Anne-Chantal de Divonne  

« Médecine bucco-dentaire » a remplacé « art dentaire » pour désigner l'activité du chirurgien-dentiste le 15 décembre 2009. Philippe Calfon, qui dirige depuis 2001 à l'Organisation internationale de normalisation (ISO) le sous-comité technique TC 106/SC3 à l'initiative de cette évolution, explique les enjeux de cette décision et l'important travail de terminologie dans le domaine dentaire mené au sein de cette organisation.

Pourquoi la dénomination « art dentaire » a-t-elle été supprimée du vocabulaire de l'ISO au profit de « médecine bucco-dentaire » ?

Les pays francophones au sein de l'ISO ont estimé qu'« art dentaire » était une désignation désuète et inappropriée. En effet, dans notre domaine, « art » renvoie presque à la notion d'artisan, c'est-à-dire celui qui est formé pour accomplir des tâches techniques, appliquer une science. Or avec l'évolution du langage vernaculaire (langage courant utilisé par des communautés), c'est la dimension artistique du terme « art », c'est-à-dire l'aptitude à provoquer l'émotion, qui a pris le pas sur la notion d'artisan. En tout cas, pour les utilisateurs non francophones de la norme, la dimension technique d'« art » n'est pas du tout prise en compte, et cela entraîne une confusion au niveau international, car il s'agit bien d'une décision internationale. Les experts internationaux ont donc souhaité supprimer le terme « art » dans la version française. Il fallait en déterminer un autre préféré en français pour désigner le concept.

Qu'est-ce qui a alors déterminé le choix de « médecine bucco-dentaire » ?

Avant de fixer une norme de vocabulaire, nous devions nous entendre sur le concept qui la décrit. En l'occurrence, le concept qui décrivait l'art dentaire (voir encadré) a été conservé car il est parfaitement adapté au champ d'intervention du chirurgien-dentiste. Mais il nous fallait une désignation qui fût à la fois descriptive du concept, intelligible par le « marché » et significative de l'évolution de la science et des connaissances. Nous avons écarté « dentisterie » à cause de sa consonance non médicale. Les mots odontologie et odontostomatologie ont aussi été rejetés car ils sont incompréhensibles pour les patients. « Chirurgie dentaire », utilisé en France, a été jugé trop restrictif car le professionnel ne s'occupe pas uniquement des dents et il n'effectue pas que des actes de chirurgie. « Médecine dentaire », utilisé par tous les autres pays francophones, était une désignation plus intéressante car plus englobante, mais il manquait la partie buccale du concept. Voilà pourquoi « médecine bucco-dentaire » a été retenue comme dénomination préférée en français. La décision a été prise à l'unanimité des 300 membres du TC 106 réunis à Osaka lors de la dernière séance plénière de son congrès annuel.

Quel est l'impact de cette nouvelle désignation pour les chirurgiens-dentistes ?

Nous sommes désormais des praticiens de la médecine bucco-dentaire. Cette désignation manifeste une reconnaissance de la dimension médicale de notre profession. C'est une véritable évolution de laquelle nous pouvons retirer une certaine fierté. Mais entendons-nous bien, dans le cadre de la démarche ISO, nous parlons d'un concept et du meilleur terme pour le désigner selon les acteurs internationaux. Cela n'implique pas nécessairement de décision au niveau national. La seule certitude est que l'expression « art dentaire » ne devrait plus apparaître dans les textes officiels. Des décisions comme la modification du titre du diplôme ou des facultés de chirurgie dentaire n'appartiennent pas à l'ISO ou à l'AFNOR, mais les décideurs nationaux disposent aujourd'hui d'une référence normalisée et la dimension internationale est très importante à l'heure des échanges et des accords sur les reconnaissances mutuelles des qualifications entre pays francophones comme le Canada.

Ce nouveau terme français se rapproche-t-il du terme anglais ?

Non, les Anglais utilisent « dentistry ». Cela dit, à entendre les discussions au sein des commissions, je ne serais pas surpris que cette désignation soit aussi modifiée un jour ou l'autre car la définition du concept en anglais est très précisément la même qu'en français, et dentistry n'est pas la désignation la mieux descriptive, bien qu'étant la plus utilisée dans les pays anglophones.

En même temps que « médecine bucco-dentaire », environ 300 termes spécifiques au domaine dentaire ont été publiés. De quoi s'agit-il ?

Nous avons toiletté le catalogue des termes contenus dans la norme de vocabulaire ISO 1942. En effet, cette norme comprenait 200 termes lors de la dernière publication en 1988 ; après plusieurs années de révision, il y en avait 1 200 en 2001 ! Il était nécessaire de trier ces termes et de définir des règles visant à ne conserver que ceux qui sont spécifiques à notre domaine. Nous sommes revenus à 300 termes.

Comment avez-vous procédé pour obtenir ce catalogue rénové ?

Par définition et par essence, une norme est un document consensuel. Les normes ISO sont généralement fixées à l'issue d'un long processus, d'environ 5 ans. Mais la révision de la norme de vocabulaire ISO 1942 a pris 15 ans ! Ce délai s'explique par la complexité du sujet. Dans 6 des 7 sous-comités de normalisation, le consensus est obtenu entre experts d'un domaine technique particulier. Mais au sein du Comité terminologie, le travail est mené avec des experts techniquement très pointus, mais aussi très divers et souvent peu au fait des questions de terminologie ; cela a par exemple entraîné la publication de la norme dans un ordre alphabétique, alors que le travail de terminologie devrait être mené de façon systématique. De plus, nous travaillons exclusivement en anglais, y compris lorsqu'il s'agit de terminologie en français !

Est-il important de normaliser en 2 langues ?

Oui, et cela au-delà même des questions de francophonie. Les Japonais par exemple, qui reçoivent la norme publiée dans les 2 langues, traduisent chacune d'elles en japonais avant de fixer leurs propres termes. Ils préfèrent la version française qui est souvent plus précise que la version anglaise. Et pourtant, nous avons les mêmes concepts !

Pourquoi rechercher une terminologie unifiée ?

C'est absolument essentiel sur le plan technique. Je prends simplement l'exemple des implants dentaires. Il n'était pas possible d'établir des normes d'essai de résistance mécanique il y a 10 ans car personne ne se référait à la même partie de l'implant, avec ou sans bague transgingivale, avec ou sans pilier de connexion. De plus, personne n'avait le même langage. Certains parlaient de fixture, d'autres d'implants dentaires alors que le monde médical utilise le terme prothèse... Babel ! Le marché a besoin de mots précis pour nommer, par exemple, la partie que le fabricant doit tester.

Les praticiens ont-ils un intérêt à connaître ces 300 termes dentaires ?

Utiliser le bon terme est essentiel, par exemple dans les prescriptions de dispositifs médicaux sur mesure comme la prothèse dentaire, pour éviter les risques de confusion et les non-conformités. Dans d'autres cas, comme le terme « Carpule® », nombreux sont les praticiens qui l'utilisent comme si c'était le mot courant alors que c'est un terme déposé. La norme donne le mot cartouche. De même, plutôt que d'utiliser le terme « bridge », la norme en français attribue la désignation « prothèse partielle fixée » qui est beaucoup plus explicite et, surtout, bien française. On peut aussi noter que plutôt que métal « précieux », qui ne signifie plus rien dans le langage d'aujourd'hui car il fait référence à la rareté, le terme retenu est métal « noble », en référence à des propriétés chimiques de résistance à une corrosion spécifique, et métal « commun » pour celui qui n'est pas précieux... Et puis, ce vocabulaire est très important pour les industriels qui doivent marquer leurs produits.

Maintenant que la norme de vocabulaire est à jour, sur quels sujets portent les travaux du Comité terminologie ?

Un concept peut être désigné par un mot dans une langue spécifique comme nous l'avons vu. Mais on peut aussi désigner un concept par un code, un pictogramme ou une couleur. La codification est une part importante du travail de terminologie. Nous avons, par exemple, lancé un projet de codification des anomalies bucco-dentaires qui les décrit plus finement que la codification ICD 10 de l'OMS. Nous voulons aussi donner un code chiffré à toutes les interventions dentaires pour que les références soient les mêmes dans tous les pays du monde. Cela ressemble un peu à la CCAM, mais nos travaux sont menés à l'échelle internationale et normalisée, afin d'assurer le meilleur suivi de la santé bucco-dentaire face aux mouvements de la population de plus en plus importants.

Médecine bucco-dentaire a pour définition : « Science visant à prévenir, diagnostiquer et traiter les maladies, malformations et lésions des dents, de la bouche et des maxillaires ainsi qu'à remplacer les dents manquantes et les tissus associés et à promouvoir la santé bucco-dentaire. ».