Handicapés et aînés : un cabinet sur mesure - Clinic n° 03 du 01/03/2010
 

Clinic n° 03 du 01/03/2010

 

GÉRER

ÉQUIPE ET ESPACE

Catherine FAYE  

Pour recevoir ses patients, Christine Bovier-Lapierre les accueille en blouse verte : « Pour moi, c'est l'espérance. » C'est avec cette conviction qu'elle reçoit des personnes handicapées, fragilisées ou âgées. Il règne entre les murs une atmosphère de confiance et de complicité. Une harmonie, sans complaisance.

Le cabinet est tout en volumes à la fois spacieux et intimistes. Il a quelque chose d'une chapelle. Les nombreuses vitres des façades extérieures répondent en choeur aux ouvertures horizontales, transparentes ou colorées, des murs intérieurs tels des vitraux minimalistes. Christine Bovier-Lapierre est l'âme des lieux. Elle rit volontiers et s'investit dans son exercice avec précision et humanisme. Grenobloise d'origine, elle a obtenu son diplôme en 1988 à Lyon et ouvert son cabinet en 1992 après une parenthèse parisienne. Propriétaire des lieux, elle fait réaliser une première série de travaux en 1995. Dix ans plus tard, elle décide de refaire intégralement son cabinet : « Un travail de Romain ! »

Toutes les cloisons sont abattues. « Les portes ne faisaient pas les 80 cm de largeur réglementaires pour recevoir les personnes en fauteuil roulant. J'ai toujours accueilli des patients handicapés ou fragilisés et je voulais que mon cabinet soit adapté et ergonomique. » Un « agenceur » de cabinets dentaires et une architecte d'intérieur prennent les rênes de l'opération. En 3 semaines, le cabinet est cassé et remonté. Tout est aux normes. Le 7 janvier 2006, les 86 m2 ont fait peau neuve et rouvrent leurs portes.

Installée dans le quartier de La Croix-Rousse, Christine Bovier-Lapierre reçoit une population mixte, « parfois très argentée, parfois bénéficiant de la CMU » . Un quartier marqué par l'histoire : c'est de là que partit l'insurrection des Canuts, ouvriers tisserands de la soie, dont les révoltes ont influencé les grands mouvements de pensée sociale du XIXe siècle. La praticienne reste modérée. « Je suis d'un tempérament ouvert à de nombreuses choses : religion, respect de l'autre... Je demande que l'on se comporte avec moi avec le même égard. Je n'ai pas d'a priori. De fait, pour moi, le handicap coule de source. D'autant plus qu'en région Rhône-Alpes, seuls 2 % des handicapés sont pris en charge. »

Deux sonnettes à l'extérieur de l'immeuble : l'une, placée moins haut que l'autre, est accessible aux handicapés en fauteuil roulant. Christine Bovier-Lapierre possède une rampe d'accès amovible très légère, une Decpac access ramp, qui permet de passer du trottoir au hall d'entrée. D'une capacité de 300 kg, elle se pose très simplement sur les marches extérieures du bâtiment. « J'ai vu ça un soir à la télévision, s'amuse Christine Bovier-Lapierre. Je me suis tout de suite dit : «C'est ça qu'il faut à mes patients.» »

Sa philosophie ? « Si je suis soignante, je soigne. Il y a certaines consultations où l'on gagne moins bien sa vie mais où l'on a rendu un service. J'estime gagner suffisamment bien ma vie et je n'ai pas particulièrement envie d'être stressée du matin au soir. » Communiquer, échanger, offrir certains soins..., sa conception de la dentisterie est avant tout humaine. « J'accepte de prendre du temps. » Mère de 5 enfants, Christine Bovier-Lapierre ne lésine pas sur ses horaires. D'ailleurs, elle reçoit aussi beaucoup de jeunes patients que les pédiatres lui adressent : certains parents n'hésitent pas à faire 1 heure de trajet pour venir jusqu'à son cabinet.

Grâce au bouche à oreille et à son implication dans le Réseau de santé bucco-dentaire et handicap Rhône-Alpes (RSBDH-RA), elle a acquis une certaine notoriété. « L'avantage de faire partie du réseau, c'est de pouvoir recevoir certains patients dans le service d'odontologie du CHU Le-Vinatier. Un de mes patients avait de grosses difficultés à ouvrir la bouche : je ne pouvais faire ni détartrage ni soins sur une dent du fond cariée. Pour cet acte long, le réseau m'a permis d'avoir accès au MÉOPA. Résultat : mon patient n'a pas eu à changer de praticien. »

Pour accueillir des patients en fauteuil roulant ou en brancard, l'encadrement des portes et la salle de soins sont assez larges et spacieux. Ils permettent à la praticienne de faire des soins adaptés. « J'ai reçu une patiente tétraplégique, avec une fracture de la moelle épinière. On l'a transférée dans mon cabinet pour une extraction de dent : je l'ai laissée dans son brancard. » Avec l'aide de Mabrouka, son assistante, Christine Bovier-Lapierre a une approche spécifique. « Je préviens si je vais faire mal et je suis rapide. Chaque patient est différent mais je ne laisse pas le choix, je ne lâche pas et ils le comprennent très vite. »

Le cabinet est situé au rez-de-chaussée. La porte d'entrée ouvre sur une salle d'attente en longueur égayée de rouge, de jaune, de vert pomme. Forme pyramidale, élancée, lignes irrégulières : les volumes sont inégaux et donnent un rythme particulier à l'espace. À droite, en arrivant, un petit comptoir. C'est l'accueil avec, dans le fond, le bureau de la praticienne qui s'ouvre aussi de l'autre côté sur un couloir qui dessert les 2 salles de soins, la stérilisation, la radio panoramique, les toilettes et la salle de repos. « J'ai privilégié une circulation aisée. Et puis, avec 2 fauteuils, je fais attention à ce que mes patients ne se croisent pas. Mais si les gens ne veulent pas côtoyer des handicapés, ils ne viennent pas me voir. »

La spécificité de la salle de soins principale, c'est de pouvoir faire entrer un brancard : il peut passer par la porte, se tourner et se placer le long du fauteuil, un Planmeca. Il ne reste plus qu'à faire le transfert. « Le fauteuil est constitué de mousse à mémoire de forme, c'est très agréable. » Le meuble de rangement est signé Pininfarina : « C'est le designer de Ferrari », s'amuse la praticienne. Avec ses tiroirs et ouvertures automatisés, juste une pression de la main ou du pied, le tour est joué. À l'intérieur, des tubs bien agencés et un ordinateur relié au réseau du cabinet. Le gris domine, avec quelques touches de bleu. La seconde salle de soins, équipée d'un ancien fauteuil Caveau, permet, quand il y a beaucoup de monde, de travailler sur les 2 fauteuils.

Entre la salle de soins principale et la stérilisation, 2 petites vitres verticales : « Si Mabrouka se trouve à côté, elle jette un coup d'oeil ou je l'appelle : elle voit tout ce que je fais et les patients voient aussi ce qui se passe dans la salle de stérilisation. C'est génial ! » Partout des ouvertures, des puits de lumière, des éclairages directs et indirects. « L'architecte d'intérieur m'a dit : «Faites-vous plaisir.» C'est ce que j'ai fait. Mais au fond, ce qui me fait le plus plaisir, c'est lorsqu'un patient handicapé me raconte ses histoires et m'embrasse en partant du cabinet : ça signifie qu'il m'a acceptée. »

ON AIME : Le lustre coloré et décalé du bureau de la praticienne, suspendu à un faux plafond où tous les câbles et les fils sont cachés.

La radio panoramique Planmeca qui permet à une personne en chaise roulante de rester assise.