La frénotomie/frénectomie labiale  - Clinic n° 06 du 01/06/2010
 

Clinic n° 06 du 01/06/2010

 

PARODONTOLOGIE

Nizar BENNANI*   Zouheir ISMAILI**   Meryem RHISSASSI***   Oum-Keltoum ENNIBI****  


*Résident en parodontologie
**Professeur agrégé en parodontologie
***Professeur agrégée en parodontologie
****Professeur de l’enseignement supérieur
Chef du Service de parodontologie
Faculté de médecine dentaire
avenue Allal-El-Fassi
rue Mohammed-Jazouli
Cité Al Irfane
BP 6212
Rabat-Instituts, Maroc.

Les freins labiaux sont classiquement considérés comme des replis formés par la muqueuse tendue de la lèvre à la paroi alvéolaire. De par leur insertion, ils peuvent générer un certain nombre de situations pathologiques pouvant compromettre la réussite d’une thérapeutique parodontale, orthodontique ou prothétique. Pour éviter ces complications, leur ablation est indiquée en ayant recours à la frénotomie ou à la frénectomie.

Au travers de quelques cas cliniques, les différentes indications de ce type de chirurgie plastique parodontale et le geste chirurgical sont illustrés.

Un frein se définit comme un repli muco-conjonctif tendu entre deux structures anatomiques [1]. Il s’agit d’une structure dépourvue de fibres musculaires, constituée essentiellement d’un réseau très dense de fibres de collagène ainsi que de fibres oxytalanes et de tissu conjonctif lâche [2].

Les freins labiaux sont de 3 types :

• le frein labial médian maxillaire ;

• le frein labial médian mandibulaire ;

• les freins vestibulaires latéraux.

Leur ablation peut être entreprise lorsqu’ils génèrent un certain nombre de situations pathologiques ou favorisent le risque de complications postopératoires. Pour cela, on a recours soit à la frénotomie soit à la frénectomie, la première étant une section partielle du frein par excision du sommet vers la base (plus ou moins son repositionnement apical), la seconde une excision totale du frein, y compris son attachement à l’os sous-jacent [3].

Classification des freins

En 1974, Placek et al. [4] ont proposé une classification à la fois morphologique et fonctionnelle qui décrit les différents niveaux d’insertion frénale et la prévalence des pathologies qui leur sont associées. Ces auteurs décrivent 4 types d’attachements :

• type I, ou attachement muqueux, le frein se situe dans la muqueuse alvéolaire et son insertion se trouve à la limite de la ligne muco-gingivale ;

• type II, ou attachement gingival, le frein s’étend de la muqueuse alvéolaire jusqu’à la gencive attachée avec insertion basse ;

• type III, ou attachement papillaire, le frein s’étend de la muqueuse alvéolaire jusqu’à la papille interdentaire, entraînant une mobilité de la gencive marginale à la traction ;

• type IV, ou attachement papillaire pénétrant, l’insertion du frein s’étend jusqu’à la papille interincisive et peut aller jusqu’à la papille bunoïde, occasionnant une mobilité de la gencive marginale à la traction avec persistance d’un diastème.

Indications de la frénotomie/frénectomie labiale

Les indications de la frénotomie/frénectomie labiale sont d’ordre parodontal, orthodontique et prothétique.

Seules les deux dernières situations (types III et IV) de la classification de Placek sont considérées comme pathologiques et potentiellement problématiques.

Indications parodontales

La présence d’un frein de type III ou IV est considérée comme un facteur étiologique mineur dans la pathologie parodontale et comme un facteur favorisant les problèmes muco-gingivaux.

Cette influence sur le parodonte peut s’exercer par différents mécanismes qui peuvent être distincts ou associés. En effet, la traction d’un frein sur la gencive marginale peut :

• provoquer une ouverture du sillon gingivo-dentaire, favorisant ainsi la pénétration apicale du biofilm bactérien et l’apparition ou l’aggravation d’une lésion parodontale préexistante [3]. Cet effet sera d’autant plus marqué que le biotype parodontal est fin (voir l’observation clinique n° 1, fig. 3 et 4) ;

• entraîner une ischémie de la gencive marginale parfois en relation avec l’apparition d’une récession tissulaire marginale, surtout en l’absence de gencive kératinisée (voir l’observation clinique n° 2, fig. 8) ;

• et, enfin, constituer une entrave aux manœuvres d’hygiène par limitation de la mobilité de la lèvre et, donc, une gêne au bon positionnement de la brosse à dents dans le vestibule [3].

L’élimination d’un frein dysharmonieux a également toute sa place lors du traitement des asymétries du contour gingival. La frénotomie/frénectomie est alors à visée esthétique [1].

Par ailleurs, l’expérience clinique montre que dans les cas de chirurgie parodontale, l’insertion basse d’un frein peut perturber la cicatrisation de la zone opérée. La frénectomie permettrait alors d’assurer la stabilité de la plaie et d’obtenir une meilleure cicatrisation [1, 5].

Indication orthodontique : frénectomie labiale maxillaire et diastème médian supérieur

L’insertion haute de type IV du frein médian supérieur a longtemps été considérée comme la cause principale du diastème interincisif.

La frénectomie systématique permettait de supprimer l’obstacle au rapprochement des incisives centrales, et pouvait s’accompagner d’une fermeture spontanée de l’espace [6].

Actuellement, la connaissance des différents stades de l’éruption a permis de limiter l’indication de la frénectomie en cas de diastème médian supérieur. Celui-ci étant un stade physiologique du phénomène de mise en place des dentures temporaires et permanentes, il se ferme spontanément dans la plupart des cas [1]. Ainsi, 98 % des enfants à 6 ans ont un diastème alors que, à 12 ans, 7 % seulement le conservent [7].

La frénectomie est alors indiquée face à l’association de 3 conditions (voir l’observation clinique n° 3, fig. 11) :

• frein de type IV (classification de Placek et al. [4]) ;

• présence d’un diastème ;

• canines permanentes en place [2, 6].

Cependant, il ne faut pas passer à côté d’autres facteurs pouvant être responsables de la persistance du diastème, notamment les anomalies dentaires (de forme, de nombre ou de position) et les habitudes nocives (par exemple succion du doigt, de la lèvre ou de la langue) [1, 2, 6].

Indications prothétiques

L’indication de la frénectomie peut être posée en prothèse à la fois scellée, partielle ou totale et amovible. C’est une thérapeutique à visée parodontale ayant pour objectif de créer ou de recréer un environnement parodontal sain compatible avec le port de ces prothèses.

En prothèse partielle ou totale amovible, le frein peut avoir un effet répulsif et interrompre la continuité des bases prothétiques avec risque d’instabilité et de blessure. Sa suppression favorise la rétention de la prothèse tout en permettant d’augmenter la surface de gencive adhérente [1, 2].

En prothèse scellée, une reconstitution à limites intrasulculaires constitue un facteur supplémentaire de rétention de plaque. La présence d’une insertion frénale au niveau de la gencive marginale entraînerait une ouverture du sillon gingivo-dentaire, favorisant la pénétration du biofilm bactérien. Cela aurait des conséquences aussi bien sur l’organe dentaire, en favorisant l’apparition de caries au niveau du joint dento-prothétique, que sur le parodonte sous forme d’inflammation et de perte d’attache.

Techniques chirurgicales

Selon le type d’attache du frein, on peut réaliser une frénotomie ou une frénectomie.

La frénotomie est indiquée pour traiter un frein à insertion superficielle. Il s’agit d’une section transversale, perpendiculaire au frein, par incision simple au bistouri ou au ciseau (fig. 1). Les berges de la plaie ainsi formée sont réunies par des points simples [2, 8].

La frénectomie, quant à elle, permet de traiter un frein à insertion périostée profonde et peut éliminer un frein inséré dans la suture intermaxillaire. Il s’agit d’une excision de la totalité des éléments fibreux du frein.

La frénectomie « en losange » est la technique la plus utilisée. Il s’agit d’une section du frein qui se fait sous forme d’un double V qui s’étend vers la gencive marginale en préservant éventuellement un plan périosté pour plaquer les tissus au niveau de la jonction muco-gingivale.

Cette incision peut intéresser la papille interdentaire en conservant ses bords latéraux ou s’étendre jusqu’à la papille bunoïde. Le frein est disséqué en ruginant de la zone papillaire vers la zone apicale [2]. L’exposition osseuse, s’il y a lieu, doit être minimale (fig. 2).

Les deux incisions de part et d’autre du frein sont ensuite réunies par des sutures discontinues.

Discussion

Le frein médian supérieur pourrait jouer un rôle essentiel dans la croissance du prémaxillaire et toute intervention précoce dans le cas du diastème (avant l’âge de 8 ans) entraînerait un défaut de croissance dans cette région [9].

Lorsque la frénectomie est faite aussitôt après l’émergence des canines, la fermeture du diastème peut se faire spontanément. En revanche, lorsque les dents antérieures ont rejoint le plan d’occlusion, cette fermeture nécessite une action mécanique [6]. Dans ce cas, la chronologie de la frénectomie dans la thérapeutique orthodontique restera à déterminer.

Pour Dewel [10], une intervention préorthodontique pourrait engendrer une bride cicatricielle qui gênerait la dynamique du mouvement orthodontique. Miller [11] propose d’attendre la fin du mouvement orthodontique (6 semaines avant la dépose de l’appareillage). Genon et Koskas [12] préfèrent le début de la période de contention.

Cependant, Campbell et al. [13] situent la frénectomie avant l’orthodontie afin de faciliter la fermeture orthodontique du diastème, voire de bénéficier d’une fermeture spontanée. Une compression des fibres transseptales lors du mouvement de fermeture serait à l’origine de la réouverture de l’espace après la dépose de la contention.

Dans tous les cas, le sens clinique et le dialogue entre l’orthodontiste et le praticien permettront, au cas par cas, de déterminer la date adéquate de l’intervention.

Les freins labiaux, de par leur insertion, peuvent générer l’apparition d’un certain nombre de problèmes en rapport avec différentes disciplines odontologiques. Leur ablation, d’une part, présente plusieurs variantes chirurgicales et, d’autre part, peut être associée à d’autres techniques plus avancées.

La frénectomie dans un contexte parodontal peut être indiquée en association à certaines thérapeutiques telles que les greffes gingivales pour recouvrir la zone d’excision du frein et augmenter la hauteur de gencive attachée ou recouvrir une récession tissulaire marginale en particulier à la mandibule [14] (voir observation clinique n° 2, fig. 8 et 9).

Miller [11] propose de combiner, surtout au maxillaire, la frénectomie à un lambeau de translation latérale afin d’améliorer la cicatrisation de la zone opérée et d’augmenter la hauteur de gencive kératinisée tout en respectant l’esthétique. Cette technique présente deux inconvénients. Le prélèvement s’effectue en vestibulaire de la dent adjacente, entraînant un risque de dénudation radiculaire. De plus, l’intervention se trouve limitée par l’insuffisance de hauteur de gencive kératinisée sur le site donneur [1, 6].

Afin de pallier ces inconvénients, Borghetti et al. [14] proposent de remplacer le lambeau de translation latérale par une greffe gingivale triangulaire prélevée sur la gencive interdentaire vestibulaire des dents adjacentes.

Il est en outre possible de désinsérer un frein lors d’une technique de tunnel (recouvrement de récessions) ou de poche vestibulaire.

Ces dernières années, l’utilisation du laser chirurgical (laser CO2 et Nd:YAG) en odontologie en général et en parodontie en particulier a connu un essor considérable. La frénotomie/frénectomie au laser est une technique rapide et très simple à réaliser grâce à la parfaite hémostase qui permet une très bonne visibilité opératoire et une précision de coupe incomparable. Les patients aussi apprécient cet instrument grâce aux suites opératoires mineures, sans douleur ni œdème, et à l’absence de points de suture [15]. Une contraction réduite de la plaie et une cicatrice minime sont d’autres avantages de la chirurgie au laser. Cependant, la cicatrisation est plus longue qu’après une chirurgie classique car il s’agit d’une cicatrisation par deuxième intention [16].

Observations cliniques

Observation clinique n° 1 : frénotomie à indication parodontale

Ce premier cas clinique est celui d’une jeune fille de 16 ans qui consulte pour un abcès parodontal en rapport avec un frein médian inférieur inséré au niveau de la gencive marginale et entraînant une légère ouverture du sillon gingivo-dentaire (fig. 3).

Le sondage au niveau mésio-vestibulaire de la 31 et de la 41 révèle des poches parodontales de 5 mm, confirmées au niveau radiologique par une lyse osseuse horizontale et marginale entre les 31 et 41 (fig. 4).

Un examen parodontal complet permet d’éliminer le diagnostic de parodontite.

Le traitement d’urgence de l’abcès parodontal consiste en un traitement étiologique par débridement supragingival et sous-gingival associé à une motivation à l’hygiène bucco-dentaire et à la prescription d’un antiseptique.

Une semaine après la thérapeutique étiologique et la réduction de l’inflammation gingivale, des brossettes interdentaires sont prescrites en complément au brossage.

Une frénotomie est ensuite réalisée (fig. 5), associée à des sutures par points séparés (fig. 6).

La cicatrisation à 1 mois montre une amélioration du contexte gingival avec fermeture du sillon gingivo-dentaire (fig. 7).

Le sondage parodontal révèle des profondeurs de poches ne dépassant pas 3 mm au niveau interincisif.

Observation clinique n° 2 : frénectomie à indication parodontale associée à une greffe gingivale épithélio-conjonctive

Il s’agit d’un patient âgé de 30 ans qui présente un frein latéral exerçant une traction sur la gencive marginale de la 44, associé à une récession tissulaire marginale de classe II de Miller avec une hauteur réduite de gencive attachée (fig. 8).

Afin d’améliorer le complexe muco-gingival et de recouvrir la récession, une greffe épithélio-conjonctive est réalisée, avec frénectomie lors de la préparation du site receveur de la greffe (fig. 9).

La cicatrisation à 1 mois montre une hauteur de gencive attachée suffisante, l’absence de traction frénale et le recouvrement de la récession tissulaire marginale (fig. 10).

Observation clinique n° 3 : frénectomie à indication orthodontique

Cette jeune patiente âgée de 15 ans est adressée, par le Service d’orthopédie dento-faciale, pour la réalisation d’une frénectomie avant l’orthodontie.

La patiente présente un frein médian supérieur hypertrophié à attachement papillaire pénétrant, constituant un obstacle à la fermeture du diastème interincisif.

Les 6 dents antérieures sont déjà en occlusion et la patiente ne présente aucune anomalie dentaire ni habitude nocive (fig. 11).

Une frénectomie en « losange étroit » est réalisée, avec extension des incisions jusqu’à la papille rétro-incisive afin de disséquer toutes les fibres conjonctives.

Les berges sont ensuite suturées apicalement, bord à bord au niveau muqueux et, au niveau de la gencive kératinisée mobile, la cicatrisation de la perte de substance est obtenue en seconde intention (fig. 12 et 13).

La figure 14 illustre le cas après fermeture du diastème et maturation des tissus gingivaux obtenues 3 mois après la frénectomie (fig. 14).

Conclusion

La frénotomie/frénectomie labiale est un acte simple en chirurgie plastique parodontale. Cependant, il s’agit d’un acte chirurgical qui doit être réalisé à bon escient, en connaissant bien les indications afin d’éviter les surtraitements.

Une frénotomie/frénectomie réfléchie et concertée permet en effet d’améliorer le contexte parodontal et muco-gingival, d’obtenir la stabilité d’une éventuelle prothèse amovible et de faciliter certains mouvements orthodontiques, notamment la fermeture du diastème interincisif.

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