Stratification des composites et Ceram-X™ Duo - Clinic n° 06 du 01/06/2010
 

Clinic n° 06 du 01/06/2010

 

DENTISTERIE RESTAURATRICE

Frédéric BLANC*   Éric LEFORESTIER**  


*UFR d’odontologie
24 avenue des Diables-Bleus
06024 Nice cedex 2
**UFR d’odontologie
24 avenue des Diables-Bleus
06024 Nice cedex 2

Depuis 5 ans, Dentsply International organise un concours de cas cliniques (International Ceram-X™ Challenge) pour les étudiants de dernière année de dentaire ; tous les gagnants de chaque pays voient leurs cas cliniques présentés sous forme de posters lors du congrès de l’IADR qui, par vote des participants, donne le podium des trois meilleures réalisations internationales. Nous avons le plaisir de vous présenter le cas clinique de Frédéric Blanc, dirigé par le Dr Éric Leforestier, de la faculté d’odontologie de Nice. Ce cas clinique a obtenu le 1er prix français. Nous tenons à féliciter chaleureusement cette faculté et son doyen, Marc Bolla, qui chaque année font participer un grand nombre d’étudiants toujours très motivés.

Dans notre activité quotidienne, la restauration de dents antérieures atteintes d’une perte de substance dentaire d’origine traumatique ou carieuse pourrait passer pour un acte simple. C’est en fait une performance technique [1] : pour répondre à la très forte demande esthétique de nos patients, il ne suffit plus de remplacer le volume manquant par une couche de composite « monoteinte ». Le succès de ces restaurations, notamment dans le secteur antérieur, nécessite une analyse précise de la situation initiale qui prenne en compte à la fois les facteurs morphologiques, physiologiques, chromatiques et l’état de surface de ces dents [2, 3].

Le succès de cette réalisation passe aussi par la connaissance des matériaux et la capacité du praticien à suivre leurs avancées. Parallèlement aux évolutions des systèmes adhésifs qui tendent à améliorer les performances de leur adhérence à la dentine, tout en simplifiant les protocoles, les résines composites au départ peu chargées et faiblement résistantes à l’usure et à l’abrasion ont évolué vers des matériaux micro-hybrides puis nanohybrides. Tous les facteurs améliorant les qualités esthétiques de ces matériaux (réflexion, diffusion, diffraction de la lumière) ont également évolué, aboutissant à des matériaux plus simples à manipuler, avec des coefficients de retrait de polymérisation diminués compte tenu de la plus faible proportion de matrice organique [4, 5].

Pour remplacer les matériaux « monoteinte », Vanini propose la technique de stratification naturelle qui permet, en employant des « masses de dentine et d’émail » de saturation et d’opacité équivalentes à celle de la dentine naturelle, de répondre à la triade « teinte, saturation, luminosité » des dents [1, 67-8]. Il est également possible, grâce aux masses d’émail, de créer des zones d’opalescence, de reproduire des taches blanches en surface ou subsurface et de conférer à la dent sa « luminosité globale ». Cette technique, dont la maîtrise peut s’acquérir relativement aisément, procure avec de l’expérience d’excellents résultats sur le plan esthétique [9, 10].

À cet égard, le concept Ceram-X™ (Dentsply) propose au praticien, sous sa version « Duo », la sélection d’un couple de 2 matériaux d’opacités distinctes comprenant les combinaisons de 4 teintes dentine et 3 teintes émail, la teinte complémentaire DB étant destinée aux patients qui ont eu des traitements de blanchiment poussé. Le nombre de combinaisons des teintes émail et dentine s’élève donc à 12 en tout [11].

Au travers du cas clinique qui suit, certes un peu « extrême », un protocole de réalisation de restaurations directes par la technique de stratification en résine composite est décrit. Il réunit tous les critères de difficulté qui viennent d’être énoncés.

Il s’agit d’un jeune patient (15 ans) multicarié présentant des lésions SISTA 2.4 (voir encadré en fin d’article) en distal et mésial des 12 et 11, en mésial de la 22, et une très grosse atteinte de la 21 avec nécrose pulpaire et atteinte périapicale (fig. 1).

Après motivation à l’hygiène, il est décidé, après traitement endodontique de la 21 (fig. 2), de réaliser une reconstitution par composite des 12, 11, 21 et 22 (fig. 1) par une technique de stratification à l’aide du composite Ceram-X™ Duo (Dentsply) afin d’étanchéifier le traitement endodontique de la 21 [11]. L’indication de la restauration par technique directe en résine composite de la 21 est discutable. Compte tenu de la perte de substance, l’indication d’une restauration corono-radiculaire devrait être posée. Néanmoins, compte tenu de l’âge du patient, la maturation parodontale nécessaire à la reconstitution par prothèse fixée n’étant pas atteinte, le but est de gagner du temps. Ainsi, le moment venu, le praticien aura toute la latitude pour la réalisation de la prothèse conjointe.

L’analyse de la morphologie et de la teinte des dents à reconstituer (fig. 3) est effectuée. Les éléments suivants sont notés : tiers apical avec un niveau de saturation plus important qu’au tiers incisif où la translucidité et l’opalescence sont maximales du fait de la prédominance de l’émail (type I de Vanini). Le tiers incisif présente une pigmentation blanche en petit nuage (type II selon Vanini). Les dents présentent une teinte rouge brun avec un faible niveau de saturation, peu de translucidité (dent jeune) et une opalescence localisée au niveau du tiers incisif, ce qui correspond à un choix de teinte A2 [6, 7].

Il est possible de réaliser la « cartographie des dents » avec la correspondance des masses de composites à utiliser (fig. 4).

Sur le plan morphologique, ces dents présentent une forme triangulaire avec un bord libre droit, une face vestibulaire légèrement convexe et 3 lobes marqués. De façon dogmatique, quelques critères morphologiques en rapport avec les incisives sont à respecter [d’après 12, 13] :

• face vestibulaire (fig. 5). L’incisive centrale maxillaire présente, au niveau de sa face vestibulaire, 3 lobes délimités par 2 sillons verticaux, le lobe central étant le plus petit. La crête mésiale présente un point de contact au niveau du tiers incisif, elle forme une ligne droite et rejoint le bord incisif par l’angle mésio-incisif qui est pratiquement à angle droit. La crête distale est, elle, arrondie et présente un point de contact au niveau du tiers incisif. Elle rejoint le bord incisif par l’angle disto-incisif qui est arrondi. Le bord incisif présente 3 élévations (mamelons) pour une dent jeune et non usée ;

• face linguale (fig. 6). Elle est marquée par la fosse linguale bordée par 3 élévations distinctes : les 2 crêtes marginales mésiale et distale et le cingulum. De faibles sillons marquent la face linguale et un petit puits peut être présent. La racine est moins large lingualement que vestibulairement (section triangulaire) ;

• faces proximale et occlusale (fig. 7 et 8). La face vestibulaire est convexe dans son ensemble. L’incisive centrale a une forme presque triangulaire avec des crêtes marginales convexes.

Une fois ces analyses faites, vient l’étape de la restitution clinique de ces éléments. La performance du praticien sera, entre autres, de réaliser toutes les restaurations directes dans la même séance. Pour cela, une cire de diagnostic, reprenant les particularités morphologiques énumérées plus haut, est réalisée (fig. 9), une clé en silicone est préparée (fig. 10). Après anesthésie, le champ opératoire est soigneusement posé de 14 à 24 (fig. 11 et 12). Le curetage des caries est effectué et la toilette des cavités est réalisée. L’agent d’adhésion utilisé pour ce cas est le XP Bond® (Dentsply) qui est un M & R. Le protocole de collage nécessite donc un mordançage à l’acide orthophosphorique pendant 15 secondes, rinçage et séchage sans déshydratation. L’adhésif est ensuite soigneusement mis en place sur les surfaces dentaires en suivant strictement les recommandations du fabricant. Vient ensuite l’étape de mise en place du composite. Préalablement, un composite fluide X-flow™ teinte A2 est appliqué, ici au niveau de l’entrée canalaire de la 21 afin d’optimiser les propriétés rhéologiques du composite (fig. 13). La clé en silicone et des matrices en celluloïd permettent, par l’intermédiaire du composite E2, de réaliser les faces palatines et proximales des dents. Il s’agit là du substitut amélaire, l’épaisseur de cette couche est donc pelliculaire, identique à ce que serait l’épaisseur de l’émail normal. Chaque couche est photopolymérisée. Puis c’est au tour du substitut dentinaire (composite D2) d’être incrémenté. C’est à ce stade que l’on va pouvoir faire apparaître les masses opalescentes : la masse de dentine est placée en ménageant des petits « mamelons » à distance du bord incisif. L’application du composite émail par-dessus va permettre de faire apparaître ces différences de couleurs (fig. 14). Le polissage final est obtenu par les actions successives de disques diamantés en résine diméthacrylate d’uréthane (Pogo®, Dentsply), de disque de finition (Enhance®, Dentsply) et par l’application de pâte d’oxyde d’alumine Prisma® Gloss de 2 granulométries différentes (fig. 15).

La technique de stratification du matériau composite (Ceram-X™) a permis de rationaliser la mise en place des 6 obturations en une seule séance en alliant les obligations esthétiques, fonctionnelles et phonétiques d’une telle restauration (fig. 16 et 17).

Bibliographie

  • 1. Lehmann N. Composite antérieur et stratification. Clinic 2005;26:191-197.
  • 2. Gonthier S, Desreumaux-Gonthier M. Évolution des composites antérieurs : les composites à haut rendu esthétique. Intérêt clinique. Clinic 2002;23:157-163.
  • 3. Gonthier S, Desreumaux-Gonthier M. Évolution des composites antérieurs : les composites à haut rendu esthétique. Aspect technique. Clinic 2002;23:299-308.
  • 4. Dietschi D, Ardu S, Krejci I. Les restaurations antérieures par méthode directe collées, la stratification. In Roulet JF, Degrange M. Collages et adhésion. La révolution silencieuse. Paris : Quintessence international, 2001:235-252.
  • 5. Dietschi D. Progrès significatifs dans la technique stratifiée des restaurations antérieures en composites. Inf Dent 2002;84:127-131.
  • 6. Vanini L. Light and color in anterior composite restorations. Pract Periodont Aesth Dent 1996;8:673-682.
  • 7. Vanini L, Mangani FM. Determination and communication of color using the five color dimensions of teeth. Pract Periodont Aesth Dent 2001;13:19-26.
  • 8. Kuhn G, Colon P. Composites antérieurs : technique de stratification simplifiée. Real Clin 2003;14:409-421.
  • 9. Colon P, Pradelle-Plasse N, Kuhn G, Menez-Mesgouez C. Mise en œuvre des résines composites : bilan après 50 séances de formation pratique. Clinic 2008;29:19-24.
  • 10. Lehmann N, Tirlet G. Utilisation des composites à vocation esthétique en pratique généraliste : illustrations cliniques. Clinic 2007;28:359-369.
  • 11. Colon P. Nouvelle approche des restaurations esthétiques en résine composite : le concept Ceram-X. Clinic 2005;26:80-84.
  • 12. Cretot M. L’arcade dentaire humaine 7e édition. Rueil-Malmaison : Éditions CdP, 2009.
  • 13. Kuhn G, Jonas P, Colon P. Restauration directe des formes et des volumes des incisives latérales naines : une technique de stratification simple. Proposition d’une terminologie pratique pour les nouveaux composites microhybrides. Clinic 2001;22:85-90.

La classification Si/Sta (J.-J. Lasfargues, R. Kaleka, J.-J. Louis), acronyme de SItes et de STAdes, classifie les lésions carieuses en fonction de leur site et de leur stade évolutif.

Trois sites : occlusal (site 1), proximal (site 2) et cervical (site 3).

Cinq stades d’évolution :

• Le stade 0 ou stade réversible : lésion superficielle, active, sans cavitation, indiquant un traitement non-invasif.

• Le stade 1 : lésion débutante active, avec des altérations de surface, ayant franchi la j.a.d. mais ne dépassant pas le tiers dentinaire externe, nécessitant une intervention restauratrice.

• Le stade 2 : lésion modérée active, cavitaire ayant progressé dans le tiers dentinaire médian sans fragiliser les structures cuspidiennes, nécessitant une intervention restauratrice.

• Le stade 3 : lésion étendue active, cavitaire étendue ayant progressé dans le tiers dentinaire interne au point de fragiliser les structures cuspidiennes, nécessitant une intervention restauratrice.

• Le stade 4 : lésion parapulpaire ayant progressé au point de détruire une partie des structures cuspidiennes, nécessitant une intervention restauratrice de recouvrement coronaire partiel ou total.

NDLR