L’adhésion aux tissus dentaires : de la théorie à la pratique quotidienne - Clinic n° 08 du 01/09/2010
 

Clinic n° 08 du 01/09/2010

 

REGARDS CLINIQUES

Nicolas LEHMANN  

Docteur en chirurgie dentaire
Docteur de l’université Claude-Bernard Lyon 1
Ancien interne des Hôpitaux de Paris
Centre d’implantologie et esthétique dentaire
17, rue Joseph-le-Brix
42160 Andrézieux-Bouthéon

Le 10 avril dernier, notre maître en dentisterie adhésive, le professeur Michel Degrange, disparaissait…

Son enseignement, son enthousiasme pour les restaurations adhésives, sa passion pour le collage restent en revanche bien présents dans notre esprit, tant les situations cliniques pouvant être traitées par technique adhésive sont multiples et quotidiennes.

Après quelques rappels fondamentaux sur l’adhésion aux tissus dentaires calcifiés, cet article présente quatre situations cliniques traitées par dentisterie adhésive (restaurations directes et indirectes), à travers lesquelles nous avons appliqué les règles issues de l’enseignement de notre maître.

Où qu’il soit aujourd’hui, qu’il sache que nous lui sommes extrêmement reconnaissants de son enseignement qui

nous permet chaque jour de pratiquer une dentisterie esthétique et préservatrice des tissus dentaires.

Adhésion aux tissus dentaires : généralités

La liaison entre la résine adhésive et les tissus dentaires peut atteindre des valeurs élevées si le liquide adhésif mouille uniformément les tissus dentaires.

La possibilité qu’une goutte de liquide s’étale sur une surface dépend de l’angle de contact entre la tangente de la goutte et la surface : un angle étroit indique une attraction forte entre les deux phases.

Dans le cas des tissus dentaires, il est indispensable que ceux-ci disposent d’une énergie libre de surface, supérieure à la tension superficielle du liquide de l’adhésif.

Or, émail et dentine présentent des énergies de surface différentes en rapport avec l’extrême différence de leur structure.

Adhésion à l’émail

L’émail est le tissu le plus dur de l’organisme humain (de 96 à 97 % de substance inorganique) [1]. Il est constitué de prismes et de substance interprismatique. Les valeurs d’adhésion à l’émail sont excellentes grâce au mordançage avec l’acide orthophosphorique (entre 10 et 40 %) appliqué pendant 30 secondes [2]. L’acide agit sur une épaisseur d’émail comprise entre 5 et 50 µm, en dissolvant la zone interprismatique, ce qui permet de bien exposer les prismes. Il en résulte la formation d’une surface irrégulière et anfractueuse, qui dispose d’une haute énergie de surface, ce qui permet à la résine adhésive hydrophobe de mouiller les microporosités créées dans l’émail. Une fois qu’elle a été polymérisée, une adhésion micromécanique en résulte, capable de s’opposer aux forces antagonistes de contraction de la résine [3, 4].

Adhésion à la dentine

La dentine présente une composition chimique très hétérogène : à la partie inorganique d’hydroxyapatite (70 %) s’ajoute une partie organique assez importante, constituée de collagène (18 %) et d’eau (12 %).

L’hydroxyapatite, disposée d’une façon irrégulière, contient la matrice organique composée majoritairement de fibres de collagène [5].

La dentine est traversée de canalicules, ou tubules (ou encore tubuli), qui contiennent les prolongements des odontoblastes et le fluide pulpaire. Les tubules augmentent en nombre et en diamètre au fur et à mesure que l’on se rapproche de la pulpe.

À l’issue de la préparation mécanique de la cavité, la surface dentinaire est recouverte d’une épaisse couche polluée (de 3 à 10 µm) [6], composée de débris organiques et inorganiques produits par le fraisage : la boue dentinaire, ou smear layer. Ce dépôt pénètre les canalicules et forme des bouchons, encore appelés smear plugs [7]. La boue dentinaire est faiblement attachée à la surface de la dentine et, par conséquent, ne peut jamais être utile pour l’adhésion à la résine.

Le mordançage élimine la boue dentinaire et les bouchons mais, en même temps, déminéralise la dentine intertubulaire et péritubulaire sur une profondeur de 5 à 15 µm, en exposant les fibres de collagène [8]. Ce réseau de fibres de collagène, privé de son soutien naturel formé par les cristaux d’hydroxyapatite, se trouve dans des conditions d’instabilité et de faible mouillabilité. L’application de solutions appelées primaire, ou primer, est indispensable pour soutenir les fibres de collagène et augmenter la mouillabilité [9, 10].

Le primaire d’adhésion (souvent de l’HEMA, ou [2-hydroxyéthyl] méthacrylate) est responsable de l’adhésion chimique à la dentine. Il contient deux différents groupes fonctionnels : l’un, hydrophile (OH), qui se lie chimiquement au substrat dentinaire collagénique ; l’autre, hydrophobe (méthacrylate), qui se lie avec la résine liquide (adhésif). Le rôle du primaire est d’augmenter la mouillabilité de la dentine, d’empêcher le collapsus des fibres de collagène et de faciliter la pénétration de la résine adhésive. Dans certains adhésifs, la pénétration du primaire est facilitée par la présence d’un solvant hydrophile (alcool ou acétone). Après application, le solvant contenu dans le primaire s’évapore et laisse la surface dentinaire sèche, tandis que l’HEMA reste fixé dans la surface et permet le collage entre la dentine et la résine adhésive [9]. La pénétration et la polymérisation de la résine adhésive entre les fibres de collagène conduisent à la formation de ce qu’on appelle la couche hybride : la résine qui pénètre et polymérise à l’intérieur des tubules forme les prolongements de résine, ou tags de résine. Ces deux mécanismes sont pratiquement les bases de l’adhésion micromécanique et priment sur l’adhésion chimique [9].

Cas clinique 1 (fig. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 à 11)

Une patiente de 24 ans atteinte d’une fluorose sévère désire connaître les possibilités offertes par la dentisterie afin de pallier les séquelles esthétiques de cette fluorose. Sur le plan clinique, la patiente ne présente aucune lésion carieuse et a une bonne hygiène orale.

Après un entretien renseignant sur la demande précise de la patiente et un examen clinique, le choix thérapeutique s’est porté vers la réalisation de facettes en céramique. En effet, selon le concept du gradient thérapeutique [11], ces facettes se sont révélées être la seule thérapeutique fiable et relativement conservatrice pour répondre à sa demande.

Cas clinique 2 (fig. 12 13 14 15 16 17 18 19 20 à 21)

Une patiente consulte afin de refaire des restaurations sur ses incisives latérales. Actuellement, ces dents présentent des restaurations en composite qui ont été réalisées quelques années auparavant afin de transformer les incisives latérales qui étaient riziformes. Par ailleurs, la patiente souhaite que l’on ferme le diastème entre les 21 et 22. En revanche, elle souhaite conserver son diastème entre les 11 et 12. Il a semblé assez naturel, vu les progrès actuels en matière de composites microhybrides, de proposer à cette patiente une thérapeutique par stratification non seulement esthétique mais également ultraconservatrice. En effet, après dépose des anciennes restaurations, à l’exception d’un léger surfaçage de l’émail proximal sur les 12 et 22 à l’aide d’une fraise diamantée, il n’a été réalisé aucune préparation.

Cas clinique 3 (fig. 22 23 24 25 à 26)

Un patient de 28 ans se présente à la consultation pour des sensibilités dentaires au chaud et au froid. Les examens clinique et radiographique objectivent la présence de lésions carieuses et de restaurations infiltrées au niveau des 36, 37 et 38. Le patient n’a pas une bonne hygiène orale. Selon le concept du gradient thérapeutique, il est décidé de restaurer le cadran dentaire par la réalisation de composites en technique directe.

Cas clinique 4 (fig. 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 à 41)

Un patient présente une récidive de lésion carieuse sous une restauration composite située sur la 26. Après dépose de l’ancienne restauration et curetage de la lésion carieuse, l’étendue de la cavité fait opter pour la réalisation d’un onlay en composite.

Conclusion

Les situations cliniques pouvant être traitées par des thérapeutiques adhésives sont extrêmement fréquentes ; il est donc indispensable de bien connaître les principes de l’adhésion à l’émail et à la dentine afin de bien maîtriser ces thérapeutiques et ainsi assurer la pérennité des restaurations adhésives.

Bibliographie

  • 1. Kodaka T, Debari K, Kuroiva M. Mineral content of the innermost enamel in erupted human teeth. J Elect Microsc 1991;40:19-23.
  • 2. Buonocore MG. A simple méthode of increasing the adhesion of acrylic filling materials to enamel surfaces. J Dent Res 1955;34:849-853.
  • 3. Gwinnet AJ, Matsui A. A study of enamel adhesives : the physical relationship betwen enamel and adhesive. Arch Oral Biol 1967;12:1615-1620.
  • 4. Jendresen MD, Glantz PO. Microtopography and clinical adhesiveness of an acid etched tooth surface. Acta Odontol Scand 1981;39:47-53.
  • 5. Mjor IA, Fejerskov O. Human oral enbriology and histology. Copenhague : Munkgaard, 1986.
  • 6. Pashley DH. Dentin bondin : overview of the substrate with respect to adhesive material. J Esth Dent 1991;3:46-50.
  • 7. Nakabayashi N. The hybrid layer : a resin dentin composite. Proc Fin Dent Soc 1992;88(suppl. 1):322-329.
  • 8. Goracci G, Mori G. Les bases adhésives de la dentisterie conservatrice esthétique. Real Clin 1998;9:295-312.
  • 9. Nakabayashi N. Resin reinforced dentin due infiltration of monomers into dentin at the adhesive interface. J Jap Soc Dent Mater Devices 1982;1:78-81.
  • 10. Pashley DH, Horner JA, Brewer J. Interactions of conditioners on the dentine surface. Oper Dent 1992;17:229-242.
  • 11. Tirlet G, Attal JP. Le gradient thérapeutique : un concept médical pour les traitements esthétiques. Inf Dent 2009;41/42:2561-2568.

Évaluez-vous

Testez vos connaissances suite à la lecture de cet article en répondant aux questions suivantes :

1. Afin d’avoir un bon étalement de l’adhésif sur la surface des tissus dentaires, il faut que :

a. les tissus dentaires disposent d’une énergie libre de surface supérieure à la tension superficielle du liquide de l’adhésif.

b. les tissus dentaires disposent d’une énergie libre de surface inférieure à la tension superficielle du liquide de l’adhésif.

c. les tissus dentaires disposent d’une énergie libre de surface identique à la tension superficielle du liquide de l’adhésif.

2. L’acide orthophosphorique à 37 % agit sur une épaisseur d’émail comprise entre :

a. 200 et 250 µm.

b. 100 et 150 µm.

c. 5 et 50 µm.

3. La dentine contient dans sa composition :

a. 73 % de collagène.

b. 2 % de collagène.

c. 18 % de collagène.

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