La médecine bucco-dentaire schizophrène - Clinic n° 04 du 01/04/2011
 

Clinic n° 04 du 01/04/2011

 

ÉTHIQUE

Guillaume SAVARD  

Chirurgien-dentiste, titulaire d’une maîtrise de philosophie et d’un master d’éthique médicale et biologique

À ne répondre qu’au coup par coup, nous sommes responsables de notre situation.

Je me souviens d’une patiente qui argumentait de la manière suivante : « Les soins, c’est du médical. Les prothèses, c’est du commercial. Alors, sur le commercial vous pouvez faire un geste ! » Sur les nombreux forums Internet, il n’est pas rare de voir tout et n’importe quoi à propos de la profession : la marge réalisée sur les prothèses que nous ne ferions que « poser », le refus de soins, l’accueil de l’urgence, les délais des rendez-vous, l’incompré­hension sur les traitements, leur suivi et leur remboursement, la confusion propagée par certaines assurances privées, la course au meilleur devis, l’obligation de soin (« Aucun chirurgien-dentiste ne peut refuser de soigner »), la confusion ­récurrente entre chiffre d’affaires et bénéfice…, tout cela donne de nous une image détestable que nous ne sommes pas parvenus à transformer significativement. Nous sommes collectivement responsables de cette situation. Bien entendu, chaque patient aime et défend son chirurgien-dentiste. C’est au ­niveau global que cela se joue et nous dessert.

Nous sommes une profession de piètres pédagogues. Il conviendrait d’aller avec honnêteté vers les citoyens. Nous avons des réponses stéréotypées qui ont eu cent fois le temps de montrer leur (in)efficacité. Certains s’en sortent par l’humour ; c’est bien lui qui nous rend possible la vie en situation de crise.

À force de se cacher, on paraît suspect. Nous devons informer sans cesse le patient sur l’état de son système de santé. Cela fait des années que la profession souhaite voir abordés les grands problèmes que sont l’obsolescence morbide de la convention, ou encore l’accès aux soins et la démographie professionnelle. Mais il faut cesser de répondre au coup par coup sur les sujets du moment, car c’est entrer dans le jeu malsain qui nous maintient ainsi (amalgame, origine des prothèses). À qui nous parle de marge sur les prothèses et de fabrication à l’étranger, est-il habile de répondre : viande de qualité française, appellation d’origine contrôlée ? C’est comme avouer que les présupposés (chirurgiens-dentistes revendeurs, marges astronomiques) sont vrais ! Ne laissons pas les choses se dérouler sur un terrain déjà miné. Recadrons sans cesse !

Les questions sont celles qui concernent l’information du citoyen sur l’état et le fonctionnement de son système de santé. Même l’Assurance maladie ne veut pas d’une « médecine de caisse » et le dynamisme de la médecine libérale est un vecteur de progrès et de mise à jour. La convention correspond à un contrat par lequel ­l’assurance santé obligatoire de tous les Français définit le mode de fixation des prix et de participation à un panier de soins limité.

À quelle valeur honorer un traite­ment bucco-dentaire dans ce marché infernal et biaisé1 ? Combien une société donnée est-elle prête à débourser pour le travail d’un chirurgien-dentiste ? Non que cette dépense doive être totalement socialisée, mais parce que le secteur de la santé représente une part très significative du PIB des pays occidentaux. En bref : qu’estimons-nous être notre valeur2 ?

1. Biaisé, car la demande est déformée puisque le marché n’est pas libre.

2. Et dire que je voulais vous raconter comment réserver sa consultation express pour 40 € sur Internet chez un chirurgien-dentiste français qui, en 10 minutes et avec une panoramique, servira de prétexte à des entreprises de soins low-cost pour refiler du devis garanti « moins 60 % ».