Divorce, cession, apport : la valeur de son cabinet - Clinic n° 09 du 01/10/2011
 

Clinic n° 09 du 01/10/2011

 

Professionnel

PATRIMOINE

Robert GROSSELIN  

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Au contraire de nombre de disciplines libérales, les chirurgiens-dentistes ou leurs conseils ne disposent d’aucun outil statistique d’estimation. Cette singularité est notamment très préjudiciable lors des divorces. Considérations de référence.

Lors d’un divorce, c’est le juge qui entérine l’estimation de la valeur du cabinet qui lui a été proposée par un expert. Si ce dernier n’est pas un fin connaisseur des cabinets dentaires et se réfère à l’ensemble des professions libérales, la note peut être lourde et injuste.

Il y a moins de soucis dans une transaction entre praticiens parce que les contractants s’accordent ou renoncent. Encore que, lorsqu’un praticien cède à son fils ou à sa fille, les frères et sœurs estiment souvent qu’il y a, dans le prix retenu, l’expression d’un avantage financier. Et lors des apports ou la vente de son cabinet à une SELARL, là encore il faut retenir une valeur raisonnable, ne serait-ce qu’au regard de l’administration fiscale qui est embusquée pour taxer les excès. Bref, la situation n’est pas claire.

Le socle de désaccord, lorsque des tiers non informés s’immiscent dans l’estimation, est le montant du bénéfice d’exploitation, disons le BNC ressortant sur l’imprimé 2035, retraité du fait d’éventuelles spécificités : prévoyance, loyer de complaisance personnelle, personnel familial, frais de congrès et déplacements. Car curieusement, le cabinet dentaire sert un revenu soutenu – rappelons que le revenu médian des patrons et entrepreneurs indépendants est de 36 400 € par an selon l’INSEE – alors que le fonds n’est pas une richesse. À titre indicatif, on peut avancer, selon nos propres recoupements, que seul 1 cabinet sur 2,5 à 3 trouve preneur et que la transaction se conclut au maximum autour d’une année de bénéfice.

Au contraire des cabinets d’experts-comptables qui se cèdent, selon le rapport d’INTERFIMO, à 2,8 années de bénéfice, soit de 70 à 90 % environ du chiffre d’affaires, et surtout qui se cèdent tous, les cabinets dentaires ne trouvent pas tous preneur. Pourquoi cette différence ? Le chirurgien-dentiste ne peut pas déléguer alors que l’expert-comptable dispose d’une équipe de salariés.

La démographie professionnelle est naturellement, elle aussi, déterminante sur les valorisations. Ainsi, les clientèles d’avocats, dont les effectifs sont pléthoriques, se cèdent volontiers à 1,5 année de bénéfice. Les chirurgiens-dentistes, au contraire, plutôt orientés à la pénurie, ne peuvent pas profiter de ce soutien ni espérer le voir intervenir dans les 10 ou 15 années à venir. Le seul facteur de soutien des valorisations, que nous pressentions depuis une dizaine d’années, est la possibilité d’acquérir par une SELARL. Mais l’avantage fiscal considérable que procure la fiscalité de l’impôt sur les sociétés ne dope pas toujours les cours et ne profite manifestement qu’à l’acquéreur, qui voit son coût effectif, à prix affiché égal, largement diminuer. On observera que parmi les professions libérales actuellement les mieux valorisées (les biologistes, les experts-comptables, les radiologues…), le recours à la SEL est devenu quasi systématique.

On observe aussi que le cabinet d’un praticien qui exerce seul vaut moins cher, à considérations économiques identiques, que celui de son confrère qui exerce en groupe. Une part d’association vaut de 15 à 20 % plus cher et, de plus, trouve pratiquement toujours preneur. Ce surcoût est aussi légitime lors d’un apport de son propre cabinet à sa future SELARL, du fait qu’il n’y a pas de risque d’érosion de clientèle puisque c’est le même praticien qui continue à exercer.

Quant aux cabinets qui ne se cèdent pas, donc qui n’ont pas de valeur patrimoniale, ils pèchent par l’une au moins des caractéristiques suivantes : un local inadapté, un chiffre d’affaires insuffisant, un chiffre d’affaires excessif pour un seul repreneur, un exercice trop qualifié ou une clientèle relevant exclusivement d’une réputation personnelle.

Enfin, il faut ajouter l’incidence déterminante de la localisation du cabinet. Aix-en-Provence et Annecy trouvent plus volontiers preneur, et plus cher, que certaines villes du centre de la France. Les villes moyennes ou les gros bourgs se cèdent mieux que les grandes villes à forte concurrence, sauf pour les spécialistes. La région, par ses caractéristiques socio-économiques mais aussi climatiques, détermine un flux plus élevé des demandes que d’autres. Ainsi, en Rhône-Alpes, les cours sont plus volatils qu’à Paris, fluctuant plus largement d’une année à l’autre.

MON CONSEIL

Pour être crédible, une estimation doit être motivée avec, clairement exprimés, les chiffres et les coefficients déterminant une valeur ou, plutôt, une fourchette de valeurs, celle qui permettra d’aboutir à un prix. Prix et valeur sont rarement identiques, le premier étant celui de l’offre de l’acquéreur ou la prétention de l’avocat du conjoint dans un divorce. Il est d’usage, depuis longtemps, d’estimer la valeur de la clientèle en appliquant un coefficient au chiffre d’affaires, un tiers des recettes moyennes de 3 ans par exemple. Cette méthode du coefficient est plus pertinente lorsqu’elle s’applique au bénéfice, sur la base de l’imprimé fiscal 2035, car elle exprime la rentabilité du cabinet. On dira ainsi que « le cabinet vaut une annuité du bénéfice ». Ces deux démarches ne sont pas déterminantes mais permettent une approche. On ne doit pas les éluder. Pour l’essentiel, c’est la méthode financière qu’il convient de retenir. Elle a pour principe d’inclure dans les dépenses la rémunération normale du travail du praticien, celle-ci variant en fonction de critères propres à son type d’exercice, et d’affecter le solde du bénéfice au remboursement du prix, celui-ci devant s’effectuer en 7 ans. Cette méthode sera retenue par le banquier. Elle laisse à chacun, en fonction de sa discipline, le soin de définir ce que doit être la rémunération normale de son travail. La démarche n’est pas naturelle chez un libéral alors qu’elle l’est, par essence, lorsque le praticien exerce en SELARL puisqu’il se sert une rémunération de gérant majoritaire pour son travail et répartit l’excédent entre dividendes et mise en réserve. Le prix définitif sera in fine aménagé en fonction des caractéristiques du bail – qui peut dorénavant être commercial – mais ne le sera plus, contrairement au passé, en fonction du matériel et du mobilier. Leur valeur vénale est en effet négligeable et lorsqu’il y a plateau technique, le financement est habituellement un crédit-bail.

Au risque de plaider pour notre chapelle, nous invitons vivement à l’établissement d’un rapport écrit qui, durablement, permettra de répondre aux interrogations, tant de l’administration fiscale que de ses proches. Ce rapport est incontournable lors des divorces, apport ou vente à une SELARL et mutation avec un enfant.

Compte tenu de la modicité de la valeur des cabinets, en particulier au regard de leur rentabilité, il est légitime d’envisager d’exercer 1 ou 2 ans supplémentaires en l’absence avérée de successeur et, à l’issue de ce laps de temps, de dévisser sa plaque. La démarche est dorénavant fréquente, majoritaire même, et les juges ou experts, dans un divorce, doivent se le rappeler. On ne doit pas non plus oublier de faire purger la quote-part de fiscalité de la plus-value au conjoint non-praticien.

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