L’odontologiste et la radiothérapie : thérapeutique (2nde partie) - Clinic n° 09 du 01/10/2011
 

Clinic n° 09 du 01/10/2011

 

RÉPONSE D’EXPERT

Maryalis GUICHARD  

Maître de conférences des Universités
Faculté d’odontologie de Toulouse
Odontologiste à l’Institut Claudius-Regaud de Toulouse (Centre de lutte contre le cancer)

L’odontologiste joue un rôle capital dans la gestion thérapeutique et préventive du patient ayant subi une radiothérapie. La première partie de notre réponse d’expert a fait le point sur les différents types de radiothérapies et leurs conséquences. Cette seconde partie nous dira ce que nous devons faire à la lumière des données acquises de la science.

Comment peut-on limiter les conséquences et les complications des manifestations dentaires et péridentaires liées à une radiothérapie ?

Limiter les effets secondaires de la radiothérapie est du ressort du radiothérapeute, du chirurgien-dentiste et de la qualité de la concertation entre ces deux acteurs. Les progrès réalisés dans les techniques d’irradiation externe ont grandement contribué à atténuer ces complications. La radiothérapie conformationnelle en modulation d’intensité permet maintenant de limiter l’irradiation des tissus sains. Ainsi, la xérostomie est beaucoup moins sévère et, donc, le risque de survenue et la gravité des caries sont diminués, le volume mandibulaire irradié est plus important mais à une dose moindre. Il reste cependant nécessaire de prendre en charge ces patients sur le plan dentaire avant, pendant et après la radiothérapie. Bien en amont de l’irradiation, le patient doit avoir une consultation dentaire qui doit définir la conduite à tenir vis-à-vis des dents en prenant en considération l’état dentaire et parodontal, le degré de coopération que l’on pense pouvoir attendre de lui et les modalités de l’irradiation prévue. C’est dire la nécessaire concertation avec le radiothérapeute. Les dents en mauvais état sont avulsées et la cicatrisation alvéolaire est obtenue avant de commencer le traitement (2 à 3 semaines). Soins, détartrage et mise en place des mesures d’hygiène bucco-dentaire précèdent la réalisation des gouttières de fluoration. Pendant et après le traitement, les patients doivent être régulièrement suivis sur le plan dentaire. Au rythme de quatre consultations annuelles au cours des années qui suivent la fin du traitement, les patients sont revus pour vérifier que les soins et la fluoration sont bien réalisés et pour dépister au plus tôt les éventuelles caries. Dans les volumes irradiés, il est nécessaire d’adapter les soins au risque d’ostéoradionécrose : pas d’anesthésies intraseptales si possible, avulsions dentaires suivies des moyens (colle, suture) qui permettent d’isoler la surface osseuse du milieu buccal, adaptation des prothèses qui ne doivent pas être traumatisantes… Autrement dit, il ne suffit pas de faire des gouttières de fluoration pour éviter les complications : une prise en charge raisonnée, une surveillance étroite des patients et la concertation avec le radiothérapeute sont absolument indispensables pour limiter, sinon éviter, les complications.

En cas de curiethérapie sur des tumeurs proches d’une table osseuse, la mise en place d’un écran plombé peut atténuer la dose d’irradiation au niveau de cette dernière.

Comment réalise-t-on une gouttière de fluoration ?

La gouttière de fluoration doit assurer un contact intime entre la surface dentaire et le gel fluoré, et son port doit être confortable. C’est la raison pour laquelle elle doit être personnalisée, fabriquée à partir d’empreintes des arcades des patients. La plus facile de réalisation et la plus confortable est la gouttière thermoformée à partir de plaques souples de 1 ou 2 mm d’épaisseur. Les gouttières rigides en résine nécessitent la mise de dépouille des modèles et peuvent blesser la gencive. Il faut veiller à ce que les collets dentai­res, qui sont la partie la plus vulnérable de la dent, soient bien recouverts par la gouttière. Après estampage, la plaque est donc découpée environ 3 mm au-dessus des collets dentaires (fig. 1). Il est inutile de prévoir des espaces libres sur les faces vestibulaires comme pour les gouttières utilisées pour le blanchiment. Ces gouttières en plastique thermoformées sont cependant plus fragiles que les autres, nécessitent d’être entretenues à l’eau froide, d’être vérifiées dans le temps et d’être refaites lorsqu’elles ne recouvrent pas parfaitement les surfaces dentaires. Bien évidemment, elles ne doivent pas être plombées, comme on le voit encore parfois, ni être portées pendant les séances de radiothérapie. Elles sont cotées D30 (gouttière porte-topique…).

Quel type de gel fluoré doit-on prescrire ?

En France, nous avons toujours eu du gel de fluorure de sodium à disposition. Le Fluogel(r)-Sanofi Aventis (10 000 ppm) avait été mis sur le marché à destination exclusive des patients irradiés au niveau de la région cervico-faciale, il a disparu du marché il y a 2 ans et l’AFSSAPS a autorisé, pour le remplacer, l’utilisation du Fluocaril gel bifluoré 2000(r) (20 000 ppm) qui était jusque-là réservé à l’usage professionnel.

Dans d’autres pays, le fluorure d’étain à 0,4 % est aussi utilisé avec succès.

À quel moment doit-on réaliser la fluoration et pendant combien de temps ?

La fluoration doit être réalisée chaque fois qu’une hyposialie va compliquer le traitement radiothérapique, donc lorsque l’irradiation concerne les glandes salivaires, surtout les parotides. Elle n’est donc pas indiquée avec la curiethérapie interstitielle. Elle doit débuter avec le traitement radiothérapique. En effet, pendant le temps du traitement, la surveillance du patient est plus facile et permet de vérifier que le protocole est bien appliqué. Elle peut être interrompue lorsque la mucite rend les applications de fluor très douloureuses et reprise lorsque l’état buccal le permet, en général 3 à 4 semaines après la fin de l’irradiation. C’est d’ailleurs à ce moment-là que commence vraiment à s’installer la sécheresse buccale. Le protocole de fluoration généralement admis associe, d’une part, un brossage minutieux des dents 3 fois par jour après le repas avec un denti­frice fluoré (Fluocaril 250 mg(r)-Procter & Gamble, Elmex(r) -Gaba France, Elgydium(r) -Pierre Fabre Médicament « protection des caries » ou « dents sensibles »…) et une brosse à dents souple et, d’autre part, une application quotidienne de gel fluoré avec les gouttières pendant 5 minutes après un brossage. Il faut veiller à ce que le dentifrice ne soit pas abrasif et, en cas de grande sensibilité des muqueuses, prescrire un dentifrice fluoré non mentholé qui sera mieux toléré qu’un mentholé. La fluoration doit être poursuivie à vie lorsque la xérostomie est définitive, mais les applications de gel fluoré peuvent être espacées (1 application tous les 2 jours puis 2 applications hebdomadaires) au bout de quelques années, lorsqu’une bonne incorporation du fluor dans l’émail des dents est obtenue, ce que traduit une coloration plus blanche de ces dernières. Elles peuvent même être relayées par le brossage minutieux avec un dentifrice fluoré. Cela implique que le patient soit régulièrement suivi après l’irradiation (tous les 2 à 3 mois dans les années qui suivent le traitement). Un bon test pour juger de l’insuffisance d’apport en fluor est l’apparition d’une hypersensibilité des dents aux variations thermiques avant la survenue des caries.

Existe-t-il des moyens autres que les gels fluorés pour cette prévention ?

Actuellement, le protocole préconisé est celui des applications topiques de gel fluoré à l’aide des gouttières. On peut également réaliser cette fluoration par un dentifrice à forte teneur en fluor (Fluodontyl(r) -Procter & Gamble 13 500 ppm de fluor) dans les cas d’hyposialie modérée et sous réserve que le patient soit capable d’un brossage triquotidien rigoureux. Sur les trois brossages, au moins l’un d’entre eux est double : un premier brossage normal suivi d’un second avec un temps d’application de 3 minutes. Cela peut être suffisant, par exemple, pour les patients irradiés pour une maladie de Hodgkin chez lesquels la dose délivrée au niveau des parotides n’est pas très impor­tante ou lorsque l’irradiation épargne les glandes salivaires (irradiation unilatérale ou radiothérapie conformationnelle avec modulation d’intensité, ou RCMI). Mais, le dentifrice ne béné­ficiant pas d’une prise en charge, le coût de ce produit peut être un obstacle rédhibitoire pour certains patients.

Toutes les autres méthodes de fluoration n’ont pas fait leur preuve : vernis dont on connaît mal le comportement dans un milieu buccal perturbé, bains de bouche… Bien entendu, les comprimés de fluor ne doivent pas être utilisés. Actuellement, au MD Anderson Hospital de Houston, une technique de fluoration par des comprimés de fluor à libération continue qui sont portés par de petits containers fixés aux dents est expérimentée. Si son efficacité est confirmée, comme le laissent présager les premières études, cela aura le gros avantage de ne plus voir intervenir le manque de suivi des patients qui constitue la cause principale de l’échec de la fluoration par gel et gouttières.

Très concrètement, comment prenez-vous en charge les patients sur le plan odontologique dans votre institut (prise en charge globale ou en coordination avec les praticiens libéraux) ?

À l’Institut Claudius-Regaud (Centre de lutte contre le cancer de Toulouse), nous assurons la prise en charge bucco-dentaire avant, pendant et après l’irradiation, en coopération avec les praticiens libéraux. La première consultation a lieu en même temps que la consultation d’oncologie chirurgicale ou radiothérapique. Cela permet d’avoir le temps nécessaire à la remise en état de la denture et, surtout, de pouvoir bénéficier de l’anesthésie générale faite en vue de l’examen endoscopique des voies aérien­nes digestives supérieures pour réaliser les avulsions dentaires nécessaires avec un temps de cica­trisation suffisant. Lors de cette étape initiale, il nous arrive, pour les patients éloignés, de parta­ger les soins avec leur chirurgien-dentiste traitant, lorsqu’ils en ont un ! Les patients sont ensuite suivis pendant tout le temps du traitement pour vérifier la qualité des soins qu’ils apportent (bains de bouche, brossage des dents, fluoration) et les adapter à la mucite. Après l’irradiation, les consultations dentaires sont jumelées avec la consultation de surveillance carcinologique et, lorsque des soins sont nécessaires, on s’adresse au praticien traitant du patient avec lequel on travaille en étroite coordination.

LECTURES RECOMMANDÉES

• Maire F, Borowski B, Collangettes D, Farsi F, Guichard M, Gourmet R et al.

Options and recommandations (SOR) for good practices in dentistry for head and neck cancer patients. Bull Cancer 1999 ; 86 : 640-665.

• Le chirurgien-dentiste face au cancer. Du diagnostic précoce du cancer buccal à la prise en charge du patient cancéreux. Les Dossiers de l’ADF. Paris : Association dentaire française, 2008.

EN RÉSUMÉ

À chaque étape, concertation indispensable avec le radiothérapeute.

Avant la radiothérapie : • bilan bucco-dentaire en tenant compte :

– des modalités de l’irradiation prévue,

– de la compliance du patient ;

• mise en état de la cavité buccale :

– avulsions dentaires avec un délai de cicatrisation suffisant avant de commencer l’irradiation,

– soins et mise en place des mesures d’hygiène bucco-dentaire,

– réalisation des gouttières de fluoration.

Pendant la radiothérapie, surveillance des patients :

• qualité des soins buccaux ;

• respect du protocole de fluoration.

Après la radiothérapie :

• surveillance régulière du patient (tous les 2 à 3 mois) ;

• soins, avulsions, restauration prothétique en tenant compte des modalités de l’irradiation (volume irradié, dose).