Biothérapies et odontologie (partie 1) - Clinic n° 05 du 01/05/2015
 

Clinic n° 05 du 01/05/2015

 

BIOTHÉRAPIES

Lucie ADAM*   Guillaume FEUGUEUR**   Julie BÉMER***  


*Interne en DES médecine bucco-dentaire
Service d’odontologie
lucieadam17@gmail.com
**Groupe hospitalier du Havre
55, rue Gustave-Flaubert
76600 Le Havre
***Interne en DES chirurgie orale
Service d’odontologie
****Groupe hospitalier du Havre
55, rue Gustave-Flaubert
76600 Le Havre
*****Docteur en chirurgie dentaire
Ancienne interne
Ancienne AHU
Chef du Service d’odontologie
******Groupe hospitalier du Havre
55, rue Gustave-Flaubert
76600 Le Havre

Les thérapeutiques biologiques ciblées font désormais partie de l’arsenal thérapeutique à part entière dans le traitement des maladies auto-immunes inflammatoires et continuent de se développer. Dans cette première partie, il semble intéressant de faire le point sur les différentes molécules qui existent ainsi que sur leurs indications et complications principales. Dans une seconde partie, à paraître le mois prochain, il sera important de connaître les conduites à tenir, avant et pendant le traitement, face au nombre croissant de patients traités par ces thérapeutiques.

Les biothérapies correspondent à l’ensemble des thérapeutiques fondées sur l’utilisation d’organismes vivants (levures, gènes, cellules, tissus) ou de substances prélevées sur des organismes vivants (hormones, extraits d’organes ou de tissus). Ces nouvelles théra?peutiques regroupent les thérapies cellulaires, géniques, tissulaires et immunologiques. Ces dernières sont celles qui nous intéressent ici, elles ont une action précise visant la réaction inflammatoire.

Les biothérapies immunologiques, ou thérapies biologiques ciblées qui vont être présentées dans cet article, sont fondées sur l’inhibition spécifique de molécules impliquées dans les voies de signalisation cellulaire, de l’inflammation principalement. Elles ont des indications en rhumatologie, en dermatologie ou encore en gastro-entérologie et contribuent à une amélioration considérable de la qualité de vie par un meilleur contrôle de la maladie et de ses symptômes. L’instauration de ces traitements se fait en milieu hospitalier. Malgré tous les avantages qu’elles présentent, ces thérapies ciblées sont aussi responsables d’effets indésirables plus ou moins sévères.

Par ailleurs, d’autres biothérapies sont indiquées en cas d’ostéoporose et dirigées contre les ostéoclastes.

Enfin, il existe des biothérapies utilisées en oncologie et dirigées contre des facteurs de croissance – en particulier contre le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VGEF, vascular endothelial growth factor) –, à visée anti-angiogénique, dont il ne sera pas question ici.

Présentation des différentes biothérapies en fonction de leur molécule cible

Les principales biothérapies immunomodulatrices sont soit des anticorps monoclonaux, soit des protéines de fusion [1] (tableau 1). Elles sont aussi différenciées selon leur mode d’action : interaction avec les molécules cellulaires de surface ou avec les molécules sécrétées.

Principales pathologies traitées par biothérapie

L’action des biothérapies permet de lutter contre l’inflammation (en agissant sur les cytokines pro-inflammatoires pour la plupart) et, donc, de limiter ses effets délétères à long terme. Leurs indications principales sont donc les maladies auto-immunes inflammatoires ; celles-ci sont caractérisées par une inflammation chronique, provoquée généralement par une surexpression des cytokines inflammatoires [10]. Leur action est rapide et le rapport efficacité/tolérance est bon.

Polyarthrite rhumatoïde

La polyarthrite rhumatoïde est une maladie auto-immune qui entraîne une destruction articulaire progressive. Il s’agit du plus fréquent des rhumatismes inflammatoires chroniques qui touche 4 femmes pour 1 homme et débute entre 40 et 60 ans.

Cette maladie correspond à une inflammation synoviale chronique qui aboutit à une destruction du cartilage, ce qui engage le pronostic fonctionnel, ainsi qu’à des atteintes extra-articulaires sous forme de nodules pulmonaires, ce qui engage le pronostic vital.

Cliniquement, elle se manifeste par des oligoarthralgies persistantes de type inflammatoire évoluant par poussées, un gonflement articulaire, une atteinte bilatérale symétrique principalement et d’abord des mains, puis des pieds, des poignets, des coudes, des hanches, des épaules, du rachis et de l’articulation temporo-mandibulaire.

Son étiologie est multifactorielle, avec des facteurs endogènes et exogènes. Son mécanisme est fondé sur la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires comme le TNF-α. Dans tous les cas, on note la présence d’auto-anticorps (facteur rhumatoïde et anticorps anti-ccp). Les anticorps anti-ccp sont les plus importants et les plus précoces ; en cas de polyarthrite rhumatoïde récente, ils vont prédire la persistance de l’inflammation et l’évolution vers la destruction. La détection de ces anticorps est la technique principale de diagnostic.

Les objectifs du traitement de la polyarthrite rhumatoïde sont de diminuer l’inflammation, d’empêcher la détérioration structurale et d’améliorer la qualité de vie ainsi que la fonction articulaire. Selon le degré de l’atteinte, le traitement peut être non médicamenteux, local ou général :

• les DMARD (disease modifying anti-rheumatic drugs) : méthotrexate en première intention, leflunomid, hydroxychloroquine sulfate (Plaquenil®), sulfasalazine (Salazopyrine®) ;

• les biothérapies pour les polyarthrites sévères et résistantes : anti-TNF-α, anti IL-1, anti-CTLA4, anti IL-6, anti-CD20 [11, 12].

Spondylarthrite ankylosante

Il s’agit d’une inflammation chronique du squelette axial (articulations sacro-iliaques et rachis). Les hommes sont plus touchés que les femmes. La maladie débute entre 20 et 30 ans.

Elle est associée à des enthésites (inflammation des insertions osseuses tendineuses, ligamentaires ou des capsules articulaires). Les autres atteintes concernent les yeux (uvéites), l’intestin (inflammation) et le cœur (insuffisance aortique). Les symptômes initiaux sont souvent non spécifiques : il peut s’agir de lombalgies matinales, de douleurs rachidiennes, d’une raideur matinale du rachis. L’évolution se fait vers un enraidissement du rachis et entraîne un handicap fonctionnel ainsi qu’une altération de la qualité de vie.

Les prélèvements au niveau des articulations sacro-iliaques ont révélé la présence de lymphocytes T et une forte production de TNF-α.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens associés à de la kinésithérapie constituent le traitement de référence. En cas de réponse inadéquate, les anti-TNF-α peuvent être utilisés dans la spondylarthrite ankylosante sévère et active chez l’adulte [11, 12].

Arthrite juvénile idiopathique poly-articulaire

C’est la maladie rhumatologique la plus fréquente chez l’enfant. Elle touche de la même manière les deux sexes.

Elle est responsable de douleurs et d’une incapacité fonctionnelle à court et long termes, allant jusqu’à des anomalies de croissance, avec des répercussions importantes sur la qualité de vie.

Elle se traduit par une arthrite d’une ou de plusieurs articulations, pouvant apparaître tardivement, associée à un rash érythémateux, des adénopathies, une hépatomégalie, une splénomégalie ou une sérosite…

Une des complications graves est le syndrome d’activation des macrophages.

Le traitement vise à contrôler les symptômes, à améliorer la fonction, à limiter voire à éviter les dommages érosifs articulaires. Il repose sur l’utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens, de corticostéroïdes, ou de DMARD.

En cas de traitement inefficace ou mal supporté, l’utilisation des biothérapies suivantes est indiquée : anti TNF-α, anti IL-6, inhibiteur de la costimulation [12].

Psoriasis et rhumatisme psoriasique (fig. 1 et 2)

Il s’agit d’une dermatose inflammatoire auto-immune chronique. Elle est assez fréquente et atteint environ 2 % de la population mondiale. Le psoriasis touche autant les hommes que les femmes et peut survenir à tout âge.

Cette pathologie est sous la dépendance de facteurs génétiques révélés par divers facteurs de l’environnement. Elle est due à un renouvellement épidermique plus rapide que la normale.

L’inflammation cutanée est déclenchée par l’activation des lymphocytes T et ces derniers jouent un rôle majeur dans l’entretien de la maladie. Les kératinocytes activés produisent un certain nombre de cytokines pro-inflammatoires (TNF-α) [10].

Les lésions élémentaires du psoriasis touchent d’abord les genoux, les coudes, le sacrum et le cuir chevelu puis les parties génitales, l’ombilic, les ongles et la langue (langue géographique)…

Une atteinte articulaire associée est possible.

La décision du type de traitement à adopter se fait selon plusieurs facteurs : aspect des lésions, surface corporelle atteinte, retentissement sur le niveau de vie. Le traitement peut être local (dermocorticoïdes ± vitamine D, PUVAthérapie) ou général (rétinoïdes, méthotrexate, ciclosporine pendant maximum 12 mois), anti-inflammatoires non stéroïdiens pour les douleurs articulaires éventuelles).

Les biothérapies principalement utilisées dans le traitement du psoriasis sont les anti-TNF-α [12].

Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin

La plus fréquente des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin est la maladie de Crohn. La rectocolite hémorragique en fait également partie. Elles présentent toutes deux de grandes ressemblances au niveau des symptômes et des mécanismes pathogéniques [10].

Il s’agit d’inflammations chroniques du tube digestif atteignant :

• tout le tube digestif pour la maladie de Crohn ;

• exclusivement le rectum et le côlon pour la rectocolite hémorragique.

Ces pathologies débutent le plus souvent vers 25-30 ans et durent toute la vie. En France, respectivement 100 000 et 150 000 patients en sont atteints. Elles touchent généralement des sujets génétiquement prédisposés mais des facteurs environnementaux sont souvent associés.

Leur évolution se fait par une alternance de poussées et de phases de rémission, de façon peu prévisible.

La gravité est très variable d’un malade à l’autre et, chez le même malade, d’une phase évolutive à l’autre.

Ces pathologies se traduisent par des diarrhées chroniques et/ou nocturnes, des douleurs abdominales, des lésions anales, un saignement rectal et un défaut de croissance chez l’enfant. On note souvent une évolution de l’état général vers son altération.

Il peut exister des manifestations intestinales impliquant les articulations, les yeux et la peau.

Au niveau buccal, on peut noter des aphtoses importantes.

Le risque de développer un cancer colorectal est également augmenté.

Le principal facteur à l’origine de ces maladies est une perte de tolérance vis-à-vis de la flore bactérienne intestinale avec apparition d’une réponse immunitaire dérégulée conduisant à une inflammation intestinale et à des lésions muqueuses. Cela s’explique par une production excessive de cytokines pro-inflammatoires et, notamment, de TNF-α [10].

Le traitement est fondé sur des médicaments associés à une thérapie nutritionnelle et éventuellement à une chirurgie. Les classes médicamenteuses utilisées sont des corticostéroïdes, des aminosalicylates, des antibiotiques et des immunosuppresseurs. L’utilisation de corticostéroïdes à long terme n’est pas satisfaisante. Les thérapies biologiques ciblées offrent donc une alternative très intéressante. Ce sont principalement les anti-TNF-α qui seront utilisés dans ce cas [10, 12].

Ostéoporose (fig. 3)

Fin mai 2010, le dénosumab (Prolia®), première biothérapie contre l’ostéoporose, a été approuvé en Europe. Il s’agit d’un anticorps monoclonal qui bloque la fabrication des ostéoclastes, les cellules qui dégradent les os lors du remodelage, empêchant donc la perte osseuse. Le dénosumab, qui semble globalement bien toléré, est donc une nouvelle arme thérapeutique, notamment chez les patients pour qui les bisphosphonates ne sont pas efficaces ou sont mal supportés [13].

Le dénosumab (XGeva®) possède également une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le cadre de la « prévention des complications osseuses (fractures pathologiques, irradiation osseuse, compression médullaire ou chirurgie osseuse) pour les patients adultes atteints de tumeurs solides présentant des métastases osseuses ». Cependant, des cas d’ostéochimionécrose des maxillaires ont été relevés avec le XGeva®, si bien que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a réalisé une mise à jour des recommandations concernant les précautions à prendre pour limiter le risque d’ostéonécrose de la mâchoire [14].

D’autres indications des anti-TNF-α sont en cours d’évaluation : vascularite, sarcoïdose, lupus.

Traitements associés

Selon les indications, des traitements peuvent être associés aux biothérapies. Leurs effets indésirables viennent donc s’ajouter à ceux de ces dernières.

Parmi ces traitements associés se retrouve principalement le méthotrexate. C’est un DMARD et environ 80 % des patients manifestent une intolérance à son égard. Les effets secondaires possibles sont des troubles digestifs, des atteintes cutanéo-muqueuses, une fatigue, des céphalées et, plus rarement, des troubles hématologiques. Une augmentation de la survenue d’infections est également à noter.

L’association de méthotrexate aux anti-TNF-α est recommandée dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde. L’association avec des traitements de fond classiques (leflunomide, sulfasalazine en particulier) est possible [15].

Les autres traitements concomitants sont principalement les chimiothérapies, pour lesquelles il existe plusieurs protocoles et qui sont à l’origine de nombreux effets secondaires.

Conclusion

Les biothérapies constituent donc un arsenal thérapeutique important et font aujourd’hui l’objet de nombreuses recherches. Elles présentent un intérêt particulier dans le traitement de nombreuses maladies auto-immunes inflammatoires, notamment pour les patients répondant mal aux traitements de référence. Leurs indications ne cessent de s’étendre et, donc, le nombre de patients suivant ces traitements va croissant.

La seconde partie de cet article (à paraître dans le numéro de juin) montrera que les thérapies ciblées, comme tout traitement, ont des effets indésirables dont il faut avoir connaissance, car ils impliquent de prendre certaines précautions, notamment en odontologie.

Remerciements au Dr Bravard (chef du service de dermatologie, groupe hospitalier du Havre, Le Havre) pour ses photos sur le psoriasis.

Bibliographie

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  • [12] Dictionnaire Vidal 2014. Issy-les-Moulineaux : Vidal, 2014.
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  • [14] ANSM. Xgeva® (denosumab) : nouvelles informations pour minimiser les risques d’ostéonécrose de la mâchoire et d’hypocalcémie – Lettre aux professionnels de santé. Saint-Denis-la-Plaine : ANSM, 2014.
  • [15] HAS. Service des bonnes pratiques professionnelles. Guide ALD 22 « Polyarthrite rhumatoïde évolutive grave ». Saint-Denis-la-Plaine : HAS, 2008