« Créer un lieu de confiance entre chirurgiens-dentistes et complémentaires » - Clinic n° 08 du 01/09/2015
 

Clinic n° 08 du 01/09/2015

 

CATHERINE MOJAÏSKY
Présidente de la CNSD

L’ENTRETIEN

ANNE-CHANTAL DE DIVONNE  

Comment la profession peut-elle reprendre l’initiative face aux déviances de certains réseaux et aux plateformes de service ?

Sur quelles bases les négociations conventionnelles pourraient-elles s’ouvrir l’année prochaine ? Réélue présidente de la CNSD* pour 3 ans au congrès de Biarritz du 13 au 16 mai dernier, Catherine Mojaïsky porte une réforme en profondeur du financement de l’activité et la création d’un « réseau libéral ».

Que pourrait être ce « réseau libéral » que vous proposez ?

Les réseaux actuels sont une mauvaise réponse des complémentaires à un vrai problème : l’incohérence de la construction de nos honoraires. La médecine bucco-dentaire ne peut pas être traitée comme l’optique ou l’audioprothèse. Il nous faut donc adapter cette notion de réseau aux spécificités de notre profession, à ses règles déontologiques et à notre vision de la qualité.

L’idée est de créer un lieu de confiance entre les chirurgiens-dentistes et les complémentaires qui adhéreraient individuellement à ce réseau sur la base d’engagements réciproques.

Quels seraient ces engagements ?

Les confrères s’engageraient à respecter un certain nombre de pratiques qui rassureraient les complémentaires. Il pourrait s’agir de critères courants de qualité et de service, loin des exigences d’excellence restrictives. On pourrait aussi imaginer des prises en charge de maladies chroniques, la prévention, le parcours de soins… De la même manière, les complémentaires s’engageraient individuellement au moins sur ce qui figure dans la charte des bonnes pratiques signée avec l’UNOCAM*, voire au-delà.

Quel serait l’intérêt d’un tel réseau ?

Il pourrait effacer la méfiance de la profession vis-à-vis des complémentaires qui conduit à rejeter tout dialogue, mais aussi la défiance des complémentaires vis-à-vis de la profession. Elles nous présentent régulièrement des cas de dérapages de confrères.

Ensuite, une fois que les négociations conventionnelles tripartites - entre l’Assurance maladie, les complémentaires et la profession - auront abouti, d’autres négociations pourraient être menées avec chacune des complémentaires dans le cadre du réseau libéral. On peut aussi imaginer un lieu de dématérialisation d’échanges (devis, prises en charge, paiements en ligne de façon sécurisée). L’outil serait cogéré et garanti avec les complémentaires afin de rassurer tous les intervenants.

Vous renoncez à négocier la création d’autres réseaux de type MGEN* ?

Négocier des réseaux comme nous avons pu le faire avec la MGEN en 1996 n’est plus possible. Aujourd’hui, discuter uniquement de l’amélioration de la prise en charge des actes à tarif libre n’est plus cohérent puisque nous affirmons clairement que seule la ?revalorisation des actes opposables peut recréer de la cohérence économique en redonnant l’envie de soigner. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons buté dans nos négociations récentes avec Kalivia. Discuter sur les seuls tarifs des prothèses sans contrepartie sur les soins est impossible, que ce soit en bipartisme avec les complémentaires ou en tripartisme au niveau conventionnel.

Le directeur de l’UNCAM* a laissé entendre que les négociations conventionnelles pourraient s’ouvrir l’année prochaine. Que propose la CNSD ?

Notre idée est de créer une option conventionnelle dans laquelle les praticiens s’engagent à réguler les tarifs de certains actes prothétiques en échange de revalorisations fortes des actes opposables. Nous pourrions nous inspirer du contrat d’accès aux soins (CAS) mis en place pour les médecins desecteur 2 qui permet une amélioration des bases de remboursement en contrepartie de plafonnements.

Comme pour eux, il serait optionnel. Car nous sommes bien conscients que dans le contexte de défiance actuel, nous ne pouvons pas imposer une telle révolution à toute la profession. Mais l’Assurance maladie ne pourra pas financer seule cette réforme. Les négociations seront tripartites, avec les complémentaires. Elles ont tout à gagner car elles investiraient davantage dans les soins, la prévention, la chirurgie et seraient gagnantes sur une limitation tarifaire négociée pour certains actes de prothèse et peut-être une baisse induite des volumes.

La mise en place de la classification commune des actes médicaux (CCAM) était une première étape nécessaire pour mener à bien cette réforme car elle va permettre de mieux connaître notre activité et de chiffrer les impacts financiers.

La profession est-elle prête à accepter une limitation des honoraires d’actes prothétiques ?

La CNSD est prête à certaines conditions. Nous avons pour la première fois voté des motions qui vont dans ce sens. Mais j’observe aussi plus généralement que lorsqu’on demande aux confrères s’ils sont prêts à limiter certains tarifs de prothèses, un nombre croissant donne son accord. À condition, bien entendu, que la revalorisation des soins soit importante. Nous parlons ici d’un objectif final de doublement, voire de triplement des tarifs. Une indexation est évidemment indispensable pour ne pas se laisser enfermer dans les mécanismes vécus actuellement. C’est un bouleversement total de l’économie du financement de nos actes que nous portons. Nous sentons que les confrères veulent que le système bouge, que l’on ne soit plus enfermé.

Et l’Assurance maladie est-elle prête à négocier ce type d’accord ?

Le meilleur signe a été la prise de parole du directeur de l’Assurance maladie, au congrès de la Mutualité au début du mois de juin, se référant à la réforme structurelle. À noter que Nicolas Revel n’aurait jamais évoqué ces négociations conventionnelles s’il n’avait pas eu le feu vert du ministère de la Santé. Il a parlé de « négociations tripartites » et du fait qu’elles étaient possibles grâce aux « motions du syndicat majoritaire » (que nous lui avions transmises). Il a clairement annoncé que les négociations pourraient commencer après celles des médecins, donc d’ici 1 an. Ce temps n’est pas superflu pour préparer un bouleversement aussi important du financement de notre activité ! D’autant plus que tout est lié, y compris les mesures qui pourront être prises sur la démographie.

Quelles mesures prévoyez-vous pour la démographie professionnelle ?

La démographie doit aussi être traitée dans le cadre de cette négociation globale et je crois que Nicolas Revel l’a bien compris. Nous sommes favorables à une régulation conventionnelle. Elle est devenue indispensable compte tenu de l’inversion récente de la courbe démographique. Tous les nouveaux installés ne vont pas forcément là où on a besoin d’eux. Il faudra donc prendre des mesures un peu coercitives pour permettre une meilleure répartition des praticiens. Mais il serait incohérent de les installer dans des zones où ils ne peuvent pas vivre. Il faut que les cabinets puissent vivre des soins, de la chirurgie, de la prévention… Des mesures sur la démographie ne peuvent aller que de pair avec des mesures de restructuration de nos actes.

* CNSD : Confédération nationale des syndicats dentaires ; MGEN : Mutuelle générale de l’Éducation nationale ; UNCAM : Union nationale des caisses d’assurance maladie ; UNOCAM : Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire.