Poulet en forme d’épigramme - Clinic n° 01 du 01/01/2013
 

Clinic n° 01 du 01/01/2013

 

C’est mon avis

Armand Sedefdjian  

Président de l’association Médecine Égale Liberté amel-president@sfr.fr

Taïaut… taïaut… taïaut… ! La chasse aux « honoraires médicaux abusifs » est lancée. Avant de lâcher les meutes, décrivons le gibier en le décomposant.

L’honoraire est tout d’abord une abstraction qui a besoin, pour exister, de la rencontre de deux protagonistes. Le premier désire acquérir un bien en général immatériel, qui s’apparente à un service, auprès du second qui possède la compétence pour le lui fournir. Autrefois, cette...


Taïaut… taïaut… taïaut… ! La chasse aux « honoraires médicaux abusifs » est lancée. Avant de lâcher les meutes, décrivons le gibier en le décomposant.

L’honoraire est tout d’abord une abstraction qui a besoin, pour exister, de la rencontre de deux protagonistes. Le premier désire acquérir un bien en général immatériel, qui s’apparente à un service, auprès du second qui possède la compétence pour le lui fournir. Autrefois, cette transaction était qualifiée « d’échange de bons procédés ». Après quelques palabres, nos deux héros conviennent du montant de l’échange calculé selon des critères d’équilibre entre les avantages qu’attend le premier de son acquisition et la rémunération espérée par le second pour le service rendu. Cette rétribution se déclinant toujours au pluriel lorsqu’elle prend le nom d’honoraires, ou encore d’appointements, ou d’émoluments, on peut supposer que le gibier se déplace toujours en groupe… On ne peut donc que conseiller au chasseur de prendre ses précautions.

Les « honoraires médicaux » sont issus du croisement entre une espèce particulière de producteurs, les « professionnels de santé », et des utilisateurs, les « patients ». Les premiers sont en voie de disparition, surtout dans nos campagnes, mais les villes sont en cours de contamination. Alors que les seconds n’ont jamais été aussi nombreux car ils prolifèrent exponentiellement, atteints du syndrome dit de « l’allongement de l’espérance de vie ». En résulte un accroissement de ces honoraires, pour deux raisons : il est bien connu que ce qui est rare est cher, les économistes appellent cela « la loi de l’offre et de la demande », et le surcroît de travail qui pèse sur les épaules d’une espèce en constante diminution justifie à elle seule une augmentation de la rémunération. Ce que n’avaient pas imaginé les brillants technocrates de l’espèce particulière des énarques, à l’origine des restrictions de repeuplement de l’espèce en question. Une réplique de la myxomatose en quelque sorte, nommée ici numerus clausus.

Les « honoraires médicaux abusifs » sont la mutation des précédents et chacun sait qu’il faut absolument éradiquer les mutants. L’adjectif qualificatif qui y est accolé en justifie pleinement la chasse à outrance.

L’organisation de cette chasse est en elle-même un modèle de rationalité :

– la battue doit se mettre en place très longtemps à l’avance par moult provocations insidieuses auxquelles le gibier ne pourra se dérober ;

– les rabatteurs doivent être soigneusement choisis et conditionnés : associations de défense de « consommateurs », instances professionnelles, etc. ;

– l’arme elle-même est remarquable : il s’agit d’un fusil à deux canons qui sont baptisés, comme les cloches (qui au demeurant les ont conçus), le premier « opposabilité » pour amener et étourdir le gibier, le second « sanctions » pour l’achever ;

– les chasseurs enfin, qui jouissent de ce privilège exclusif et quelque peu exorbitant parce qu’ils sont issus d’un corps d’élite leur donnant tous les droits, y compris celui de se « planter » sans en assumer les responsabilités ni en subir les conséquences.

Résultat paradoxal : les « patients » qui se plaignent tout à la fois de la pénurie des professionnels de santé et des difficultés de l’accès aux soins réclament l’ouverture de la chasse… contre ces mêmes professionnels de santé et leurs « honoraires ».

Et à qui s’adressent-ils ? À ceux-là même qui ont introduit la « myxomatose » dans notre contrée.

Et ceux-là sont trop heureux de se voir dédouaner à si bon compte…

Comprenne qui voudra : ce fut le patient qui creva…