Un défaut d’information… et deux préjudices ! - Clinic n° 01 du 01/01/2013
 

Clinic n° 01 du 01/01/2013

 

Juridique

Audrey UZEL  

Cabinet Houdart et associés – Avocats au barreau de Paris

Le mois dernier, nous avions rappelé le devoir d’information incombant à tout professionnel de santé et la nécessité de conserver une preuve du consentement donné par le patient à l’intervention proposée. Le manquement à l’obligation d’information peut entraîner la responsabilité du professionnel. La jurisprudence est récemment venue préciser les préjudices que peuvent invoquer les patients.

Le principe. De manière traditionnelle, tant la Cour de cassation que le Conseil d’État considèrent que le défaut d’information du patient entraîne pour ce dernier une « perte de chance » de se soustraire au risque qui s’est finalement réalisé. Il s’agit d’un préjudice atypique, notamment au regard de son indemnisation.

En effet, le montant du préjudice né du défaut d’information est calculé en fonction du pourcentage qu’avait le patient d’éviter le risque réalisé. Ainsi, le juge chiffre le préjudice en pourcentage, en fonction d’indices relatifs à la nécessité de l’intervention, à l’existence ou non d’une alternative thérapeutique, et à la probabilité que le patient se serait soustrait au risque s’il en avait été informé. Il s’agit d’établir une sorte de bilan « coûts/avantages » entre les risques inhérents à l’acte médical et les risques encourus en cas de renonciation à l’acte. Il s’ensuit que si le risque était inévitable, le défaut d’information, qui constitue bien une faute, ne fait naître aucun préjudice pour le patient : il n’a fait perdre aucune chance de se soustraire au risque. Le patient, nonobstant la faute commise, n’est pas indemnisé. C’est ce que rappelle le Conseil d’État dans un arrêt du 10 octobre 20121. Mais, face à cette situation, les juges sont venus consacrer un nouveau préjudice, autonome de la perte de chance.

Le revirement. La Cour de cassation a consacré en premier le principe selon lequel le défaut d’information constitue une violation du principe de consentement du patient qui, « ainsi privé de la faculté de donner un consentement éclairé, avait nécessairement subi un préjudice2 ». Allant encore plus loin, elle précisait que le droit à l’information est « un droit personnel, détaché des atteintes corporelles » et que « la lésion de ce droit subjectif entraîne un préjudice moral3 ». Ainsi, le défaut d’information entraîne chez le patient un préjudice moral, alors même qu’aucune perte de chance ne serait retenue. Le Conseil d’État est ensuite venu s’aligner sur son homologue judiciaire en considérant que le défaut d’information n’a pas permis au patient de se préparer à l’éventualité des complications : « Considérant qu’indépendamment de la perte de chance de refuser l’intervention, le manquement des médecins à leur obligation d’informer le patient des risques courus ouvre pour l’intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d’obtenir réparation des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles4. » Sans reconnaître un droit subjectif à l’information, le Conseil d’État admet que le défaut d’information est susceptible de causer un préjudice moral autonome de la perte de chance. Toutefois, il ne fera l’objet d’une réparation que s’il est invoqué et établi et ne se voit pas reconnaître d’existence inhérente à la seule atteinte portée au droit à l’information.

1. N° 350426.

2. Civ. 1, 12 juin 2012, n° 11-18327.

3. Civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-17510.

4. N° 350426.

À RETENIR

Que les professionnels exercent à titre libéral ou en qualité de praticien hospitalier, ils sont tous soumis à une obligation d’information dont les incidences ont été élargies. Si un risque dont le patient n’a pas été informé se réalise, il pourra obtenir, outre l’indemnisation de sa perte de chance, une indemnisation pour préjudice moral, n’ayant pu se préparer à sa réalisation, alors même qu’il ne subirait, finalement, aucune séquelle. Le droit des patients s’en trouve renforcé. Reste à trouver la frontière entre la délivrance de l’information et la nécessité de ne pas affoler inutilement le patient.