Les ancrages alvéolo-dentaires et squelettiques profonds – 2e partie - Clinic n° 02 du 01/02/2013
 

Clinic n° 02 du 01/02/2013

 

ORTHODONTIE

Jean-Luc PRUVOST*   Jean-François ANDRÉANI**  


*Orthodontiste exclusif
Master of science, Georgetown University
98 avenue Kléber – 75116 Paris
**Spécialiste qualifié en chirurgie
maxillo-faciale.
Ancien chef de service adjoint en chirurgie
plastique
26 avenue Kléber – 75116 Paris

Nous avions conclu la 1ère partie de cet article (voir Clinic de janvier 2013) sur l’intérêt des plaques vissées face aux problèmes que posent les asymétries squelettiques et, plus particulièrement, les asymétries squelettiques et alvéolo-dentaires verticales du sourire dans le plan frontal (pointes des canines supérieures à la ligne bipupillaire). Or, dans les cas de moindre importance et notamment en technique linguale, nous sommes heureux d’avoir créé ce qui nous semble une technique moins invasive par le choix de vis et de connecteurs placés en des zones remarquables.

Les vis squelettiques et l’arc « Goggles® »

Vis palato-pyramidales

Les suites opératoires liées à la pose des plaques vissées nous ont fait recher­cher d’autres types d’ancrages de résistance similaire mais d’effets ­secondaires moindres ou pratiquement nuls.

Nous avons donc mis au point, à l’aide de longues vis dessinées par Deltex, 3 types de localisations alternatives s’appliquant soit à tout le monde, soit à des âges différents selon les vis et permettant d’appliquer des forces de 8 à 24 onces, soit 2 à 7 N, et des torques de 2 à 7 N/cm. Rappelons, pour savoir dans quel ordre de grandeur l’orthodontie évolue, que le reverse torque to failure [1] d’un implant ostéointégré palatin, donc d’os de grade 4, est de l’ordre de 40 N/cm et que les torques de serrage des piliers sont de l’ordre de 30 N/cm.

Fort de l’utilisation de téléradiographies de profil et de face, nous avons choisi une zone déjà fortement utilisée lors de précédents travaux [2]. Il s’agit, vue sur la téléradiographie de profil, de la zone palatine en arrière du canal médian où nous pénétrons selon un axe paramédian (pour éviter la suture) (fig. 1 à 6) d’arrière en avant, en passant par la couronne des deuxièmes prémolaires et par l’apex radiologique des premières prémolaires.

Sur la téléradiographie de face, nous voulons que ces vis convergent de bas en haut, visant la crête médiane antérieure du plancher des fosses nasales.

Cette zone est également appelée la pyramide maxillaire (fig. 1 et 2).

Les avantages de cette technique sont multiples :

• zone sans risque ;

• ancrage bicortical très stable ;

• faibles effets secondaires ;

• absence de douleur à la dépose ;

• facilité de confection d’accessoires ;

• relativement peu coûteuse ;

• convient à tous les âges ;

• très peu de contre-indications.

Cependant, cette technique demande un excédent d’effort de la part de l’orthodontiste qui devra prévoir plusieurs rendez-vous supplémentaires, dont un rendez-vous d’empreinte, ainsi qu’un travail de prothèse aidé de la visualisation des téléradiographies de face et de profil. Il faudra fabriquer un guide chirurgical (fig. 3), puis donner un rendez-vous de « radio guide en place » pour pouvoir ­renseigner le chirurgien au mieux.

Enfin, les vis une fois placées, un arc accessoire « Goggles(r) » (ce qui veut dire lunettes en anglais, à ne pas confondre avec Google, le fameux moteur de recherche), est mis en place (fig. 7). Il est ensuite sécurisé à l’aide de résine photopolymérisable et prêt à être activé à la traction sur les canines, les prémolaires mais aussi à la poussée contre les molaires par l’intermédiaire de jambes de force (fig. 8 et 9).

En fait, ce double ressort permet pratiquement tous les déplacements azimutaux possibles.

Enfin son utilisation la plus commune s’applique aux déviations de la ligne médiane supérieure associée le plus souvent à des malocclusions de type classe 2 asymétriques. Ces déplacements sont de type elliptique comme précédemment décrits par Alain Fontenelle et s’adressent indifféremment aux cas avec et sans extractions.

Ainsi, ce cas de forte asymétrie des lignes médianes vers la droite a-t-il pu être résolu jusqu’à une finition en intercuspidation maximum et en protection canine superposée à la relation centrée.

Vis ramiques et paracrestales

Parmi les zones de prédilection de placement d’ancrage, la branche montante de la mandibule possède de nombreux atouts.

Après avoir fait placer un certain nombre de plaques d’ostéosynthèse dans le corps mandibulaire, nous étions à la recherche d’un processus moins invasif tant à la pose qu’à la dépose, qui pouvait intégrer des tractions horizontales contre l’arcade inférieure mais aussi des tractions obliques et similaires à celles d’élastiques de classe 2 sans pour autant en avoir l’inconvénient majeur, c’est-à-dire la vestibulisation des incisives inférieures [3].

Ajoutons que cette zone est pourvue d’un os très cortical de qualité exceptionnelle.

Nous avons pensé innover avec une localisation quasi horizontale, environ 5 mm en apical des collets (fig. 10), dont le grand axe est parallèle à la droite joignant les faces vestibulaires des cani­nes et des molaires inférieures. Cette localisation n’est cependant pas sans poser de problèmes car il est difficile de voir cette vis émerger systématiquement. Il est donc nécessaire qu’elle soit connectée par un toron en fil de ligature de type Kobayashi en 0,014 pouce (fig. 11), ce qui n’est pas l’idéal pour la cicatrisation et le contrôle de l’inflammation. À ce sujet, nous avons rencontré un certain nombre de problèmes maintenant en grande partie résolus par le protocole suivant : la vis doit émerger dans la dépression la plus postérieure et la plus apicale du vestibule et longer, sans le toucher, le mur vestibulaire des procès alvéolaires de la 7 inférieure. De plus, la connexion avec la tête de vis devra être faite à l’aide d’un arc en.030 ou 19 Q 26 TP round edge en acier détrempé de façon à pouvoir être ajustée en fermeture autour de la vis.

Si la tête de la vis ne peut pas être suffisamment loin de la gencive, il est préférable qu’elle soit enfouie suffisamment profondément pour que seul émerge l’accessoire de connexion.

Vis paracrestales

Plus récemment, nous avons retenu la grande stabilité ainsi que la meilleure acceptation de vis que nous avons nommée paracrestale (fig. 12). Elles vont chercher leur stabilité dans la partie postérieure du corps mandibulaire et sont d’autant plus faciles à placer que l’origine de la ligne oblique externe est antérieure et que les faces externes des branches horizontales tendent, dans le plan frontal, à devenir divergentes l’une de l’autre en s’approchant du rebord basilaire. De plus, une partie de ces vis est enfouie, notamment pour leur tiers cervical, dans de l’os cortical, ce qui leur confère une stabilité exceptionnelle.

Dans le cas illustré par les figures 12 à 14, nous avons obtenu à la fois une résolution de l’encombrement et une diminution de la projection incisive (de 98° à 92°), soit une diminution de l’angle IMPA (angle formé par le grand axe de l’incisive inférieure) au plan mandibulaire (fig. 14), alors que ces deux paramètres varient à l’inverse l’un de l’autre sans ancrage. Rappelons que le contrôle de cet angle est la pierre angulaire de la réussite en orthodontie par le contrôle de l’ancrage [4].

Vis tubéro-ptérygoïdiennes

Les vis tubéro-ptérygoïdiennes sont réservées à l’adulte et nécessitent l’absence des dents de ­sagesse supérieures. Il s’agit d’un ancrage très sûr nécessitant cependant des mains très expérimentées [5] et même, parfois, l’usage d’un guide chirurgical (fig. 15) réalisé à partir d’un scanner (système Nobel Biocare).

Dans le cas illustré par la figure 15 [6], le diamètre des vis et leur longueur ont été portés respectivement à 2,5 mm et à 25 mm.

Dans le cas suivant (fig. 16), une technique plus simple a été utilisée sachant que la facilité de l’abord est très dépendante de l’ouverture buccale.

Ce cas, un des premiers, nous a surpris par la discrétion des suites opératoires. Cependant, on ne peut réfuter les risques opératoires liés à la proximité de la fente ptérygo-maxillaire.

Par ailleurs, cette méthode, contrairement aux plaques vestibulaires, ne donne aucun autre contrôle que le recul distal. Sachant que tout recul important aura tendance à créer de la constriction postérieure, cet élément est à prendre en compte dès le début de l’activation.

La traction à partir de cette vis placée très postérieurement a tendance à appliquer une force latérale centripète de par la forme ovoïde du maxillaire et s’accompagne souvent d’intrusion.

Il faut aussi, lors du temps chirurgical, prendre soin de décentrer vestibulairement l’axe d’insertion de la vis par rapport au grand axe de la deuxième molaire de façon à ne pas faire de cet ancrage une butée par ailleurs impossible à déposer si la tête de vis menaçait d’être surplombée par la face distale de la dernière molaire.

En revanche, les effets secondaires sont quasiment inexistants et la ressource pratiquement inépuisable. Les figures 17 à 20 sont là pour attester de l’efficacité de ces ancrages lorsque l’on connaît la difficulté des corrections des classes 2 par recul chez l’adulte.

Grâce à cette qualité, nous avons pu renouer avec le mouvement « distal en masse » cher à Tweed [4], le pape incontesté de l’orthodontie moderne et de la préparation d’ancrage. Nous avons pu ainsi réconcilier aussi l’orthodontie linguale et la finition gnathologique chère au Dr. Ronald Roth [7] (fig. 21 et 22) et, enfin, nous approcher de l’occlusion des dents naturelles telle que décrite par Ramfjord et Ash [8].

Résultats

Toutes ces nouvelles formes d’ancrage dit squelettique profond ont rempli leur mission, c’est-à-dire que nous avons pu nous y appuyer sans mesure et aussi longtemps que désiré à quelques exceptions près.

Les quelques échecs ont maintenant des causes reconnues qui sont :

• un mauvais calendrier d’activation [9] ;

• l’âge du patient ;

• le dessin des plaques ;

• le dosage des forces initiales ;

• la fragilité intrinsèque des systèmes.

Cependant il restait à en définir le champ d’application qui, contrairement à nos attentes, nous a surpris et, dans le même temps, nous a permis de comprendre combien étaient vaines dans de nombreux cas sans extraction, notamment chez l’adulte, nos tentatives de distalisation à l’aide de forces extra-orales ou d’élastiques.

En fait, bien que les systèmes soient employés 24 heures sur 24 avec des forces de l’ordre de 4 à 8 N, c’est-à-dire 2 à 4 fois plus puissantes que les forces élastiques usuelles, les mouvements observés sont lents, voire très lents.

Des effets secondaires de type constriction postérieure et croisé d’articulé obligent d’y associer une forte activation vestibulaire des arcs accessoires portés par les ancrages osseux de type Deltex ou Bollard [10]. Ces effets obligent souvent aussi au port d’élastiques postérieurs d’articulé croisé (cross bite).

La poussée à direction distale par la face vestibulaire induit sur la 17 une rotation de type disto-linguale (toe in) (fig. 23) difficile à contrecarrer surtout lorsque les tractions ultérieures doivent être faites à partir des faces palatines.

La solution ultime est d’y associer un arc « goggles » (fig. 8, 9 et 24) sur vis pyramidales, mais cela n’est pas garant de vitesse pour autant.

La figure 24 illustre un système de poussée hybride comportant un abord vestibulaire bilatéral par l’intermédiaire de plaques vissées à glissières Deltex et d’un arc « goggles » sur vis pyramidales en palatin relayé par des jambes de force de poussée distale (fig. 8 et 9).

Discussion

Aussi puissants et novateurs soient-ils, les ancrages squelettiques profonds n’ont cependant pas éliminé la nécessité d’avoir recours à la chirurgie orthognatique.

Quand ils sont utilisés dans des projets trop ambitieux, le temps de traitement est très allongé et fait regretter d’avoir éludé la chirurgie.

Cela est particulièrement criant dans les cas de classe 2 chez l’adulte où très peu de croissance mandibulaire est à espérer, bien que la technique de Herbst permette de faibles accroissements de la tête condylienne chez l’adulte [11-13] et où les déplacements distaux de racines demandent des moyens complexes contraires à l’esthétique recherchée pour les traitements en technique linguale (fig. 25). Il peut être nécessaire, pour contrôler les versions distales induites, d’avoir recours à des corticotomies, dont les suites sont aussi sévères qu’une chirurgie globale alors que la longueur des traitements ne semble pas, à nos yeux, sensiblement réduite. En revanche, utilisés comme solution intermédiaire et en appoint de la chirurgie orthognatique les ancrages profonds font merveille. Il n’est pas rare, en effet, qu’ils puissent être ajoutés au décours d’une chirurgie maxillaire comme dans le cas suivant (fig. 26 à 28) opéré par le Dr Jean-François Tulasne. Ce cas, classé parmi les rétrognathies sévères, présentait la particularité d’exhiber une forte asymétrie au maxillaire verrouillée par une occlusion profonde et à facette d’usure au niveau canin que la chirurgie seule ne pouvait pas résoudre [14].

Ces ancrages ont la fonction de véritables gouvernails (fig. 26, 27) dont les systèmes orthodontiques conventionnels ne sont pourvus que par l’utilisation d’artifices indirects beaucoup moins efficaces et beaucoup plus compliqués et contraignants : les élastiques et les bielles intermaxillaires, la friction, la consolidation par l’intermédiaire d’attelles, la fragmentation de l’ancrage résistant, l’ancrage cortical, les forces directionnelles et les extractions asymétriques.

La figure 28 montre comment ce dispositif (plaque d’ostéosynthèse en L inversé émergent au niveau de l’espace résiduel de la première molaire supérieure) permet de fermer l’espace de l’inter de la première molaire supérieure droite (fig. 27) au profit du recul prémolaire et canin.

Conclusion

Les ancrages squelettiques profonds ont prouvé leur efficacité et leur apport fondamental au niveau des plans de traitement et des résultats, ce qui, comme nous l’avons vu, agit a retro sur le diagnostic céphalométrique.

Leur utilisation ira croissant à mesure de la désensibilisation affective (peur) des patients et devrait ouvrir de nouveaux horizons thérapeutiques aux confrères orthodontistes, mais aussi à leurs correspondants intéressés par une chirurgie somme toute peu inva­sive, assez similaire à celle des implants et accompagnée de suites opératoires simples.

Cette chirurgie est d’ailleurs de plus en plus maîtrisée par un nombre croissant de généralistes, à l’exception toutefois des vis tubéro-ptérygoïdiennes qui restent du domaine de la chirurgie maxillo-faciale du fait de la proximité de la fente ptérygo-maxillaire et de son cortège de paquets vasculo-nerveux, en particulier de l’artère palatine.

Bibliographie

  • [1] Sullivan DY, Sherwood RL. The reverse torque to failure test : a clinical report. Int J Oral Maxillofac Implant 1996;11:179-185.
  • [2] Pruvost JL. Implants et orthodontie : méthodes peu orthodoxes ? Implantodontie 2000;39:41-48.
  • [3] Zacchrisson B, Platou C. Incisor position in Scandinavian children with ideal occlusion : a comparison with the Ricketts and Steiner standards. Am J Orthod 1983;83:341-352.
  • [4] Tweed CH. Clinical orthodontics. Vol 1 et 2. Saint-Louis : Mosby, 1966.
  • [5] Tulasne JF. Implants ptérygo-maxillaires. Expériences sur 7 ans. Implants 1992;4;459-67
  • [6] Huré G. Quand le maxillaire postérieur est atrophié… Dentoscope 2011 ; 86. http://www.dentoscope.fr/article-id-860011-maxillaire-posterieur-atrophie-cas-clinique-a.htm
  • [7] Roth R. Functional occlusion for the orthodontist. Part III. J Clin Orthod 1981;15:174-198.
  • [8] Ramfjord SP, Ash MM. Occlusion. Philadelphie : WB Saunders Co, 1971.
  • [9] Khoury G, Missika P. Réduire le temps de traitement : mise en charge immédiate. Inf Dent 2005;34:2060.
  • [10] Pruvost JL. Les ancrages alvéo-dentaires et squelettiques profonds. Clinic 2013;34:13-21.
  • [11] Pancherz H. 1985.The Herbst appliance. Its biologic effects and clinical use. Am J Orthodont 1985;87:1-20.
  • [12] Pruvost JL. The modular palatal disjunctor. J Clin Orthod 1989;23:36-40.
  • [13] Ishac M. Contribution à l’étude de l’hyperpropulsion mandibulaire par l’appareil de Herbst. Thèse de doctorat de 3e cycle. Lille : université de Lille, 1992.
  • [14] Tulasne JF. Vis et plaques vissées en chirurgie des maxillaires. Real Clin 1990;1:359-367.