Santé et propreté ne sont pas nécessairement liées - Clinic n° 06 du 01/06/2013
 

Clinic n° 06 du 01/06/2013

 

L’ENTRETIEN

Anne-Chantal de Divonne  

Parodontiste depuis 35 ans, Jacques Charon publie dans les semaines à venir, aux Éditions CdP, un « Mémento » sur la prévention en parodontie(1). Ce livre destiné aux omnipraticiens revisite un certain nombre d’idées reçues et permet aux chirurgiens-dentistes de s’engager au quotidien avec confiance et compétence dans l’exercice de la prévention. Clinic a rencontré l’auteur dans son cabinet à Lille.

JACQUES CHARON Parodontiste

Pourquoi avez-vous choisi d’être parodontiste ?

Installé comme omnipraticien en 1973 dans une petite ville de 5 000 habitants proche de Lille, je me suis rapidement rendu compte des limites de ce type de pratique malgré un confort matériel indéniable. Le décès par suicide d’un de mes patients pour lequel je n’étais pas parvenu à traiter une parodontite sévère fut l’événement de trop. Je l’ai évidemment très mal vécu avec un très fort sentiment de culpabilité et d’incompétence malgré l’obtention d’un CES de parodontologie. J’avais voulu traiter un problème dentaire sans prendre en compte la dépression sévère pour laquelle je n’avais aucune formation, même initiale. J’ai donc décidé que cela n’arriverait plus. J’ai choisi d’étudier aux États-Unis comme le faisaient, à l’époque, la plupart des parodontistes de référence. Les 2 années de formation clinique en parodontologie dans une université de Chicago m’ont déçu. J’ai appris en anglais ce que je connaissais déjà en français ! Par ailleurs, les techniques chirurgicales de l’époque aggravaient les symptômes dont se plaignaient les patients. Alors qu’on disait les patients guéris, ils se plaignaient de « dents de cheval », sensibles au froid et qui continuaient de bouger. La prothèse de contention était la seule solution.

J’ai alors eu la chance de rejoindre une équipe de recherche fondamentale en immunologie cellulaire aux National Institutes of Health de Bethesda, près de Washington DC. Parallèlement à la recherche, je m’occupais de la santé bucco-dentaire d’enfants atteints de maladies immunitaires graves et hospitalisés dans notre institut. Il était hors de question que ces enfants aient la moindre infection. Comme on ne pouvait pas les opérer, il fallait trouver d’autres solutions. Avec l’aide précieuse du docteur Paul Keyes et avec l’appui des données nouvelles de la recherche clinique, nous avons commencé à mettre au point une technique conservatrice non chirurgicale.

Vous rentrez cependant pour exercer en France…

Oui, après ces quatre années aux États-Unis, je me suis installé à Lille comme parodontiste « exclusif ». Ma motivation a été renforcée par le fait que j’avais personnellement été atteint d’une parodontite agressive peu après mon arrivée à Chicago, à l’âge de 33 ans. Ainsi, quand les malades m’expliquent leurs angoisses et leurs symptômes, je suis en mesure d’avoir de la compassion à leur égard et de les « comprendre ». Je suis donc étonné – c’est un euphémisme – quand, aujourd’hui encore, l’extraction ou la contention sont les premiers gestes le plus souvent réalisés quand une dent est mobile. Ces gestes n’ont plus que de très rares indications et sont injustes pour les patients car les techniques de sauvegarde des dents existent.

C’est la raison pour laquelle j’ai créé Paro Concept, une société de formation continue dans laquelle notre équipe enseigne depuis 25 ans aux chirurgiens-dentistes les gestes permettant, la plupart du temps, d’éviter les extractions. Cette technique est décrite dans un premier ouvrage paru aux Éditions CdP et réédité en 2009(2).

Quel est l’objectif de votre nouveau livre ?

C’est un livre de prévention « primaire ». Il donne au chirurgien-dentiste des clés pour que les patients restent en bonne santé générale et parodontale (la prévention « secondaire » permet aux patients qui ont souffert d’une maladie de ne pas récidiver).

Il s’agit donc, dans un premier temps, de dépister les patients qui ont le plus de risque de développer une parodontite sévère et, ensuite, de faire en sorte de préserver durablement les tissus parodontaux.

Certains paradigmes restent pourtant tenaces. Par exemple, celui qui consiste à expliquer aux patients que se « laver » les dents au moins deux fois par jour et aller régulièrement chez son chirurgien-dentiste est suffisant pour être et rester en bonne santé parodontale. Cette affirmation a été scientifiquement invalidée. De même, de nombreux patients pensent que les dents se « déchaussent » avec la vieillesse.

Les recherches des années 1980 ont démontré qu’en l’absence d’hygiène dentaire, certaines personnes (10 % environ) n’auront qu’une gingivite banale stable et que 80 % vont développer une parodontite à évolution très lente, peu symptomatique et facile à traiter. En revanche, en l’absence de prise en charge adéquate, de 10 à 15 % des patients souffriront d’une parodontite agressive très tôt dans leur vie d’adulte, quelles que soient leur hygiène et la fréquence de leurs visites chez le chirurgien-dentiste.

Pour ces personnes dites à risque, le fait d’aller chez un praticien non averti peut même s’avérer inefficace car un détartrage tel qu’il est trop souvent pratiqué d’emblée dans beaucoup trop de cabinets dentaires peut aggraver l’infection et les problèmes parodontaux. Il n’est donc pas justifié de penser qu’un détartrage « profond » ne peut faire que du bien, qu’il peut être délégué à un débutant et qu’il peut être renouvelé autant de fois que souhaité. En réalité, il est essentiel auparavant de s’assurer de pouvoir le réaliser en sécurité. C’est un des buts de ce nouveau Mémento clinique.

Vous insistez beaucoup sur l’aspect médical dans ce livre…

La partie médicale de la prévention est très largement abordée. En effet, la formation du chirurgien-dentiste dure 6 années pendant lesquelles on lui demande essentiellement d’être adroit. On oublie trop souvent les bases essentielles de médecine interne car on pense que ce n’est pas nécessairement utile pour soigner les caries et leurs conséquences. Or, en parodontie, les aspects médicaux apparaissent de plus en plus présents. Par exemple, les maladies cardio­vasculaires, le diabète et certaines maladies systémiques ont un lien direct et indirect avec les maladies parodontales. En effet, il est apparu qu’une infection buccale peut accentuer le risque cardio-vasculaire et que les ­parodontites sont la sixième complication du diabète.

Ainsi, la prévention en parodontie doit être envisagée non seulement pour des raisons dentaires mais également pour des raisons médicales.

Quelles sont les recherches à mener aujourd’hui ?

Aujourd’hui, il est facile d’arrêter la progression d’une parodontite et de faire en sorte que les dents conservent leurs fonctions. Cependant, des progrès considérables restent à réaliser du point de vue esthétique. La prévention est donc très importante afin d’éviter la destruction des tissus parodontaux et leurs désagréables conséquences sur l’aspect cosmétique.

(1) Jacques Charon. La Prévention primaire en parodontie. Rueil-Malmaison: Éditions CdP; 2013 (Mémento)

(2) Jacques Charon. Parodontie médicale, Innovations cliniques. 2e édition. Rueil-Malmaison : Éditions CdP; 2012 (JPIO)