Les taches blanches de l’émail – 1re partie Étiopathogénie - Clinic n° 09 du 01/10/2013
 

Clinic n° 09 du 01/10/2013

 

ODONTOLOGIE CONSERVATRICE

Vivien MOLL*   Christian PIGNOLY**  


*Interne (3e année d’attestation d’études approfondies)
Faculté d’odontologie, Aix-Marseille Université – APHM
**Maître de conférences des universités, praticien hospitalier – Odontologie conservatrice – Section restauratrice
Faculté d’odontologie, Aix-Marseille Université – APHM

Les patients sont de plus en plus attentifs à l’esthétique de leurs dents, ce qui les amène à considérer les taches blanches comme une réelle perturbation dans l’homogénéité de leur sourire. La volonté de suppression de ces taches est d’autant plus importante que les patients concernés sont souvent des adolescents (répercussions sur leur vie sociale). La connaissance de l’étiopathogénie de ces lésions et de la variabilité de leur expression clinique est indispensable afin de réaliser un diagnostic différentiel fiable. Les stratégies thérapeutiques à mettre en place à la suite de celui-ci seront abordées dans une 2e partie (Clinic, novembre 2013).

Perception des taches

Si l’émail, par son caractère opalescent, n’intervient que peu dans la teinte naturelle de la dent, il est entièrement responsable de la teinte blanche des taches en raison de l’altération de sa structure. En effet, les taches sont associées à une augmentation de la porosité de l’émail qui va permettre l’infiltration d’eau et d’air, ces derniers n’ayant pas le même indice de réfraction que celui de l’émail. Ainsi, les taches blanches paraissent plus marquées (plus blanches) lorsque la dent est déshydratée car plus l’indice de réfraction de la substance infiltrant les pores de l’émail (air ou eau) est petit et inférieur à celui de l’émail, plus la tache apparaîtra blanche [1, 2]. La perception inesthétique de ces taches dépend cependant de quatre facteurs indissociables :

• l’aspect qualitatif et quantitatif des taches (couleur, opacité, étendue, nombre) ;

• la distance ainsi que les conditions d’observation ;

• le patient ;

• le praticien.

Types de colorations

Colorations blanches

Vanini et al. [3] ont déterminé une classification permettant de mettre en évidence les caractérisations (dont les taches blanches font partie) d’une dent :

• type I, présence d’une tache uniforme (fig. 1) ;

• type II, petits nuages à différents niveaux (fig. 2) ;

• type III, flocons de neige distribués uniformément (fig. 3) ;

• type IV, bandes ou stries horizontales (fig. 4).

Colorations jaunes ou brunes

La présence de colorations brunes et jaunes est un critère qualitatif très important, ces colorations ayant une connotation de « dents sales » pour le patient. L’étiologie peut être :

• prééruptive, due à l’incorporation des produits de dégradation de l’hémoglobine ou de protéines (comme l’albumine) lors de la phase de maturation de l’émail ;

• postéruptive. L’augmentation de la porosité de l’émail augmente sa perméabilité et favorise la fixation de pigments ou chromophores.

Fluoroses dentaires

Le fluor, par son effet cariostatique, a été utilisé pour diminuer la prévalence de la carie. Cette supplémentation fluorée systémique et systématique a conduit à une augmentation de la prévalence de la fluorose dentaire. Cette dernière résulte donc d’un apport excessif et chronique de fluorures (apport supérieur à 1,5 mg/j chez l’enfant) durant la formation de la couronne dentaire par inhibition enzymatique, au cours du cycle de Krebs, des améloblastes.

Elle touche obligatoirement des groupes de dents, ce qui se traduit cliniquement par des atteintes symétriques de même sévérité (signe pathognomonique) correspondant à l’interrelation entre le moment de la prise de fluor et la période de minéralisation de l’émail. On parle de période à risque : pour les incisives maxillaires, Browne et al. [4] décrivent une période critique comprise entre 21 et 30 mois pour les femmes et entre 15 et 24 mois pour les hommes.

On peut observer la présence de stries horizontales (associées aux stries de croissance de Retzius) qui peuvent confluer pour former des taches piquetées ou nuageuses avec parfois une perte de substance par effondrement de la couche superficielle amélaire [5].

La classification de Dean de 1934, modifiée en 1942, recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) permet de différencier les situations suivantes [6] :

• dent normale : aspect lisse et glacé, couleur blanc crème, surface claire et translucide ;

• suspicion de fluorose : quelques taches blanches ou points blancs (fig. 5) ;

• fluorose très légère : petites taches opaques couvrant jusqu’à 25 % de la surface de la dent (fig. 6) ;

• fluorose moyenne : des zones opaques blanches couvrant jusqu’à 50 % de la surface de la dent (fig. 7) ;

• fluorose modérée : toute la surface des dents est touchée par les taches blanches avec, dans certains cas, la présence de taches brunes (fig. 8) ;

• fluorose sévère : toute la surface de toutes les dents est touchée, avec des piqûres discrètes, éparses ou groupées et associées à la présence de taches brunes (fig. 9).

Des études in vivo et in vitro [7, 8] ont permis de montrer que le fluor induit de manière caractéristique une double réponse (dose dépendante) au niveau du front de sécrétion de l’émail, consistant en une hyperminéralisation profonde suivie d’une hypominéralisation. On observe ainsi, de manière caractéristique :

• une très fine couche hyperminéralisée superficielle ;

• une partie profonde hypominéralisée avec des cristaux qui ont une croissance incomplète (plus petits). Cette hypominéralisation se situe dans le tiers externe de l’émail et suit les stries de Retzius ;

• une réduction de 10 % de l’épaisseur de l’émail ;

• que le contenu organique dans les zones hypominéralisées est de nature identique à celui de l’émail sain mais qu’il est augmenté.

Hypominéralisation des molaires et des incisives

Il a été convenu, lors du 6e congrès annuel de l’Académie européenne d’odontologie pédiatrique (EAPD) de 2003, que la dénomination « hypominéralisation molaire et incisive » (MIH : molar-incisor hypomineralisation) serait désormais utilisée pour décrire l’hypominéralisation des premières molaires et des incisives permanentes ne correspondant pas à une autre pathologie. La prévalence de cette pathologie a fait l’objet de nombreuses études et s’échelonne entre 3,8 et 21,5 % [9].

L’hypominéralisation molaire et incisive est un défaut de développement conduisant à une hypominéralisation de 1 à 4 des premières molaires permanentes, fréquemment associée à des défauts similaires touchant les incisives définitives. C’est un défaut qualitatif de l’émail d’origine systémique, acquis lors de la minéralisation des couronnes entre la naissance et l’âge de 4 ans [10]. Cependant, l’étiologie de cette pathologie est mal connue ; les auteurs s’accordent sur le fait qu’elle est multifactorielle et qu’elle touche essentiellement les enfants présentant des problèmes de santé dans les premières années de leur vie (asthme, allergies…) et/ou exposés à des conditions environnementales particulières et/ou nés de manière prématurée [11, 12].

Cliniquement, les taches sur les incisives présentent plusieurs spécificités [13, 14] :

• l’atteinte dans le secteur antérieur est toujours moins sévère que celle des molaires. De plus, elle ne concerne que les incisives centrales ou latérales et parfois la pointe cuspidienne de la canine (absence d’atteinte des prémolaires) (fig. 10). Ainsi les taches sur les incisives associées au MIH se distinguent des taches associées aux fluoroses : elles sont asymétriques (les dents homologues ne sont pas forcément concernées) et de sévérité variable entre elles ;

• la limite avec l’émail sain est nette ;

• les taches peuvent être blanches, crème, jaunes ou brunes (fig. 11), ces colorations n’étant pas forcément postéruptives.

L’atteinte des molaires reste cependant le signe pathognomonique de l’hypominéralisation molaire et incisive, l’atteinte des incisives étant moins sévère que celle des molaires.

Si l’expression des taches est spécifique sur le plan clinique, elle l’est également sur le plan structurel :

• réduction d’environ 20 % du contenu minéral ;

• localisation de l’hypominéralisation en profondeur, à la jonction amélo-dentinaire ;

• persistance de la liaison d’albumine aux cristaux lors des phases de maturation [15] considérée comme étant à l’origine des colorations jaunes ou brunes prééruptives.

Un point remarquable est la relation entre la couleur de la lésion et la sévérité de l’atteinte. En effet, les opacités jaunes et brunes sont plus poreuses que les colorations plus claires et concernent la totalité de l’épaisseur de l’émail alors que les colorations crème ou blanches ne concernent que la partie interne de l’émail (hypominéralisation à partir de la jonction amélo-dentinaire), rendant l’accès aux traitements plus difficiles [16, 17].

Taches postorthodontiques

Les taches blanches postorthodontiques sont des leucomes précarieux caractérisés par une déminéralisation de surface à l’origine de la modification des propriétés optiques. Le facteur étiologique le plus fréquent est une hygiène bucco-dentaire perfectible [18]. En effet, la présence des brackets rend difficile l’accès à l’hygiène et augmente la rétention de plaque. La durée du traitement et la mise en place de mesures préventives – fluor, phosphate caséine-phosphate de calcium amorphe (CPP-ACP, casein phosphopeptide-amorphous calcium phosphate) ont une influence importante sur l’apparition, l’évolution et la réversibilité de ces lésions. Gorelick et al. [19] décrivent quatre stades de lésions, l’importance de celles-ci pouvant varier d’une dent à l’autre :

• stade 0, absence de lésion ;

• stade 1, lésion en arc de cercle cervical (fig. 12) ;

• stade 2, lésion sévère qui peut toucher toute la périphérie du bracket (fig. 13) ;

• stade 3, présence d’une cavitation (fig. 13).

Concernant la modification de la structure de l’émail, les caries amélaires des surfaces lisses se caractérisent par une déminéralisation pyramidale dont la base est parallèle à la surface de la dent [20]. Sur le plan clinique, ces taches se développent autour du bracket ou du ciment, ce qui explique leur forme caractéristique en C [21]. Les dents préférentiellement atteintes sont les premières molaires, les incisives latérales et les canines mandibulaires. La localisation de ces lésions est le plus souvent cervicale [22], favorisant ainsi l’évolution vers un stade 3 (épaisseur d’émail faible). Dans certains cas, les lésions se colorent à cause de l’incorporation de pigments extrinsèques lors de leur reminéralisation.

Complications d’un traumatisme des dents temporaires

Le traumatisme des incisives temporaires maxillaires ou ses complications infectieuses peuvent entraîner des perturbations de structure ou de position des incisives permanentes. Compte tenu de sa fréquence (un tiers des enfants âgés de 5 ans), cette étiologie ne doit pas être négligée. Les incisives maxillaires sont le plus souvent touchées à cause de la proximité anatomique entre l’apex des incisives temporaires et le germe sous-jacent (présence d’une barrière de moins de 3  mm entre les deux éléments anatomiques, celle-ci pouvant n’être constituée que de tissu fibreux) [23].

Andreasen et al. [24] ont établi une classification des perturbations du développement des dents permanentes par suite d’un traumatisme des dents temporaires. Seuls les trois premiers stades de cette classification nous intéressent car ils entraînent la formation de taches sur les incisives permanentes :

• décoloration blanche ou jaune brun de l’émail (fig. 14) ;

• décoloration blanche ou jaune brun de l’émail avec présence de défauts détectables cliniquement à la surface de l’émail ;

• décoloration blanche ou jaune brun de l’émail avec une hypoplasie circulaire de l’émail.

Le type et la sévérité de ces complications dépendent de trois facteurs :

• l’âge. Plus l’enfant est jeune, plus le germe est immature et les conséquences sur ce dernier seront importantes. Les phénomènes d’hypoplasies sont le plus fréquemment retrouvés avant l’âge de 3 ans alors que les décolorations peuvent survenir à des stades beaucoup plus tardifs [25] ;

• le type de traumatisme. Plus le déplacement de la racine est apical et palatin (couronne en vestibulaire), plus le risque de complication est important [26] ;

• le type de traitement. Un traitement adapté de la dent temporaire est nécessaire pour éviter les complications infectieuses pouvant avoir une influence sur le développement du germe sous-jacent [27].

Les colorations brunes sont liées au saignement périapical à la suite du traumatisme : les produits de dégradation de l’hémoglobine s’incorporent dans la structure hypominéralisée de l’émail, même après l’arrêt de sa formation [28].

Étiologies associées

Une association de plusieurs étiologies n’est pas un phénomène rare, compte tenu de la prévalence de chacune d’elles. Ainsi, il faudra essayer de les mettre en évidence pour pouvoir adapter le traitement.

Ces deux patientes (fig. 15 et 16) présentent des signes cliniques caractéristiques d’une hypominéralisation molaire et incisive (taches asymétriques antérieures, lésions des premières molaires) et d’une fluorose (stries horizontales touchant de manière symétrique différents groupes de dents).

Conclusion

La réalisation d’un diagnostic étiopathogénique est essentielle avant d’envisager toute tentative thérapeutique visant à traiter les taches blanches. Au-delà du diagnostic, l’examen clinique doit permettre d’apprécier la sévérité, l’évolutivité ainsi que la visibilité de ces taches blanches lors du sourire.

À suivre…

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