Le scellement aux ciments verres ionomères en prothèse est-il « has been » ? - Clinic n° 07 du 01/07/2016
 

Clinic n° 07 du 01/07/2016

 

BIOMATÉRIAUX

Lucile DAHAN  

Ancien interne des Hôpitaux de Paris
praticien libéral
16 avenue Pierre 1er de Serbie
75116 Paris

Il est de plus en plus fréquent d’avoir recours aux techniques de collage pour assembler les éléments prothétiques. Bien qu’essentiel dans l’arsenal thérapeutique, le collage ne peut pas être considéré comme un mode d’assemblage universel. C’est pourquoi les praticiens ont encore recours aux ciments de scellement dans certaines situations cliniques. À l’heure actuelle, deux types de ciments définitifs peuvent être utilisés : les ciments oxyphosphate de zinc ou les ciments verres ionomères.

L’utilisation des ciments verres ionomères sera décrite dans cet article à l’aide de deux situations cliniques.

Généralités

Parmi les ciments verres ionomères (CVI), on différencie deux catégories : les ciments verres ionomères « classiques » et les ciments verres ionomères modifiés par adjonction de résine (CVIMAR).

Les CVI (par exemple Ketac™ Cem, 3M ESPE) présentent une adhésion spontanée aux tissus dentaires et plus faiblement aux alliages métalliques. Ils ont une bonne étanchéité à condition qu’ils soient manipulés correctement (il faut éviter non seulement le contact immédiat avec l’humidité mais aussi la déshydratation). Leurs propriétés mécaniques ne sont pas excellentes avec une faible cohésion du matériau (inférieure à sa force d’adhésion à la dent) [1].

Les CVIMAR (par exemple Ketac CEM™ Plus, 3M ESPE ; FujiCEM™ 2, GC…) sont des CVI auxquels a été rajoutée une partie résineuse. Ils ont été mis au point pour pallier les principaux défauts des CVI (sensibilité à la balance hydrique et faibles propriétés mécaniques). Ils présentent tous les avantages des CVI (adhésion spontanée aux tissus dentaires et aux métaux, relargage de fluor…). Leur caractère hydrophile associé à leur résistance à l’hydrolyse fait qu’ils sont moins sensibles à la ?manipulation que les CVI et qu’ils peuvent être utilisés avec de bons résultats dans des situations cliniques « critiques ». Leurs propriétés mécaniques sont nettement améliorées par leur partie résineuse [1]. Ils se présentent le plus souvent en capsules prédosées ou en seringues automélangeuses, permettant ainsi d’avoir un produit de qualité constante et optimisée. C’est pourquoi il est plus simple et plus sûr de sceller des éléments prothétiques avec un CVIMAR qu’avec un CVI.

Les ciments verres ionomères modifiés par adjonction de résine s’utilisent pour sceller des pièces prothétiques qui répondent aux critères suivants [2] :

• rétention intrinsèque suffisante — l’opposition des parois de la préparation permet à elle seule de maintenir la pièce prothétique en place ;

• adaptation marginale excellente — la pièce prothétique s’adapte parfaitement à la préparation, sans friction excessive et avec joint marginal inférieur à 100 µm (seuil de détection de la sonde).

Bien qu’ayant des propriétés mécaniques de plus en plus élevées, les ciments verres ionomères modifiés par adjonction de résine ne sont toujours pas recommandés pour l’assemblage des inlays-onlays en céramique ou composite [3, 4] en première intention et sont contre-indiqués pour celui des facettes.

Les CVIMAR ont fait leurs preuves dans le scellement des éléments métalliques ou céramo-métalliques [2, 5]. Il est donc toujours d’actualité de les utiliser pour assembler des inlay-cores et/ou des couronnes céramo-métalliques dento-portées.

Le problème se pose face à des couronnes céramo-céramiques, qu’elles soient à base vitreuse comme l’E.max® (Ivoclar Vivadent), à base alumineuse ou à base de zircone. C’est la situation clinique qui va guider le choix du matériau d’assemblage avec, notamment, la réponse à ces deux questions :

• est-il possible de mettre en place un champ opératoire étanche ?

• est-ce que les propriétés optiques du matériau d’assemblage influent sur le rendu esthétique final de la prothèse ?

Si les réponses sont positives, il est préférable d’utiliser une colle plutôt qu’un ciment pour assembler une prothèse céramo-céramique. Mais si les limites de la préparation doivent être placées en sous-gingival, le contrôle parfait de l’humidité s’avère difficile. L’utilisation d’un CVIMAR est alors une solution plus fiable pour l’assemblage des couronnes céramo-céramiques [2, 6].

Cas clinique n° 1 (fig. 1 à 12)

Il s’agit du scellement d’une couronne d’une couronne E.max® sur 16 (laboratoire Nouvelles Technologies, Paris 14) (fig. 1 et 2).

Après dépose de l’ancienne couronne céramo-métallique et retraitement endodontique, une ?reconstitution corono-radiculaire en résine composite a été réalisée. Lors de ces étapes, la mise en place d’une Automatrix® (Dentsply) a été nécessaire pour pouvoir poser un champ opératoire (digue) étanche. La reprise finale des limites de préparation a amené le praticien à placer le futur joint dento-prothétique en sous-gingival. Au vu de la situation des limites et de la concavité mésiale, un contrôle parfait de l’humidité (notamment du fluide créviculaire) s’avère très difficile. Une élongation coronaire risquerait d’exposer la furcation radiculaire et la pose d’une digue dentaire pourrait entraîner une récession gingivale. La solution d’assemblage choisie a donc été un scellement au CVIMAR (FujiCEM™ 2) (fig. 3).

Même lors de l’utilisation d’un CVIMAR, le fabricant recommande de mordancer l’intrados de l’e.max® pendant 20 secondes avec de l’acide fluorhydrique à 9,5 % (ici : Porcelain Etch®, Ultradent) (fig. 4).

Après rinçage de l’acide fluorhydrique, la pièce prothétique peut être passée dans une cuve à ultrasons remplie d’alcool pendant 3 à 5 minutes [7] pour éliminer les sels créés par l’attaque acide et obtenir une surface microporeuse parfaitement propre. L’élimination des sels peut aussi se faire en appliquant un gel d’acide orthophosphorique à 35 % sur l’intrados et en le frottant pendant 30 à 60 secondes [8]. Après rinçage et séchage, l’intrados apparaît blanc crayeux, signe d’un mordançage efficace (fig. 5).

Vient ensuite la pose du silane. Selon les données du fabricant de l’E-max®, cette étape est optionnelle pour un assemblage au ciment verre ionomère. La mise en place du silane pourrait améliorer les valeurs d’adhérence en créant une liaison chimique supplémentaire avec la partie résineuse des CVIMAR mais aucune publication n’est disponible sur l’apport ou non de ce procédé. En cas de silanisation, le silane est appliqué en couche unique, fine, et laissé à l’air libre pendant 3 minutes pour favoriser l’évaporation des solvants qu’il contient (fig. 6).

Avant tout assemblage, la préparation doit être parfaitement nettoyée. Le sablage à l’alumine 27 µm est une solution rapide et efficace pour obtenir une surface propre. La difficulté de cette technique est de ne pas faire saigner la gencive (surtout lorsque les limites sont sous-gingivales), au risque de compromettre la qualité du scellement. L’utilisation de la microsableuse SD Etch’Air® (SD2) présente plusieurs avantages :

• embout très fin permettant une application précise ;

• sablage sec permettant un contrôle visuel aisé pendant toute la procédure (fig. 7).

Le contrôle de l’humidité est alors assuré par la mise en place d’un écarteur buccal et d’une aspiration, mais la dent doit rester légèrement humide (aspect brillant de la préparation). L’adhésion des CVIMAR à la dent peut être améliorée par l’utilisation d’une solution d’acide faible (acide polyacrylique ou mélange acide citrique 10 %-chlorure ferrique 2 % comme pour le Fuji Plus™, GC) [1, 9] (fig. 8). Dans ce cas clinique, du FujiCEM™ 2 (GC) sera utilisé. Suivant les recommandations du fabricant, le traitement de surface à l’acide faible est optionnel pour ce CVIMAR.

Les CVIMAR sont disponibles en capsules prédosées à vibrer ou en seringues automélangeuses. Ces dernières ont l’avantage :

• d’être simples d’utilisation ;

• de ne demander aucun matériel supplémentaire (vibreur, pistolet…) ;

• d’avoir un embout mélangeur fin pour une application précise ;

• d’assurer constance et qualité du mélange.

Il faut veiller à toujours extruder un peu de matériau avant de mettre l’embout mélangeur afin de vérifier que les deux pâtes sortent bien en même temps de la seringue (fig. 9).

Une fois l’intrados chargé de ciment, la couronne est mise en place. Pour faciliter cette étape, l’utilisation d’un bâtonnet de cire collante (OptraStick®, Ivoclar Vivadent) est conseillée. Lorsque le ciment commence à devenir mat, les excès peuvent être retirés. Pour certains CVIMAR (par exemple Ketac CEM™ Plus, 3M ESPE), il est possible de faire une photopolymérisation de quelques secondes pour faire « croûter » le matériau et l’éliminer. La couronne doit être maintenue sous pression pendant toute la procédure et l’humidité contrôlée (fig. 10).

Cas clinique n° 2 (fig. 13 à 17)

Il s’agit du scellement d’un inlay-core cobalt chrome (Co-Cr) au CVIMAR (laboratoire Nouvelles Technologies, 75014 Paris).

Pour choisir entre colle et ciment dans un assemblage en intraradiculaire, il faut garder à l’esprit que coller implique :

• de nettoyer parfaitement la dentine radiculaire pour éliminer toute trace d’eugénol (contenu dans la majorité des ciments endodontiques). Les colles ont toute une matrice résineuse et l’eugénol inhibe leur prise ;

• d’avoir un champ opératoire étanche (pose de la digue conseillée), les colles étant très sensibles à l’humidité (exception : le SuperBond®, Sun Medical).

Lorsque l’inlay-core est indiqué, il est alors plus simple de le sceller au CVIMAR.

Compte tenu de la perte de tissus dentaires et de la concavité radiculaire mésiale, l’isolation parfaite de la dent est difficile. Dans ce cas clinique, il a été possible de réaliser un inlay-core anatomique avec un tenon palatin de longueur supérieure à la couronne clinique (avec conservation de 5 mm de gutta-percha à l’apex) et un « avant-trou » vestibulaire de 2 mm de profondeur. L’inlay-core étant donc rétentif par lui-même, il est possible de le sceller (fig. 13).

Remarque : en cas de tenon court ou de manque de rétention intrinsèque de l’inlay-core, un collage au SuperBond® (Sun Medical) est préférable.

La préparation est soigneusement nettoyée – sablage à l’alumine 27 µm via la SD Etch’Air®, brossette à usage intraradiculaire type Rotoprox® (Hager & Werken) sur contre-angle bleu + EDTA liquide – puis rincée. L’excès d’eau est retiré avec une pointe de papier stérile. La préparation doit cependant rester légèrement humide et garder un aspect brillant [1].

Attention ! L’utilisation d’eau oxygénée est contre-indiquée avec ce CVIMAR.

L’apport de matériau en intraradiculaire est facilité par l’utilisation d’un embout fin et coudé sur la ?seringue automélangeuse. Certains praticiens ont l’habitude d’enduire les parois radiculaires à l’aide d’un lentulo. Cette technique a l’inconvénient de chauffer le CVIMAR et d’accélérer sa prise, au risque de ne plus pouvoir insérer correctement la pièce prothétique. La technique de la double enduction (dans le canal et sur l’inlay-core) paraît moins risquée et tout aussi efficace (fig. 14 et 15).

L’inlay-core est placé dans la racine à l’aide d’un bâtonnet de cire collante (OptraStick®, Ivoclar Vivadent). Il est maintenu sous pression modérée. Le temps de travail du FujiCEM™ 2 est de 2 minutes 15 secondes à température ambiante (il est possible de l’allonger en abaissant la température). Les excès sont retirés quand le ciment commence à devenir mat et caoutchouteux (fig. 16).

Selon les recommandations du fabricant, les finitions peuvent commencer 4 minutes 30 secondes après la mise en place de l’inlay-core. Il est conseillé néanmoins de faire très attention lors du rebasage de la couronne provisoire pour ne pas exercer des forces de retrait excessives et desceller l’inlay-core. Il faut garder en mémoire que la prise d’un CVIMAR de scellement se fait selon deux réactions : une réaction d’oxydoréduction (réaction d’autopolymérisation de la partie résineuse) suivie d’une réaction acide-base (polymérisation typique des ciments). La polymérisation de la résine s’effectue en premier et c’est elle qui permet de retoucher rapidement le CVIMAR en clinique. Mais cette polymérisation ne représente que 15 % de la prise totale du matériau. Il faut donc attendre la fin de la réaction acide-base pour obtenir les propriétés biologiques et mécaniques optimales de ce matériau d’assemblage (ce qui peut prendre jusqu’à 7 jours après mise en place du CVIMAR) [1] (fig. 17).

Conclusion

Il existe encore des indications pour le scellement des pièces prothétiques, quelle que soit leur nature. Malgré les messages publicitaires vantant « l’universalité » des colles (notamment des colles auto-adhésives), les ciments doivent garder une place dans notre arsenal thérapeutique. Les CVIMAR sont un bon compromis entre scellement et collage (adhésion spontanée aux tissus dentaires), ils sont efficaces, fiables, leur protocole et leur manipulation sont simples et ils sont moins coûteux que les colles. Seule la situation clinique guide le choix du praticien (rétention intrinsèque de la pièce/possibilité d’isolation de la préparation/influence des propriétés optiques du matériau d’assemblage sur la restauration finale). Il vaudra toujours mieux mettre en œuvre un bon scellement qu’un collage moyen.

Bibliographie

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  • [3] Hill EE, Lott J. A clinically focused discussion of luting materials. Aust Dent J 2011;56 (suppl. 1):67-76.
  • [4] Haute Autorité de santé. Reconstitution d’une dent par un matériau incrusté (inlay-onlay) : rapport d’évaluation technologique. Saint-Denis-la-Plaine : HAS, 2009.
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  • [9] Yapp R, Hirano K, Nelson P, Powers JM. Mechanical properties of original GC FujiCEM Automix and new GC FujiCEM 2 automix cement. The Dental Advisor 2012;47.