La péri-implantite pourrait-elle devenir un problème de santé publique ? - Clinic n° 03 du 01/03/2014
 

Clinic n° 03 du 01/03/2014

 

L’entretien

Anne-Chantal DE DIVONNE  

Des données récentes montrent une progression de la péri-implantite depuis une dizaine d’années. La cigarette, l’hygiène et les antécédents de maladie parodontale ne suffisent pas à l’expliquer. Les soupçons se portent sur l’utilisation des implants à surface rugueuse pour comprendre ce phénomène. Avec un jeune confrère, Philippe Khayat fouille toute la littérature scientifique sur le sujet pour éclaircir cette question.

Comment expliquer la progression des péri-implantites ?

Le nombre d’implants posés en France a été quasiment multiplié par quatre en 10 ans. Il avoisine probablement les 400 000 par an aujourd’hui alors qu’il était de 110 000 en 2003. Compte tenu de cette progression et de la banalisation de la pose d’implants, la proportion de personnes ayant des facteurs de risque, dont les plus importants sont le fait de fumer et de ne pas avoir une très bonne hygiène bucco-dentaire, a augmenté. Cela explique que nous soyons confrontés de plus en plus souvent à des patients qui présentent des péri-implantites. Les études dont nous disposons vont dans ce sens, les taux de péri-implantites oscillent entre 4 et 37 % à 8 ans. Il semble qu’au bout de 5 ans, 10 % au moins des implants soient affectés. C’est frustrant car la maladie est difficile à traiter. De plus, il n’y a pas de consensus sur le traitement, seulement quelques pistes. Je pense que les péri-implantites vont devenir un problème de santé publique.

L’hygiène et la cigarette sont-elles les seules raisons expliquant l’accélération du nombre des cas depuis le début des années 2000 ?

Aujourd’hui, quelques praticiens pensent que les implants à surface rugueuse favorisent l’apparition et la progression des péri-implantites. Mais ce facteur n’est pas établi de façon certaine sur le plan scientifique. Les implantologistes de plus de 50 ans ont utilisé des implants à surface lisse et sont nombreux à dire que la péri-implantite était une complication rare. Leur jugement est-il totalement objectif ? On posait aussi moins d’implants il y a 20 ans qu’aujourd’hui.

Quel est votre avis sur ce lien entre les implants rugueux et les péri-implantites ?

J’ai de fortes présomptions. Je travaille sur ce sujet avec un jeune confrère, le Dr Atia. Nous fouillons la littérature scientifique de façon exhaustive. Il y a des controverses. Des articles affirment que les surfaces rugueuses provoquent des problèmes, d’autres soutiennent le contraire. Je cherche à discerner ce qui peut influencer les résultats. D’ici 2 à 3 mois, je pense être plus au clair scientifiquement.

Peut-on espérer prochainement d’autres travaux scientifiques qui clarifieraient la situation ?

Oui. Mais les études humaines sur la péri-implantite ne sont pas faciles à réaliser. Elles doivent porter sur de longues périodes et, dans le cas qui nous intéresse, comparer les implants rugueux à des implants lisses qui n’existent plus.

Comment expliquer ce lien ?

La profession s’est focalisée sur le remodelage osseux. Sur les anciens implants à surface lisse, on perdait toujours de 1 à 1,5 mm d’os. Toutefois, cette perte se stabilisait rapidement. L’utilisation d’implants à surface rugueuse a permis d’obtenir une colonisation osseuse plus favorable et plus rapide. Mais lorsqu’une péri-implantite apparaît, ces rugosités rendent les bactéries plus difficiles à déloger et la progression de la maladie péri-implantaire peut être rapide. S’il est prouvé que les implants à surface rugueuse sont associés à un risque accru de péri-implantite, il faudra reconsidérer l’état de surface des implants au moins dans la partie cervicale. Et il faudra que les firmes bougent pour nous donner des implants dont les cols contribuent à protéger les patients de ces phénomènes. Quitte à avoir du remodelage osseux.

Comment réagit l’industrie ?

Les phénomènes de remodelage osseux initiaux ont fait l’objet d’études mais aussi d’enjeux de marketing. Quand certaines firmes ont montré que leurs implants permettaient de mieux garder l’os dans la région cervicale et ont associé cela à un meilleur rendu esthétique, il y a eu une sorte de surenchère. Les fabricants se sont copiés les uns les autres. Aujourd’hui, ils accepteraient de faire évoluer leurs produits mais à condition d’avoir des données scientifiques et… un marché.

Le paradoxe est que le marché réclame encore des surfaces rugueuses. L’implantologie est très présente dans les plans de traitement. Presque tout le monde la pratique. Les généralistes se forment. Beaucoup de jeunes praticiens se lancent avec beaucoup d’enthousiasme sans se douter que leurs patients pourraient revenir avec des pertes osseuses. Ils se fondent sur les études à long terme dont nous disposions quand nous avons commencé, forts du succès des implants à surface lisse. Qui voudrait gâcher la fête ? Il y a beaucoup d’intérêts en jeu.

Comment vos soupçons impactent-ils votre pratique ?

Avec les implants à surface rugueuse, je fais très attention au traitement des patients à risque. Je les encadre plus strictement que les autres, aussi bien par rapport à leur tabagisme que par rapport à leur hygiène dentaire. Et je les préviens. Jusqu’à présent, le discours préalable à un traitement implantaire était assez confiant. On ne parlait pas d’implants pour la vie mais on expliquait qu’il y avait a priori de bonnes raisons pour qu’ils ne posent aucun problème pendant au moins une quinzaine d’années si l’hygiène était bonne et si l’état de santé ne changeait pas. Et les études suédoises nous en donnaient les preuves. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus prudent.

Je fais aussi très attention à un autre facteur de risque, après la cigarette et l’hygiène : les antécédents de maladie parodontale. Je préviens ces patients que le pronostic n’est pas certain, qu’une péri-implantite peut survenir aussi bien au bout de 3 que 10 ans. La décision des patients est variable. Parfois, ceux qui ont eu de grandes déconvenues avec leurs dents décident de ne pas tenter l’aventure implantaire. D’autres, surpris par leur maladie parodontale et n’ayant jamais reçu de traitement spécifique, ont une prise de conscience qui va permettre de les traiter. Car ils sont bien décidés, cette fois, à ne pas laisser l’os se dégrader autour de leurs implants. Tout dépend de leur attitude psychologique.