Esthétique du secteur antérieur et biomatériaux - Clinic n° 06 du 01/06/2014
 

Clinic n° 06 du 01/06/2014

 

IMPLANTOLOGIE

Olivier SAVAJOL  

pratique exclusive en implantologie
et parodontologie
DIU européen « implantologie orale »
Attaché d’enseignement
au DIU d’implantologie, Corte
7 allée Josime Martin
13160 Châteaurenard

L’apparence naturelle d’une restauration prothétique et de la gencive environnante est le fondement principal de la réussite esthétique dans le secteur antérieur [1]. La stabilité de l’architecture gingivale péri-implantaire est essentielle au succès esthétique et biologique des restaurations implantaires à long terme [2].

De nombreux facteurs influencent la qualité du résultat des traitements implantaires. Nous pouvons distinguer les facteurs extrinsèques et intrinsèques [3].

Les facteurs extrinsèques sont les suivants :

• un positionnement implantaire tridimensionnel guidé par les paramètres biologiques osseux du site [4] ;

• une angulation implantaire compatible avec le projet prothétique prédéterminé [4] ;

• des piliers et des coiffes transitoires dotés de contours favorisant le soutien et le développement progressif des tissus mous [5] ;

• des piliers et des coiffes d’usage réalisés avec une morphologie adaptée au maintien de l’architecture développée ;

• des biomatériaux et des états de surface compatibles avec les tissus mous [6].

Ces facteurs sont « clinicien dépendants » et laboratoire dépendants.

En revanche, les facteurs intrinsèques sont, eux, « patient dépendants » :

• un volume et une qualité osseuse adéquats ;

• un biotype gingival de type fin ou épais [7] ;

• une architecture gingivale de forme plate ou festonnée ;

• une épaisseur gingivale vestibulaire entre 0,7 et 1,6 mm [8] ;

• un niveau d’attache osseux proximal, sur les dents adjacentes, assurant le maintien optimal des tissus mous [9] ;

• un complexe dento-gingival mesurant idéalement 3 mm en vestibulaire et 4,5 mm en proximal au niveau de la dent compromise [10-12] ;

• un potentiel de cicatrisation variable et propre à chaque patient.

L’apicalisation des tissus mous vestibulaires est un processus continu et inéluctable. La récession moyenne marginale est de 1,13 mm au bout de 4 ans. En distinguant les biotypes gingivaux, nous observons des récessions moyennes de 0,56 et 1,50 mm pour les biotypes respectivement épais et fins [13]. De tels changements des tissus mous peuvent avoir des conséquences préjudiciables dans le secteur esthétique : asymétrie des collets, visibilité du pilier implantaire et décoloration de la muqueuse vestibulaire.

C’est pourquoi notre approche chirurgicale passe systématiquement par l’épaississement gingival avec un greffon de tissu conjonctif et par le comblement du hiatus vestibulaire par un substitut osseux minéral. Cette technique diminue efficacement le risque de récession des tissus mous : 0,05 mm en moyenne à 1 an postopératoire.

L’optimisation chirurgicale du biotype permet d’obtenir une muqueuse vestibulaire de 2 à 4 mm d’épaisseur ; ces dimensions sont nécessaires pour masquer la partie transgingivale du pilier prothétique [14]. En effet, des études in vitro [15] et cliniques [16] ont mis en évidence les différents niveaux d’épaisseur gingivale nécessaires pour cacher les décolorations des tissus mous en fonction des biomatériaux utilisés :

• 1,5 mm d’épaisseur : le titane et la zircone créent un changement de couleur gingivale ;

• 2 mm d’épaisseur : seul le titane induit une décoloration gingivale ;

• 3 mm d’épaisseur : aucune décoloration des tissus mous quel que soit le biomatériau.

Deux cas cliniques illustreront notre propos en mettant en lumière l’optimisation chirurgicale du biotype gingival et le choix des biomatériaux prothétiques implantaires en fonction des contraintes biologiques, esthétiques et biomécaniques.

Cas clinique 1

Une patiente âgée de 50 ans, en bonne santé générale, consulte pour « améliorer » son sourire.

L’examen clinique révèle un sourire disharmonieux, un recouvrement incisif prononcé et une atteinte parodontale avancée des deux incisives centrales maxillaires (fig. 1 et 2).

Après un diagnostic précis et une analyse esthétique rigoureuse, le traitement suivant a été entrepris : extraction des dents 11 et 21, implantation immédiate (Implants OsseoSpeed™ Astra Tech Implant System™, 4 mm de diamètre et 11 mm de longueur) avec greffe de conjonctif enfoui et comblement du hiatus péri-implantaire.

Des couronnes provisoires ont été placées immédiatement pour soutenir et favoriser la cicatrisation des tissus mous. À 6 mois postopératoires, la nouvelle architecture gingivale est stabilisée (fig. 3 et 4). Des piliers personnalisés en zircone Atlantis™ et des coiffes en céramique avec armature en zircone (Zircone Dentsply® ; usinage : laboratoire Euromax Monaco ; céramique : laboratoire Franck Bénavent) ont été fabriqués (fig. 5 et 6). La muqueuse vestibulaire, d’une épaisseur d’environ 2,5 mm, et la zircone comme biomatériau favorisent l’aspect naturel de la gencive péri-implantaire sans aucune décoloration visible (fig. 7). Un an et demi après la pose des deux coiffes unitaires, l’équilibre esthétique entre les tissus mous et les restaurations prothétiques est optimal (fig. 8).

La radiographie rétroalvéolaire au bout de 18 mois met en évidence l’os proximal et interimplantaire stabilisé à un niveau favorable au soutien des tissus mous sus-jacent (fig. 9). L’harmonie du sourire est retrouvée et les complexes de la patiente ont disparu (fig. 10).

Cas clinique 2

Une patiente de 20 ans, en bonne santé générale, présente des agénésies des dents 12, 22 et 23 et consulte pour une mobilité des dents lactéales 62 et 63 ainsi que du bridge à ailettes en secteur 12 (fig. 11). La jeune patiente souhaite une solution fixe et esthétique pour le remplacement de ses trois dents définitives absentes.

L’analyse diagnostique et esthétique du cas permet de proposer le plan de traitement suivant : remplacement de la dent 12 par un implant étroit Osseo­Speed™, Astra Tech Implant System™ (3 × 11 mm), remplacement des dents 23 et 22 par un implant en position canine OsseoSpeed™, Astra Tech Implant System™ (4 × 11 mm), accompagné d’une régénération osseuse guidée vestibulaire bilatérale et d’une augmentation de l’épaisseur des tissus mous avec une matrice collagénique, bilatérale également. En effet, la convergence des dents 21 et 24 et l’espace mésio-distal limité obligent à réaliser une extension prothétique mésiale de la dent 22.

Trois mois après l’intervention, les piliers de cicatrisation sont dévissés (fig. 12) et une empreinte pour bridge provisoire est réalisée. L’architecture des tissus mous est optimale et stable à 6 mois postopératoires (fig. 13). La muqueuse vestibulaire péri-implantaire présente une épaisseur de 4 mm en site 12 et de 3 mm en site 23 ; la chirurgie d’aménagement tissulaire et les coiffes provisoires ont engendré un résultat biologiquement et esthétiquement favorable (fig. 14 et 15). Au niveau de la 12, on a opté pour un pilier personnalisé en titane nitruré Atlantis™ GoldHue qui procure esthétique, biocompatibilité et solidité de la connectique titane sur implant étroit.

La coiffe d’usage est une céramo-métallique sur alliage précieux (fig. 16 à 18). La muqueuse vestibulaire, d’une épaisseur de 4 mm, autorise l’utilisation de titane comme biomatériau sans aucune incidence esthétique sur les tissus mous. De plus, la couche de nitrure de titane procure une teinte « chaude » dans cette zone.

Concernant le secteur II, les contraintes biomécaniques et prothétiques amènent à choisir une restauration céramo-métallique en alliage précieux sur 23, transvissée directement sur implant (pilier CastDesign) avec extension mésiale sur 22.

La gencive marginale, d’une épaisseur de 3 mm, est suffisante pour masquer les éventuels changements de couleur induits par le matériau au niveau transgingival (fig. 19 et 20).

La forme des deux éléments prothétiques procure un soutien anatomique des tissus mous développés par les coiffes provisoires. L’harmonie du sourire est retrouvée chez cette jeune patiente (fig. 21).

Conclusion

Dans notre quête de l’esthétique, nous devons d’abord penser à la biologie tissulaire. En effet, notre priorité sera la conversion d’un biotype fin en un biotype épais, avec comme objectif une épaisseur minimum de muqueuse péri-implantaire de 3 mm, nécessaire au masquage des décolorations et à la stabilité des tissus mous marginaux.

Les piliers en zircone et en titane sont à privilégier pour leur biocompatibilité envers l’attache épithélio-conjonctive.

L’esthétique pure du biomatériau, telle que la couleur, est primordiale dans les cas complexes esthétiques, mais reste secondaire dans les cas favorables au niveau tissulaire.

Continuons à garder un œil vigilant sur la biomécanique car les connectiques implantaires internes en titane sont toujours d’actualité !

Bibliographie

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  • [2] Kan JYK, Rungcharassaeng K. Immediate placement and provisionalization of maxillary anterior single implants : a surgical and prosthodontic rationale. Pract ­Periodontics Aesthet Dent 2000;12;817-824.
  • [3] Kan JYK, Rungcharassaeng K, Lozada J. Bilaminar subepithelial connective tissue grafts for implant placement and provisionalization in the esthetic zone. J Calif Dent Assoc 2005;33:865-871.
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Remerciements au laboratoire Franck Bénavent (Pernes-les-Fontaines).

Publié avec l’aimable autorisation de Dentsply Implants.