Apport de l’anesthésie générale dans la prise en charge d’un enfant présentant des troubles de l’hémostase - Clinic n° 09 du 01/10/2014
 

Clinic n° 09 du 01/10/2014

 

Odontologie pédiatrique

Fabienne WOJTIUK*   Élisabeth ROY**  


*Interne en médecine bucco-dentaire Unité fonctionnelle d’odontologie pédiatrique Service d’odontologie conservatrice et pédiatrique CHU de Nantes 1 place Alexis Ricordeau - BP 84215 44042 Nantes cedex 1
**MCU-PH, Odontologie pédiatrique Unité fonctionnelle d’odontologie pédiatrique Service d’odontologie conservatrice et pédiatrique CHU de Nantes 1 place Alexis Ricordeau - BP 84215 44042 Nantes cedex 1

Soins dentaires sous anesthésie générale chez l’enfant

Les demandes de soins dentaires sous anesthésie générale chez l’enfant sont de plus en plus nombreuses, au point que les délais d’attente atteignent souvent plusieurs mois. Ce type de prise en charge répond à des indications bien précises, répertoriées par la Haute Autorité de Santé, à savoir celles liées à l’état général du patient, à l’intervention et à l’anesthésie locale [

Soins dentaires sous anesthésie générale chez l’enfant

Les demandes de soins dentaires sous anesthésie générale chez l’enfant sont de plus en plus nombreuses, au point que les délais d’attente atteignent souvent plusieurs mois. Ce type de prise en charge répond à des indications bien précises, répertoriées par la Haute Autorité de Santé, à savoir celles liées à l’état général du patient, à l’intervention et à l’anesthésie locale [1]. La réalité de l’exercice semble montrer que les enfants qui sont pris en charge sous anesthésie générale soit sont atteints d’une pathologie générale justifiant des soins dentaires urgents et réalisés en une séance, soit présentent un handicap ne leur permettant pas d’être soignés au fauteuil dentaire dans de bonnes conditions, soit encore évoluent dans un contexte psycho-socio-économique défavorable entraînant un refus de soins, avec ou sans sédation [2, 3]. Les soins dentaires sous anesthésie générale ne peuvent pas se pratiquer dans un cabinet dentaire. Ils nécessitent donc une hospitalisation le plus souvent en ambulatoire autorisant la sortie du patient le jour même de son admission en milieu hospitalier, mais avec les mêmes contraintes que pour tout acte chirurgical. Cela implique une consultation de préanesthésie obligatoire, une entrée en clinique ou à l’hôpital bien souvent tôt le matin, à jeun, une douche préopératoire, une intervention de courte durée sous monitorage, un passage en salle de réveil et une surveillance postopératoire de quelques heures. Le praticien dispose d’une durée limitée pour remettre en état la cavité buccale de l’enfant et ne peut pas faire prolonger indéfiniment l’anesthésie. Cela peut conduire à des décisions thérapeutiques plus radicales que lors d’une prise en charge conventionnelle au cabinet dentaire. Les soins dentaires sous anesthésie générale doivent donc être considérés comme le dernier recours lorsque les autres approches n’ont pas permis le soin de l’enfant. Ils ne seront un succès que s’ils s’accompagnent d’un travail d’éducation de l’enfant et de sa famille à la santé bucco-dentaire.

Cas clinique

Un garçon de 8 ans consulte dans le Service d’odontologie du CHU de Nantes à la demande de l’infirmière scolaire. Sa mère indique d’emblée que son fils, comme plusieurs membres de la famille, pourrait être atteint d’un trouble de l’hémostase, sans pouvoir préciser de quel type. Les examens clinique et radiographique montrent des lésions carieuses multiples et des fractures coronaires anciennes de 11 et 21 immatures et nécrosées (fig. 1 à 5). L’approfondissement de l’interrogatoire révèle que le traumatisme remonte à plus d’1 an, sans plus de précision, et que l’enfant n’a jamais consulté de chirurgien-dentiste jusqu’à ce jour. Le patient est adressé au Centre d’exploration biologique des maladies hémorragiques et thrombotiques, qui est aussi le Centre régional de traitement de l’hémophilie. Un premier examen sanguin révèle un temps de saignement in vitro allongé – temps d’occlusion sur PFA-épinéphrine = 170 s (valeur normale < 150 s) ; ADP = 125 s (valeur normale < 100 s) – et un discret déficit en facteur von Willebrand (VWF : RCO = 55 % ; VWF : Ag = 55 % ), ce qui peut faire suspecter une maladie de von Willebrand. Néanmoins, l’enfant ne présentant pas de syndrome hémorragique net dans la vie quotidienne, un bilan complémentaire de l’hémostase primaire avec une étude des fonctions plaquettaires se révèle nécessaire. Il s’avère que les fonctions plaquettaires sont normales mais qu’il existe une anémie microcytaire – hémoglobine = 12 g/dl (valeur normale = 12,5-14,5 g/dl) ; VGM = 75,6 femtol (valeur normale = 77-95 femtol) – , sans rapport avec la pathologie suspectée, pour laquelle un traitement par du fer est prescrit. Pour le centre d’exploration biologique des maladies hémorragiques et thrombotiques, l’enfant n’est pas directement atteint mais il est un « conducteur de maladie de von Willebrand de type 3 », ce qui impose de prendre des précautions vis-à-vis du risque hémorragique. Fort de cet avis, il est alors décidé de réaliser une partie de la prise en charge sous anesthésie générale pour les soins conservateurs de 55, 16, 65 et 26 et les extractions de 21, 75, 36, 84, 85 et 46 ne pouvant être conservées compte tenu du contexte médical et social. Le jeune patient et sa famille comprennent que les soins, nécessitant plusieurs séances, ne peuvent pas être réalisés lors de l’intervention. Les soins de la 11 seront ainsi entrepris au fauteuil ainsi que la restauration prothétique. Avant l’intervention, il est procédé à un parage canalaire de la 11, à la mise en place d’un hydroxyde de calcium intracanalaire en prévision de la pose d’un bouchon apical de ProRoot® MTA (Dentsply Maillefer) et à la restauration de l’angle mésial (Spectrum®, Dentsply) (fig. 6 à 8). La veille de l’anesthésie générale, l’enfant commence un traitement par acide tranexamique (Exacyl®), à raison de 1 ampoule 3 fois par jour en bains de bouche et une ampoule per os matin et soir, à poursuivre pendant 5 jours. Une injection intraveineuse lente de desmopressine (Minirin®) est prévue en cas de saignement supérieur à la normale en peropératoire à la dose de 0,2 µg/kg dans 50 ml de sérum physiologique. Elle sera à renouveler 24 heures plus tard si le Minirin® est utilisé, selon le protocole du Centre d’exploration biologique des maladies hémorragiques et thrombotiques. L’anesthésiste réalise une intubation oro-trachéale pour éviter une blessure d’un cornet, fréquente lors des intubations naso-trachéales. Les extractions sont effectuées avec des gestes les moins traumatiques possible et des mesures hémostatiques locales : compression locale, utilisation de colle biologique (Tissucol®), mise en place de compresses hémostatiques résorbables (Surgicel®) et sutures à l’aide de fils résorbables (Vicryl® 3.0). L’injection de Minirin® n’est pas nécessaire. La 21, absente, est ensuite remplacée par une prothèse amovible avec un vérin transversal pour accompagner la croissance du maxillaire et des crochets Adams pour éviter l’égression des 16 et 26 (fig. 9 à 11). Le patient manque de nombreux rendez-vous avant de revenir 7 mois après la première consultation : le bouchon apical sur 11 est alors inutile, une barrière apicale minéralisée ayant été obtenue. La 11 est obturée endodontiquement par thermocompactage de gutta (Gutta-Condensor, Dentsply, cônes gutta ISO) (fig. 12).

Discussion

La maladie de von Willebrand : une hémostase altérée

L’enfant pris en charge ici est conducteur de la maladie de von Willebrand de type 3. Il convient de rappeler que la maladie de von Willebrand est la plus fréquente des pathologies congénitales de l’hémostase (de 0,1 à 1 % de la population générale selon les études) [4-6]. Elle est la conséquence d’un défaut génétique dans la concentration, la structure ou la fonction du facteur de von Willebrand, protéine plasmatique participant à l’interaction entre les plaquettes et la paroi vasculaire lésée lors de l’hémostase primaire et qui possède également un rôle de transport et de protection du facteur de coagulation VIII. Ces défauts génétiques sont très certainement situés sur le gène du facteur de von Willebrand et sont le plus couramment transmis selon un mode autosomique dominant. Cette pathologie peut prendre différentes formes : le type 1 correspond à un déficit quantitatif partiel en facteur de von Willebrand, le type 2 à un déficit qualitatif touchant soit l’interaction du facteur de von Willebrand avec les plaquettes, soit l’interaction du facteur de von Willebrand avec le facteur VIII, et le type 3, seule forme récessive, à un déficit quasi total en facteur de von Willebrand (le patient est donc hétérozygote, ce qui explique sa symptomatologie limitée). La maladie se caractérise par des manifestations hémorragiques de gravité variable, spontanées ou secondaires à une procédure invasive : hémorragies cutanéo-muqueuses le plus souvent (épistaxis, ecchymoses, ménorragies…) et, dans les formes sévères, hématomes et hémarthroses. En situation hémorragique, comme lors des extractions dentaires, le traitement de choix est la desmopressine (analogue de synthèse de la vasopressine ou hormone antidiurétique qui permet la sécrétion du facteur de von Willebrand et du facteur VIII) administrée par voie intraveineuse en milieu hospitalier, à répéter toutes les 12 à 24 heures selon le type et la sévérité de l’épisode hémorragique. Dans les cas sévères, il est possible de recourir à des injections de médicaments dérivés du sang contenant du facteur de von Willebrand humain d’origine plasmatique (Wilfactin® et Wilstart®) [4, 5]. L’hémostase locale, décrite dans ce cas clinique, est essentielle en chirurgie orale [7-10]. Les anesthésies locorégionales sont évidemment contre-indiquées ainsi que tout traitement par dérivés salicylés ou anti-inflammatoires non stéroïdiens.

Traitement des dents permanentes immatures nécrosées

Ce qui est regrettable chez ce jeune patient est l’absence de soins avant notre prise en charge. Une fracture coronaire avec ou sans exposition pulpaire d’une dent permanente immature doit être prise en charge le plus rapidement possible pour éviter une contamination bactérienne de la pulpe dentaire et permettre l’apexogenèse, c’est-à-dire l’édification radiculaire physiologique [11, 12]. La nécrose pulpaire d’une dent permanente immature entraîne l’arrêt de l’édification radiculaire et de la fermeture apicale. L’apexification reste le traitement traditionnel, fondé sur la mise en place d’hydroxyde de calcium pour stimuler l’apparition d’une barrière apicale minéralisée. Cette technique présente des inconvénients aujourd’hui bien connus : la durée du traitement, à l’origine d’échecs et d’arrêts de traitement, et le risque de fracture radiculaire secondaire. Pour ces raisons, de nouveaux matériaux tels que le mineral trioxide aggregate (MTA) ont été mis au point avec des résultats fiables et rapides. L’absence d’assiduité du patient a amené ici à réaliser malgré nous une apexification traditionnelle. Les antécédents médicaux et le manque de fiabilité du patient ont fait exclure d’emblée les techniques récentes de revascularisation. [13, 14].

Conclusion

La prise en charge de ce jeune patient, présentant des troubles de l’hémostase, est un compromis entre sa pathologie, le manque d’implication de la famille et nos thérapeutiques. Le recours à l’anesthésie générale peut permettre, comme ici, de sécuriser les actes les plus à risque sur le plan hémorragique. Le plus difficile reste à venir : motivation, prévention et suivi au long cours.

Remerciements

Au Dr Marie Say Liang Fat, ancienne interne en odontologie au CHU de Nantes

  • [1] Haute Autorité de santé. Indications et contre-indications de l’anesthésie générale pour les actes courants d’odontologie et de stomatologie. Saint-Denis-la-Plaine : HAS, 2005.
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