« Accompagner la demande du patient… Savoir la freiner » - Clinic n° 11 du 01/12/2014
 

Clinic n° 11 du 01/12/2014

 

L’ESTHÉTIQUE EN ODONTOLOGIE

L’entretien

Marie-Violaine Berteretche  

PU-PH
Université Paris Diderot-Paris 7
Pôle odontologie,
hôpital Rothschild

Stimulée par une forte attente des patients, l’esthétique occupe une place grandissante dans toutes les disciplines de la dentisterie. Comment traiter cette demande, que proposer au patient, jusqu’où aller… ? Marie-Violaine Berteretche a rassemblé l’expertise de quatorze auteurs en un seul ouvrage qui permet d’aborder l’esthétique sous toutes ses facettes. Rencontre.

Pourquoi avez-vous réalisé ce livre ?

Je me suis toujours intéressée à l’esthétique. Dans ma spécialité, le traitement de l’édentement complet, j’ai toujours cherché à redonner le sourire à mes patients en même temps que je rétablissais la fonction. Les soins aux personnes âgées se limitent trop souvent à rétablir la fonction masticatoire. C’est une grave erreur. Car comme tous les autres patients, ils sont attentifs à leur visage, à leur sourire, et prendre en compte une attente esthétique parfois non formulée contribue à préserver leurs relations avec leurs amis, leur famille, et évite parfois un repli des personnes sur elles-mêmes…

La réflexion sur l’esthétique m’a aussi toujours intéressée parce qu’elle allie l’aspect technique et l’aspect artistique. Et puis, c’est une thématique en plein développement, stimulée par la demande des patients qui s’est amplifiée. La situation actuelle n’est pas simple pour nos patients. Lorsque, au-delà du traitement d’une simple lésion carieuse ou du remplacement d’une ou de plusieurs dents, le caractère esthétique est aussi considéré comme un point important, sans que cela soit lourd et onéreux, on impacte leur quotidien, leurs relations avec les autres. Un patient qui a un beau sourire retrouve confiance en lui, et cela quel que soit son âge.

Le lien entre esthétique et santé est-il désormais bien établi ?

Tous les articles montrent aujourd’hui qu’un joli sourire est signe de réussite, de l’attention que l’on porte à soi-même et à son apparence. Ne pas être négligé est en quelque sorte associé à une certaine bonne santé. L’esthétique n’est donc pas quelque chose de futile. Dans notre société, je serais tentée de dire qu’elle est nécessaire. Apporter les soins, remplacer ou repositionner des dents afin qu’elles puissent fonctionner correctement et, de façon indissociable, avoir une approche esthétique du traitement est une évidence.

Mais on peut aussi dépasser ce stade et faire des traitements qui sont en réalité des surtraitements. C’est la raison pour laquelle l’ouvrage développe une partie sur l’éthique et l’obligation de résultat. Alain Béry expose la différence entre ce qui est important pour la santé et ce qui va au-delà et qui n’est plus vraiment du soin. Les travaux esthétiques sont alors plus discutables.

Un praticien doit-il toujours penser « esthétique » ?

Tout dépend du traitement. Mais je pense qu’on ne peut pas envisager une restauration prothétique ou même un composite sans considérer l’aspect esthétique. Nous n’avons pas d’obligation de résultat car faire de l’esthétique parfaite engendre, dans certains cas complexes, des traitements trop lourds. Mais on ne peut pas laisser l’esthétique de côté. C’est important pour les personnes âgées, mais aussi pour les enfants.

L’importance de l’esthétique à l’école est un peu la découverte d’un chapitre de ce livre. On y apprend que l’esthétique des dents participe au développement des enfants et à leur intégration à l’école. Un enfant peut se sentir exclu quand on se moque de lui à cause de ses dents cariées ou mal positionnées. Cela retentit forcément sur son développement. Les cas cliniques présentés dans les chapitres traitant de l’orthodontie et de la chirurgie orthognathique montrent bien que ces traitements transforment complètement le visage des adolescents et des adultes jeunes touchés par des problèmes dentaires. Et ce ne sont pas des cas de surtraitements ! Aborder l’esthétique en plus de la fonction est un vrai service que l’on peut rendre au patient.

Quel est le rôle du praticien face à une demande esthétique ?

Le rôle du chirurgien-dentiste va être d’analyser la demande du patient, d’évaluer jusqu’où elle peut l’emmener et de le conseiller. Avec les nouveaux matériaux, les nouvelles techniques d’orthodontie, de chirurgie orthognathique et les chirurgies plastiques, les possibilités esthétiques sont importantes. Mais il ne faut pas être trop invasif et aller jusqu’à délabrer des dents saines pour des raisons esthétiques. En tout cas, c’est ma philosophie car je pense que ce n’est pas rendre service au patient.

Il faut considérer le traitement au temps 0, sa durée de vie, la façon dont il vieillit, les risques éventuels de récidive… Notre rôle est d’évaluer ce traitement, voir ce que l’on peut proposer de façon raisonnable, mettre en garde le patient sur les éventuelles conséquences et s’assurer de sa motivation car les traitements qui font intervenir plusieurs spécialités peuvent s’étendre dans le temps.

Il faut donc accompagner le patient mais aussi savoir résister à des demandes disproportionnées. Le patient ne mesure pas jusqu’où sa demande risque de l’entraîner. Et puis, le praticien doit savoir ne pas « s’embarquer » dans un traitement qui risque de décevoir son patient.

Lorsqu’on réalise des traitements de chirurgie orthognathique associée à de l’orthodontie, la transformation du visage a un impact sur les relations de la personne avec son entourage. Il ne faut pas jouer les apprentis sorciers. Dans les cas cliniques pour lesquels il y a vraiment un problème de fonction – malposition de dents, décalage de base osseuse – ou de délabrement important des dents, le traitement a forcément son volet fonctionnel et l’esthétique doit toujours y être associée. Mais quand tout fonctionne bien et que la demande est purement esthétique, la réponse est plus délicate.

Quelles sont les évolutions prévisibles des traitements esthétiques ?

Nous avons vraiment franchi une étape importante ces dernières années. D’une esthétique relativement invasive par la restauration prothétique conventionnelle, nous sommes passés à de belles réalisations avec une dentisterie a minima grâce aux matériaux composites et aux techniques adhésives. Les systèmes de céramo-céramique et d’adhésion vont, je pense, permettre de poursuivre dans cette direction. Aujourd’hui, on cherche à répondre à la demande esthétique en essayant de préserver au maximum les structures dentaires, démarche appelée aussi « gradient thérapeutique ».

L’Esthétique en odontologie vient de paraître dans la collection JPIO, aux éditions CdP. Cet ouvrage de 235 pages a été réalisé sous la direction de Marie-Violaine Berteretche et avec la collaboration de Marcel Begin, Alain Béry, Catherine Galletti, Jean-Baptiste Charrier, Franck Decup, Olivier Hüe, Emmanuel d’Incau, Stefen Koubi, Didier Maurice, Muriel Molla, Renaud Noharet, Frédéric Rouche, Patrick Tavitian, Béatrice Walter (105 euros).

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