Assistante dentaire : la profession qui fait débat - Clinic n° 10 du 01/10/2016
 

Clinic n° 10 du 01/10/2016

 

ENQUÊTE

Marie Luginsland  

Leur récente inscription au Code de la santé publique est l’occasion pour les assistantes dentaires de redéfinir leur rôle au sein du cabinet. Et de s’imposer comme des acteurs incontournables des soins au fauteuil. Une opération d’autant plus stratégique que la profession pourrait bientôt subir la concurrence d’hygiénistes et de denturologues venus de l’Union européenne.

Pour les assistantes dentaires, un nouveau chapitre vient de s’ouvrir. Celui du livre III de la quatrième partie du Code de la santé publique. Il les inscrit au rang des professions autorisées à exercer en pratique avancée au sein d’une équipe de soins primaires. Cette modification du Code de la santé publique a été apportée le 26 janvier dernier par la Loi de modernisation du système de santé, notamment par l’article 120 qui transforme les professionnelles techniques qu’elles étaient jusqu’alors en professionnelles de santé. Un grand pas vient d’être franchi et qui couronne « un long combat commencé voilà une dizaine d’années », comme le rappelle l’Ordre national des chirurgiens-dentistes.

Harmonisation

Pour autant, excepté ce changement de ministère de tutelle, rien ne vient bouleverser en profondeur la pratique de la profession. Comme le précise le texte de la loi de santé (article L. 4393-8), l’assistante dentaire continue d’exercer en lien de subordination avec le praticien.

Depuis plusieurs mois, des représentants des chirurgiens-dentistes et des assistantes dentaires se sont attelés à la rédaction du référentiel de l’ensemble des activités pouvant être confiées à cette profession. « Il s’agit d’une transposition du référentiel métier, le ministère ayant souhaité une réécriture pour le décret d’application. Cependant, il a fallu le réécrire dans la mesure où ce référentiel doit être harmonisé à l’ensemble de la profession, y compris aux 10 % des assistantes dentaires travaillant dans la fonction publique, les centres de santé, etc. », constate Doniphan Hammer, président de la Commission de formation et d’implantation professionnelles de la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD).

Cette uniformisation a été vivement saluée par les assistantes dentaires. « L’ensemble des tâches telles que la stérilisation et l’hygiène, qui sont nos fondamentaux, mais aussi la gestion des stocks, la lecture et la compréhension des fiches produits par exemple, doivent être reprises et ancrées dans le référentiel et doivent être appliquées à toutes les structures, qu’elles appartiennent à la fonction publique territoriale, à Paris (AP-HP) ou à l’État (MGEN) », insiste Dominique Munoz, présidente de l’Union fédérale des assistantes dentaires (UFAD).

Une orientation vers le soin

Tout devrait aller très vite désormais. Après de nombreuses navettes entre les instances syndicales et le ministère de la Santé, le référentiel d’activité a été stabilisé au cours de l’été et le projet de décret devrait être bouclé à l’automne pour une parution en Conseil d’État début 2017. « Il s’agissait de graver dans le marbre ce que cette profession exécutait déjà. Cette orientation vers le soin dans l’assistance du praticien avant, pendant et après les soins est désormais entérinée pour un métier dont la définition était jusqu’à présent limitée à l’assistance technique, notamment à la stérilisation. Cette montée en compétence de cette profession est une excellente chose », se félicite Nathalie Ferrand dont l’organisation, le Syndicat des femmes chirurgiens-dentistes (SFCD), a participé aux négociations.

Précédant la rédaction des référentiels de compétences, des modalités de formation et d’évaluation qui seront fixés par arrêté du ministre chargé de la santé, la rédaction du référentiel d’activité a été l’occasion de préciser le contenu de cette profession souvent méconnue, voire mésestimée. Sept chapitres, chargés chacun de 5 à 13 items, définissent désormais les différentes activités de l’assistante dentaire dans des champs aussi variés que l’assistance du praticien bien entendu mais aussi l’accueil et la communication auprès des patients, la gestion et le suivi de leur dossier, l’entretien de l’environnement des soins et des matériels ainsi que la gestion des risques infectieux tout comme l’information et l’éducation des patients dans le champ de la santé bucco-dentaire. L’évaluation et le suivi de sa douleur figurent également au rang de ces items.

Revalorisations

Marta Ramalho, assistante dentaire dans un cabinet d’orthodontie de la Sarthe, relève cependant le chemin à parcourir pour que sa profession prenne véritablement son essor. « Les mentalités doivent changer car nombre de praticiens restent jaloux de leurs prérogatives. Or, au regard du temps d’attente pour obtenir un rendez-vous dans certaines régions, 1 an chez nous, on pourrait soulager les praticiens en confiant certaines tâches à leurs assistantes », déclare cette assistante dentaire qui participe déjà à la prise en charge des jeunes patients et serait également prête à réaliser des détartrages ou des empreintes après une formation.

« L’objectif que nous défendons est que la formation corresponde à la demande finale des employeurs libéraux employant 90 % des assistants dentaires. La formation – uniquement financée par les employeurs libéraux–  doit rester une formation alternée. Un point essentiel qui a été rappelé est le lien de subordination de l’assistante dentaire sous le contrôle direct et la responsabilité du chirurgien-dentiste », expose Doniphan Hammer. Il précise toutefois : « Nous ne voulons pas que le référentiel soit trop modifié afin de ne pas trop chambouler les organismes de formation. »

Un niveau bac + 2, tel qu’il est de plus en plus évoqué, pourrait susciter des vocations. Animé par un taux de renouvellement de 7 ans en moyenne, le marché des offres d’emploi reste cependant tendu, seule la moitié des cabinets employant une assistante dentaire. Olga Taverna, dirigeante du cabinet de recrutement Alba Conseil, spécialisé dans l’emploi des assistantes dentaires, note cependant que le profil de ces dernières est en train de changer : « Elles doivent avoir aujourd’hui un très bon niveau administratif, informatique et connaître la nomenclature. Un niveau bac s’avère souvent nécessaire pour répondre à ces demandes. »

De fait, bien que n’étant pas à l’ordre du jour, une revalorisation du statut apparaît aujourd’hui comme inéluctable. Et avec elle, une revalorisation salariale que ne serait sans doute pas prête à accepter la majorité des praticiens. « Si la profession, qui actuellement démarre à 1 600 euros brut (1 400 euros net environ), obtient un niveau bac + 2, on pourra alors prétendre à un salaire équivalent à celui des aides-soignantes, à 1 600 euros (net). Ce serait bien car il ne faut pas se leurrer, on ne fait pas rêver à bac + 2 avec le salaire de base actuel », objecte Dominique Munoz. De même, ajoute-t-elle, « la prime de secrétariat, actuellement de 250 euros, doit être étendue à toutes car le travail administratif va se complexifier avec le tiers payant généralisé, les télétransmissions, etc. De même, le matériel, les instruments et les normes qui nous sont imposés nécessitent des connaissances de plus en plus poussées ».

Floutage européen

Mais alors qu’elle vient de se voir inscrite au Code de la santé publique, la profession bénéficie d’un deuxième coup de projecteur dont elle se serait bien passé. La menace vient de la transposition de la directive européenne qui permettrait à certaines professions, dont les hygiénistes et les denturologues de l’Union européenne, d’exercer en France.

Cet accès dit partiel brouillerait, de toute évidence, la position des assistantes dentaires. Mais surtout, il amènerait un changement de paradigme. Il ne serait alors plus question de profession mais de champs d’activités professionnelles qui rogneraient tant le domaine des assistantes dentaires que celui de leurs employeurs !

Cette poussée de l’Europe contribuera-t-elle à accélérer l’évolution des assistantes dentaires françaises ? L’ouverture de l’Hexagone aux hygiénistes, bien que n’étant pas encore transcrite, pourrait faire rêver certaines assistantes dentaires car ce serait synonyme d’exercice semi-libéral. « Cela supposerait dans ce cas que les assistantes dentaires candidates à une telle forme d’exercice aient connaissance du fonctionnement et de la gestion d’un cabinet. Et qu’elles puissent investir dans du matériel. Or aujourd’hui, en l’état actuel des choses, il n’existe aucune codification pour ces actes d’hygiénistes », remarque Dominique Munoz, ajoutant que l’État pourrait être tenté de créer ce statut pour faire face à la désertification médicale.

Une super-assistante à la française

Plutôt que de calquer l’évolution de la profession sur les autres modèles européens, Doniphan Hammer propose de créer « une assistante dentaire de médecine bucco-dentaire ». « Il ne s’agit pas d’imposer ce nouveau format à tout le monde mais de créer un métier made in France. Il est entendu que ce profil n’intéressera pas tous les cabinets. Ce nouveau métier pourrait s’adresser par exemple aux cabinets spécialisés », précise-t-il. « On pourrait songer à confier à ces assistantes dentaires de médecine bucco-dentaire des tâches comme la prise de radiographies par exemple. Leur formation, un bac + 2 sans doute afin de valoriser le métier, resterait modulaire et engloberait toutes les pratiques (chirurgie, ODF, etc.) afin de permettre à ces personnes de répondre aux demandes des cabinets dont le profil varie beaucoup », ajoute-t-il.

Un nouveau métier, donc, qui resterait à construire et dont le référentiel serait imposé à toute personne souhaitant exercer dans notre pays. Hygiéniste et denturologue compris. l

Trois questions à… Gilbert Bouteille, président du Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes « Tous les cabinets devraient avoir une assistante dentaire »

Clinic : Les assistants dentaires se voient aujourd’hui reconnus en tant que professionnels de santé grâce à leur inscription au Code de la santé publique. Une évolution que l’ordre des chirurgiens-dentistes a lui-même soutenue. Quelles sont les raisons qui ont motivé cette position ?

Gilbert Bouteille : À partir du moment où les assistantes dentaires sont appelées à participer au travail au fauteuil, à prendre en charge l’hygiène et l’asepsie, il me semble naturel qu’elles bénéficient de cette reconnaissance au même titre que d’autres professionnelles, comme les aides-soignantes par exemple. De plus, cette appartenance aux professions de santé va leur permettre d’augmenter leur horizon et d’intégrer, par exemple, des établissements de santé ou des centres de santé.

Nous revendiquons également leur enregistrement, sans cotisation, à l’Ordre. Dans la mesure où les étudiants de troisième année peuvent faire office d’assistants dentaires, il nous semble logique que l’Ordre connaisse la position de tous les assistants dentaires au sein des équipes des cabinets et je souhaiterais même une information du patient en ce sens, qui accompagnerait la charte.

Clinic : Peut-on pour autant parler d’une montée en compétence de la profession ?

Gilbert Bouteille : Nous nous trouvons pour l’instant dans une transposition littérale au Code de la santé publique de ce qui était inscrit au Code du travail. Nous sommes donc à droit constant, pour l’instant. Certes, au départ, nous pensions nous diriger vers un nouveau métier. Ce n’est pas encore le cas mais il ne s’agit que d’une première étape. Pour l’Ordre, cependant, l’avenir doit voir émerger un niveau d’assistante dentaire supérieur sachant que les deux niveaux, l’actuel et le futur, coexisteront. Cette assistante dentaire de niveau supérieur, qui s’inscrit dans une norme européenne de médecine bucco-dentaire, pourrait se rapprocher par son profil de l’assistante dentaire du modèle allemand qui intervient dans la prévention et prend en charge, notamment, l’éducation bucco-dentaire des enfants.

Clinic : Cette évolution suppose-t-elle également qu’à l’instar de certains pays européens, chaque cabinet dispose obligatoirement d’une assistante dentaire ?

Gilbert Bouteille : Je l’estime en effet nécessaire, à l’exception de quelques cas particuliers. De 70 à 80 % des cabinets se suffiront d’assistantes dentaires du niveau actuel, mais ils ?devront s’en doter, cela me semble incontournable. Quant aux assistantes dentaires de niveau 2 évoquées plus haut, elles pourront être intégrées dans des cabinets d’exercice de groupe, disposant de compétences spécifiques.Concernant les éventuels « surcoûts » engendrés par l’embauche d’une assistante dentaire, l’expérience prouve qu’à partir du moment où une assistante dentaire est présente au cabinet, l’activité augmente. Pour autant, il faudrait inclure, dans la formation des assistantes dentaires, des stages à la faculté afin que les futurs praticiens apprennent le travail à quatre mains.J’incite tous les praticiens à se faire assister à l’avenir. Une fois qu’on a commencé à travailler avec une assistante dentaire, on ne peut plus s’en passer !

Et ailleurs… Témoignage Alexandre Levacher, assistant dentaire à Londres « Un professionnel de santé considéré par le praticien et respecté des patients »

« Nous nous sentons considérés au sein de l’équipe où chacun a sa place, complémentaire de celles des autres. Un chirurgien-dentiste ne saurait d’ailleurs exercer sans assistant dentaire » : c’est cette reconnaissance et les perspectives d’évolution qu’offre le métier qui ont décidé Alexandre Levacher à franchir la Manche. Exerçant à Londres depuis 9 ans, il est l’un des 550 hommes parmi les 49 000 assistants dentaires que compte le Royaume-Uni. Une profession formée à l’université, ou dans un centre de formation agréé par le Centre d’éducation des assistantes dentaire, en cycles de 6 ou 12 mois en alternance au cabinet. Cette proximité entre assistants dentaires et futurs chirurgiens-dentistes est essentielle selon Alexandre Levacher : « Les futurs praticiens apprennent à travailler à quatre mains et, une fois installés, il leur est inconcevable de travailler sans assistant dentaire. La loi, d’ailleurs, les y contraint. »

Intérimaires ou attachés à un cabinet, les assistants dentaires n’en ressentent pas pour autant de lien de subordination avec le praticien. Chaque professionnel de santé joue un rôle bien déterminé et complémentaire des autres fonctions. « Il y a la coordinatrice du traitement, fonction remplie par une administrative ou une assistante dentaire souhaitant s’éloigner du fauteuil, il y a ensuite l’hygiéniste, l’assistant dentaire, chef d’équipe, puis le responsable du cabinet, ou le manager, et enfin le praticien », décrit Alexandre Levacher qui est ainsi passé manager de cabinet au bout de 2 ans dans une structure privée. Cette fonction ne l’empêche pas de conserver quelques heures au fauteuil, notamment en implantologie. « Nous sommes légalement responsables des actes relevant de notre fiche de poste. Du reste, l’assistant dentaire doit obligatoirement avoir une assurance de protection en cas de litige avec les patients, ceux-ci pouvant directement porter plainte contre lui », explique Alexandre Levacher.

Enregistrés à l’ordre des chirurgiens-dentistes où ils disposent d’une immatriculation, les assistants dentaires doivent attester de 150 heures de formation continue tous les 5 ans dont 50 heures dans 8 sujets obligatoires, dont les urgences médicales/gestes premiers secours au cabinet, la désinfection, la radiologie, la législation et la gestion des réclamations/plaintes*. Cet encadrement, qui sanctionne une volonté d’évoluer sans cesse au long de leur carrière, permet aux assistants dentaires de revendiquer un statut bien spécifique. Et si la rémunération de base n’est pas supérieure à celle de leurs homologues français, elle est accompagnée d’un intéressement au bénéfice du cabinet. Mais ce qu’Alexandre Levacher apprécie avant tout, c’est d’être valorisé comme professionnel de santé : « C’est très agréable au quotidien d’être respecté en tant que tel par les patients. » M. L.

* La désinfection et la stérilisation (5 heures obligatoires tous les 5 ans).

Les gestes de premier secours et la gestion des urgences médicales en cabinet dentaire (10 heures obligatoires tous les 5 ans - il faut faire 2 heures de formations tous les ans).

La radiographie (5 heures obligatoires tous les 5 ans) puis 30 heures obligatoires à répartir sur les sujets suivants :

- le cancer de la bouche ;

- la reconnaissance des abus sur enfants et adolescents ;

- la reconnaissance des adultes vulnérables ;

- la législation ;

- la gestion des réclamations.