Syndrome de Gougerot-Sjögren : rôle du chirurgien-dentiste dans sa prise en charge - Clinic n° 10 du 01/10/2016
 

Clinic n° 10 du 01/10/2016

 

PARODONTIE

Élodie BELIARD*   Marjolaine GOSSET**  


*Docteur en chirurgie dentaire
Exercice privé Montpellier
**MCU-PH parodontologie
Université Paris-Descartes, Paris

Le syndrome de Gougerot-Sjögren est une pathologie systémique auto-immune fréquente. L’hyposialie en est la complication la plus précoce. Ses répercussions sur le milieu buccal sont nombreuses : les patients évoquent un inconfort majeur et ils présentent des risques de caries, d’érosions, de lésions de la muqueuse buccale ou encore de stomatodynie accrus. Cela place le chirurgien-dentiste en acteur majeur du dépistage précoce de cette atteinte mais également en interlocuteur privilégié au quotidien de ces patients.

Le syndrome de Gougerot-Sjögren est une pathologie auto-immune systémique chronique à composante inflammatoire. L’une de ses caractéristiques majeures est l’infiltration lymphocytaire des glandes exocrines, dont les glandes salivaires et lacrymales. Par conséquent, une diminution, voire une altération, de la composition des flux sécrétoires entraînant une sécheresse buccale (xérostomie) et oculaire (xérophtalmie) est observée. Ce syndrome sec peut concerner d’autres organes et tissus, les patients présentant alors une sécheresse cutanée, génitale ou encore respiratoire (fig. 1). Deux autres symptômes sont classiquement retrouvés : une asthénie intense et des douleurs musculo-articulaires. Le syndrome de Gougerot-Sjögren peut être primaire, c’est-à-dire déclaré sans antécédent de pathologie auto-immune, ou secondaire, à savoir diagnostiqué parallèlement à une autre pathologie auto-immune déjà installée (polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux disséminé, sclérodermie…). En termes de prévalence, ce syndrome auto-immune vient en second après la polyarthrite rhumatoïde et sa fréquence est de 0,02 % pour le syndrome de Gougerot-Sjögren primitif selon l’Association française du syndrome de Gougerot-Sjögren et des syndromes secs (AFGS) [1]. Les femmes sont plus touchées que les hommes, avec une proportion de 9 pour 1, et le pic de prévalence se situe entre 40 et 60 ans, au moment de la ménopause.

Manifestations cliniques intrabuccales

Grâce à sa composition si particulière, la salive a de multiples propriétés et permet le maintien de l’équilibre oral. En présence d’une hyposialie, des répercussions peuvent être observées sur tous les tissus bucco-dentaires : les dents, les tissus parodontaux de soutien et les muqueuses. Ce risque est accentué en fonction des facteurs de risque du patient (habitudes alimentaires, hygiène bucco-dentaire…).

Altération des tissus dentaires

Deux pathologies sont favorisées, à savoir la maladie carieuse et les lésions érosives.

Le risque carieux des patients, évalué dans les études par les indices DMFT/DMFS (decayed missing and filled teeth/decayed missing and filled surfaces), équivalents des indices CAOD/CAOS (dents cariées, absentes ou obturées/surfaces cariées, absentes ou obturées), semble exacerbé. En effet, les études montrent que les patients atteints du syndrome de Gougerot-Sjögren présentent des indices accrus et donc davantage de dents absentes et de dents porteuses de restaurations, indicatrices d’une activité carieuse passée (fig. 2). Cela est constaté malgré, le plus souvent, une bonne hygiène dentaire et des visites régulières chez le dentiste. De plus, les lésions carieuses présentées par ces patients peuvent être atypiques, situées notamment dans des zones qui en sont normalement exemptes (faces linguales, pointes cuspidiennes des dents postérieures, bords incisifs des dents antérieures ou zones cervicales). La cinétique de déminéralisation semble rapide et constante, ce qui en fait des lésions agressives, « rampantes ». Certains auteurs proposent que l’exacerbation du risque carieux d’un patient sans explications de changement de régime alimentaire ou d’autres facteurs influençant la qualité ou la quantité salivaire doive faire penser à une maladie de Gougerot-Sjögren.

Concernant l’érosion, très peu d’études sont disponibles dans la littérature médicale et aucune étude prospective n’a été menée à ce jour. Cependant, les praticiens notent très souvent des lésions érosives des dents. Cela peut s’expliquer, au moins en partie, par les modifications salivaires observées : le pH et la concentration salivaire en bicarbonate sont diminués, présageant une moindre efficacité du pouvoir tampon. De plus, une diminution de la clairance salivaire et une moins bonne reminéralisation des lésions débutantes en raison d’une salive moins saturée en ions calcium et phosphate retrouvés dans la salive des patients atteints de Gougerot-Sjögren seraient également impliquées (fig. 3).

Altération des tissus parodontaux

Peu d’études ont analysé le statut parodontal des patients atteints de Gougerot-Sjögren et ces études répondent à des protocoles différents empêchant une analyse groupée de leurs résultats. Un risque accru de parodontite semble probable du fait de l’hyposialie locale et de la réponse immunitaire spécifique des patients atteints de syndrome de Gougerot-Sjögren. Une première étude portant sur 27 patients ainsi atteints, comparés à 27 patients atteints d’une autre pathologie auto-immune et à 29 patients atteints d’une xérostomie sans pathologie associée, ne montre pas de différence significative entre ces groupes en ce qui concerne le statut parodontal (saignement au sondage, profondeur de poche supérieure ou égale à 4 mm et perte d’attache [2]. Pour une autre étude récente comparant 19 patients atteints de syndrome de Gougerot-Sjögren primaire ou secondaire à 19 patients contrôles, un indice gingival accru (c’est-à-dire une inflammation gingivale) est retrouvé pour le premier groupe, parallèle à un indice de plaque accru [3]. Il est difficile, à ce jour, de conclure sur l’existence d’une maladie parodontale ou de lésions parodontales telles que des récessions accrues chez les patients atteints de syndrome de Gougerot-Sjögren.

Altération des muqueuses

Les muqueuses sont le siège de souffrances et d’inconfort pour ces patients, la moindre agression (alimentation sèche, acide, épicée, port de prothèses amovibles…) provoque des irritations, des brûlures douloureuses (fig. 4). Cliniquement, les muqueuses sont souvent sèches, brillantes, irritées et la langue peut être plicaturée, voire même dépapillée (fig. 5 et 6). Une accumulation de plaque, voire une adhérence de résidus alimentaires sur les muqueuses, peut être retrouvée.

Des candidoses sous des formes diverses (chéilite angulaire, candidose érythémateuse ou pseudomembraneuse, localisée au palais, à la langue…) sont retrouvées chez 70 à 75 % des patients atteints de syndrome de Gougerot-Sjögren. Il est à noter que l’hyposialie est associée à une proportion accrue de Lactobacillus, Streptococcus mutans et Candida albicans, appuyant le fait que les patients atteints de syndrome de Gougerot-Sjögren présentent des risques carieux et candidosiques accrus. Enfin, des glossodynies ou des stomatodynies peuvent apparaître.

Spécificités de la restauration prothétique

Les prothèses amovibles sont en général très inconfortables pour les patients, particulièrement les prothèses amovibles mandibulaires. La réduction du film lubrifiant « protecteur » favorise les blessures et diminue la rétention des prothèses. Des appareils amovibles à réservoir (rempli de substitut salivaire) ont été proposés.

Les implants dentaires sont fortement demandés par ces patients. À ce jour, très peu d’études fondées sur un très faible nombre de sujets ont cherché à évaluer le succès implantaire. Il semblerait qu’il existe un risque légèrement accru d’échec primaire (défaut d’ostéo-intégration). Toutefois, le bénéfice apporté en termes de confort masticatoire et de qualité de vie est en faveur de cette solution prothétique.

Rôle du chirurgien-dentiste dans le dépistage

Le dépistage des patients atteints de syndrome de Gougerot-Sjögren est extrêmement complexe. Le diagnostic est posé en moyenne 8 ans après les premiers symptômes. Or, le premier symptôme à apparaître est l’hyposialie, ce qui donne au chirurgien-dentiste un rôle majeur dans le dépistage précoce de cette pathologie. Après l’hyposialie, l’inflammation des glandes salivaires (favorisée par la migration de bactéries buccales dans les glandes salivaires par les canaux excréteurs), la fatigue et les douleurs articulaires puis les signes extra-glandulaires apparaissent progressivement. Un dépistage précoce préviendrait l’évolution de la pathologie et de ses comorbidités.

Dans cette optique, un arbre décisionnel est proposé pour aider à la démarche diagnostique et aiguiller le praticien confronté à un patient présentant une hyposialie vers le bon diagnostic (fig. 7). L’orientation du patient vers un médecin généraliste ou spécialiste en cas de suspicion de syndrome de Gougerot-Sjögren permettra ou non de valider cette dernière. Bien entendu, toute sécheresse buccale n’implique pas l’existence d’un syndrome de Gougerot-Sjögren. Chez un individu, le syndrome sec buccal peut être ainsi retrouvé en raison de la prise de médicaments entraînant une hyposialie, de la sénescence des glandes salivaires, d’antécédents d’irradiation ou de l’existence d’une pathologie chronique du type diabète non équilibré.

Le diagnostic médical reposera sur les symptômes oculaires et buccaux, sur les signes objectifs d’atteinte oculaire et salivaire par analyse fonctionnelle, sur des tests histologiques (biopsie des glandes salivaires) et sur la recherche d’anticorps spécifiques anti-Ro/SSA et/ou anti-La/SSB. Le diagnostic différentiel est complexe en raison de la redondance de certains symptômes avec d’autres maladies ou affections telles que le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde.

Conclusion

Il est important de retenir qu’aucun tableau clinique buccal n’est pathognomonique du syndrome de Gougerot-Sjögren (fig. 8). Cependant, de nombreux signes d’appel doivent conduire à appliquer cet arbre décisionnel. Citons les difficultés lors de la fonction alimentaire (difficulté à manger des aliments secs ou pâteux par exemple), difficulté à ouvrir la bouche au réveil, à garder la bouche ouverte longtemps lors des soins dentaires ou l’existence d’épisodes de parodontite, voire d’œdème des glandes submandibulaires.

Bibliographie

  • [1] AFGS. Le syndrome de Gougerot-Sjögren. Paris : Association française du Gougerot-Sjögren et des syndromes secs, 2014.
  • [2] Boutsi EA, Paikos S, Dafni UG, Moutsopoulos HM, Skopouli FN. Dental and periodontal status of Sjogren’s syndrome. J Clin Periodontol 2000;27:231-235.
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