Bilan bucco-dentaire infectieux pré-interventionnel - Clinic n° 03 du 01/03/2017
 

Clinic n° 03 du 01/03/2017

 

ENDODONTIE

Guillaume JOUANNY*   Sophie JUNG**   Matthieu BALANGER***  


*Assistant hospitalo-universitaire Paris 5
Certificat en endodontie
(Université de Pennsylvanie)
Exercice privé limité à l’endodontie
**Assistant Hospitalo-Universitaire
Exercice privé limité à la chirurgie orale
Paris 7e

Le bilan bucco-dentaire est une étape clé dans le parcours de soin d’un patient avant certaines interventions médicales.

Une approche systématique permet de détecter d’éventuels foyers infectieux et de permettre leur élimination avant ces interventions limitant ainsi le risque de complications infectieuses post-opératoires.

Le bilan infectieux bucco-dentaire pré-interventionnel est du ressort du ?chirurgien-dentiste. Il est nécessaire avant certaines interventions médicales et les patients sont le plus souvent adressés directement par le médecin prescripteur. Ce bilan consiste à dépister les foyers infectieux bucco-dentaires. Ces foyers peuvent en effet être à l’origine d’une bactériémie et, donc, d’une infection à distance [1].

Une infection focale odontogène se manifeste dans un site de l’organisme différent du foyer infectieux bucco-dentaire initial et ayant pour cause ce foyer.

Un bilan infectieux pré-interventionnel peut être demandé dans plusieurs cas :

• avant l’instauration d’une thérapeutique médicale susceptible de favoriser ou d’aggraver un processus infectieux déjà présent (chimiothérapie, thérapie immunosuppressive, radiothérapie…) (fig. 1) ;

• pour préparer le patient à une intervention chirurgicale (intervention cardiaque avec pose d’une prothèse valvulaire, pose d’une prothèse articulaire…) (fig. 2).

À l’issue de la consultation avec le dentiste, une attestation doit être remise au patient. Cette attestation doit indiquer la présence ou l’absence de foyers infectieux bucco-dentaires. S’il en existe, il est de la responsabilité du médecin demandeur du bilan d’évaluer le risque infectieux et d’effectuer quand même l’intervention ou de la décaler de manière à ce que tous les foyers infectieux bucco-dentaires soient traités avant l’intervention désirée.

Idéalement, le bilan bucco-dentaire doit être effectué en amont de l’intervention afin de permettre l’assainissement de la cavité buccale. Malheureusement, les patients sont souvent adressés tardivement au chirurgien-dentiste alors que l’intervention est déjà prévue, ce qui complique leur prise en charge.

Contexte du bilan infectieux pré-interventionnel

Cet article se limitera aux interventions les plus courantes pour lesquelles un bilan peut être demandé, soit la pose d’une prothèse valvulaire cardiaque, une arthroplastie (intervention qui consiste à remplacer une articulation malade par une prothèse, le plus souvent la hanche ou le genou) ou la préparation d’un patient à une thérapie immunosuppressive.

Chirurgie cardiaque

Pour les interventions cardiaques, l’endocardite infectieuse (maladie infectieuse secondaire à la prolifération de bactéries sur le revêtement interne du cœur, l’endocarde) est la pathologie la plus redoutée. Il est nécessaire d’éliminer tous les foyers infectieux bucco-dentaires avant l’intervention pour éviter une bactériémie engendrée par le foyer dentaire. Il est également important de noter qu’une fois que la prothèse valvulaire est posée, son porteur entre dans la catégorie des patients à haut risque de développer une endocardite infectieuse [2]. La prise en charge de tous les foyers infectieux bucco-dentaires avant la ?chirurgie de remplacement de valve permet également de traiter et de conserver des dents dont le traitement serait contre-indiqué une fois la prothèse valvulaire posée.

Chirurgie orthopédique

Pour les interventions de chirurgie orthopédique, les infections ostéo-articulaires sont des complications d’origine bactérienne. Leur fréquence est rare mais leur éradication est difficile. Ce sont des pathologies graves susceptibles d’entraîner un handicap très lourd et, parfois, de mettre en jeu le pronostic vital du patient. L’infection ostéo-articulaire est observée plus fréquemment chez les patients fumeurs, en surpoids, multi-opérés, porteurs de foyers infectieux (infection cutanée, dentaire, urinaire ou digestive, abcès…) ou de maladies associées (diabète, polyarthrite rhumatoïde, immunodépression…). La prise en charge des foyers infectieux bucco-dentaires avant la chirurgie permet donc de limiter le risque de complications (fig. 3).

Il est toutefois important de souligner que les données issues de la littérature scientifique ne permettent plus de classer les patients porteurs d’une prothèse articulaire dans un groupe susceptible de développer une infection au niveau de la prothèse lorsqu’un geste bucco-dentaire est réalisé [3].

Thérapie immunosuppressive

Les thérapies immunosuppressives sont utilisées, par exemple, pour prévenir le rejet de greffe d’organe chez les patients transplantés (par exemple moelle osseuse, cœur, rein, foie) ou pour traiter les maladies auto-immunes. Lors de telles thérapies, les défenses immunitaires du patient sont fortement diminuées (aplasie) et le moindre foyer infectieux chronique peut passer en phase aiguë et se disséminer. La prise en charge des foyers infectieux bucco-dentaires avant toute thérapie immunosuppressive est incontournable (fig. 4 à 6).

Foyers infectieux bucco-dentaires

Les foyers infectieux bucco-dentaires sont des pathologies infectieuses d’origine bactérienne. Elles intéressent les tissus dentaires et/ou parodontaux et sont associées à une flore bactérienne spécifique.

Classification

On distingue trois catégories de foyers infectieux [4] :

• les foyers infectieux bucco-dentaires actifs (infections bactériennes avérées) (fig. 7) ;

• les foyers infectieux bucco-dentaires latents (infections sans répercussions cliniques au moment du bilan) (fig. 8) ;

• les situations à risque d’infection potentielle (susceptibles de devenir des foyers infectieux bucco-dentaires si les conditions locales sont réunies).

Virulence

La virulence d’un foyer infectieux varie d’une situation à une autre et dépend de chaque patient. On comprend aisément que la virulence d’une carie dentaire sans implication pulpaire soit bien inférieure à celle d’une cellulite circonscrite suppurée d’origine endodontique. Malheureusement à ce jour, il n’existe aucune étude scientifique permettant de classer la virulence de ces différentes pathologies.

Un travail réalisé par la Société française de chirurgie orale (SFCO) en 2012 tente cependant d’estimer le degré de virulence de diverses situations cliniques [4]. Un score allant de 0 à 10 est attribué à chaque situation clinique (tableau 1). Zéro correspond à une dent sur l’arcade qui ne présente aucune pathologie et 10 représente un risque infectieux maximal.

Même si, comme le précise le groupe de travail de la SFCO, ce tableau ne correspond qu’à un avis d’experts et n’a pas vocation à avoir une valeur scientifique, il hiérarchise empiriquement les différentes situations cliniques infectieuses et offre une piste de lecture utile pour établir une conduite à tenir et définir une prise en charge des différents foyers infectieux bucco-dentaires en fonction du risque médical propre à chaque patient.

Déroulement d’un bilan bucco-dentaire pré-interventionnel

Les patients qui sont adressés pour un bilan bucco-dentaire pré-interventionnel ne présentent généralement pas de dents symptomatiques. Il est donc assez difficile de faire un diagnostic car le patient ne peut orienter le clinicien vers un site en particulier. Il est important d’adopter une approche systématique qui permet de ne passer à côté d’aucune lésion éventuelle.

Entretien clinique

L’entretien se déroule avant l’examen clinique et les examens complémentaires. Il permet de mettre en évidence d’éventuelles douleurs dentaires chroniques ou ponctuelles ressenties par le patient qui peuvent orienter le praticien vers une dent en particulier. Il permet également de faire le point sur l’historique dentaire. Il est important de savoir si le patient va régulièrement chez le dentiste, quelles sont ses habitudes alimentaires et à quelle fréquence il se brosse les dents.

Examen clinique

• Examen exo-buccal

Une palpation des chaînes ganglionnaires permet de mettre facilement en évidence une éventuelle infection du côté homolatéral.

• Examen endo-buccal

L’observation des muqueuses et du parodonte permet de mettre en évidence une maladie parodontale. Une parodontite chronique est un foyer infectieux classé à virulence élevée. Il s’agit bien d’une plaie de grande étendue et causant une importante bactériémie. Le saignement au sondage associé à une altération de la couleur et de la texture de la gencive est un signe clinique de maladie parodontale [5].

Un examen attentif des dents et des restaurations existantes grâce à un miroir, une sonde et une seringue air/eau permet de détecter les lésions carieuses les plus profondes.

• Examens radiographiques complémentaires

La radiographie panoramique est l’examen complémentaire indispensable lors d’un bilan infectieux pré-interventionnel. Elle permet d’avoir une bonne vision globale des structures minéralisées de la bouche (os maxillaire et mandibulaire, articulations temporo-mandibulaires, dents). Cependant, ce n’est pas un examen très sensible, c’est-à-dire que sa capacité à détecter une lésion alors qu’elle est effectivement présente est moins élevée que celle d’une radio rétroalvéolaire ou d’une tomographie volumique à faisceau conique (CBCT, cone beam computed tomography).

La prévalence des parodontites apicales sur les dents traitées endodontiquement varie entre 20 et 52 % selon les études épidémiologiques [6]. Une étude récente a montré que là où un CBCT détectait 100 % de lésions d’origine endodontique sur des dents déjà traitées, la radiographie rétroalvéolaire n’en détectait que 54 % et la radiographie panoramique 28 % [7]. Cette différence est particulièrement importante pour les molaires maxillaires et mandibulaires. Au maxillaire, la superposition du sinus et du processus zygomatique de l’os maxillaire avec les apex rend l’interprétation des radiographies difficile (fig. 9). À la mandibule, c’est l’épaisseur des corticales qui peut rendre une lésion invisible à la radiographie rétroalvéolaire (fig. 10). La radiographie panoramique est une image qui correspond à un plan de coupe d’une épaisseur de 12 à 14 mm pour les secteurs postérieurs et de 6 à 7 mm pour la région antérieure. Le plan de coupe est standardisé et ne correspond donc pas à un plan de coupe parfait adapté au patient. Toutes les structures en dehors du plan de coupe peuvent disparaître. Ainsi, lorsque les dents antérieures mandibulaires sont très angulées, il est possible de passer à côté d’une lésion d’origine endodontique. Sur certains clichés, la superposition de la colonne vertébrale avec les dents antérieures, objectivable par un voile blanc, peut fausser l’interprétation des clichés au niveau des apex. Enfin, des dépressions anatomiques au niveau des maxillaires peuvent être interprétées comme des lésions alors que les dents sont parfaitement saines (fig. 13).

Dès qu’il y a le moindre doute sur une radiographie panoramique, un cliché radiographique rétroalvéolaire doit être pris. Si le doute persiste, alors un CBCT doit être prescrit.

• Examens radiographiques complémentaires

Des tests cliniques doivent être réalisés sur les dents qui présentent des signes d’appel radiologiques :

• test de sensibilité thermique (froid) pour les dents non traitées endodontiquement ;

• test de percussion axiale et latérale ;

• sondage parodontal pour mettre en évidence une poche, une fêlure ou une fracture ;

• palpation au niveau des apex ;

• test de mobilité.

Les examens complémentaires nécessaires corrélés aux tests cliniques permettent de diagnostiquer de façon sûre les lésions d’origine endodontique et, ainsi, de définir la conduite à tenir avant l’intervention médicale prévue. Il est également important de connaître l’historique des traitements. En effet, une radio-clarté apicale peut tout à fait être une lésion d’origine endodontique en train de guérir. Si le traitement endodontique a été réalisé récemment, il est nécessaire de se procurer les radiographies antérieures qui permettent de mettre en évidence une guérison en cours (diminution de la taille de la lésion et disparition des symptômes).

Conclusion

Le bilan bucco-dentaire infectieux pré-interventionnel est une étape importante dans le parcours de soin d’un patient qui va recevoir une prothèse (valvulaire ou orthopédique) ou qui se prépare à une thérapie immunosuppressive. La détection des foyers infectieux bucco-dentaires permet d’éviter une infection secondaire à distance, d’origine dentaire.

Une approche systématique du bilan bucco-dentaire permet de détecter ces foyers de manière reproductible. Elle comporte un examen clinique minutieux exo-buccal et endo-buccal, une radiographie panoramique associée, si nécessaire, à une radiographie rétroalvéolaire et, parfois, à un CBCT.

À l’issue de ce bilan, une attestation indiquant la présence ou l’absence de foyers infectieux d’origine dentaire doit être remise au patient.

Bibliographie

  • [1] Li X, Kooltveit KM, Tronstad L, Olsen I. Systemic diseases caused by oral infection. Clin Microb Rev 2000;13:547-558.
  • [2] AFSSAPS. Prescriptions des antibiotiques en pratique bucco-dentaire. Saint-Denis-la-Plaine : AFSSAPS, 2011.
  • [3] Berbari EF, Osmon DR, Carr A, Hanssen AD, Baddour LM, Greene D et al. Dental procedures as risk factors for prosthetic hip or knee infection: a hospital-based prospective case-control study. Clin Infect Dis 2010;50:8-16.
  • [4] Société française de chirurgie orale. Recommandations de pratique clinique : prise en charge des foyers infectieux bucco-dentaires. Paris : SFCO, 2012.
  • [5] Jaoui L. Classification des maladies parodontales. Le fil dentaire 2008;31:26-29.
  • [6] Eriksen HM, Kirkevang LL, Petersson K. Endodontic epidemiology and treatment outcome: general considerations. Endodontic Topics 2002;2:1-9.
  • [7] Estrela C, Bueno MR, Leles CR, Azevedo B, Azevedo JR. Accuracy of cone beam computed tomography and panoramic and periapical radiography for detection of apical periodontitis. J Endod 2008;34:273-279.