La greffe épithélio-conjonctive est-elle encore d’actualité ? - Clinic n° 04 du 01/04/2017
 

Clinic n° 04 du 01/04/2017

 

PARODONTIE

Cédric Fiévet  

Parodontiste
Exercice privé
Chantilly

Face à l’évolution des techniques de chirurgie muco-gingivale par greffe de conjonctif enfoui (tunnel, lambeau à rotation papillaire…), la greffe épithélio-conjonctive peut sembler obsolète. Quelles en sont encore les indications aujourd’hui ?

La greffe épithélio-conjonctive, ou greffe gingivale libre, a été initialement décrite pour créer de la gencive autour d’un site défaillant mais elle ne constitue pas la technique de choix pour obtenir un recouvrement radiculaire. La création de gencive est indiquée dans de nombreuses situations cliniques, par exemple un vestibule court compliquant le brossage, l’insertion haute d’un frein exerçant une traction sur la gencive ou la muqueuse et favorisant la récession parodontale (un blanchiment des tissus mous lors de la mobilisation du frein indique une traction traumatique) ou la présence d’une restauration prothétique fixe ou amovible qui augmente les contraintes bactériennes et/ou mécaniques sur les tissus mous environnants. L’apport de tissu kératinisé permettra au minimum de prévenir ou d’arrêter la progression de la récession parodontale et de stabiliser le niveau de la gencive marginale.

La réalisation d’une greffe épithélio-conjonctive sous-entend qu’un fragment de gencive est déplacé d’un site donneur (palatin, crestal ou tubérositaire) vers un site receveur nourricier. Lorsque cette technique est appliquée pour réaliser un recouvrement radiculaire, cela implique que le greffon soit placé en partie sur une zone avasculaire (racine dentaire) avec risque de nécrose partielle ou totale. C’est pourquoi la greffe épithélio-conjonctive n’est pas la meilleure solution pour obtenir un recouvrement radiculaire ni pour traiter un secteur esthétique à cause d’une intégration tissulaire et d’un fondu difficilement prévisibles (risque de cicatrisation du type « rustine »).

Une indication extrêmement fréquente de la greffe épithélio-conjonctive reste la zone incisive mandibulaire (région sans contrainte esthétique) quand un vestibule court ou une insertion haute d’un frein empêche l’utilisation des techniques de greffes enfouies par manque de mobilisation des tissus [1].

Une étude rétrospective [2] (de 10 à 25 ans de suivi sur 224 sites) montre que les greffes épithélio-conjonctives (décrites par Bjorn en 1963) augmentent la quantité de tissu kératinisé des sites traités, réduisent et limitent la récession parodontale à long terme. Au bout de 1 an, l’attache rampante permet un gain de 0,6 mm de gencive en direction coronaire et la hauteur de tissu kératinisé diminue de 0,7 mm avec un léger déplacement coronaire de la limite muco-gingivale. Cela illustre la stabilité de la greffe gingivale dans le temps et les possibilités d’obtenir un recouvrement radiculaire. À court et moyen termes, il a été montré que la greffe épithélio-conjonctive permettait en effet d’obtenir un recouvrement dans 65 % des situations traitées [3] pour un recouvrement total dans un tiers des cas [4].

En conclusion, dans des sites anatomiquement défavorables (malposition dentaire, vestibule peu profond, insertion haute des muscles du menton, parodonte très fin…) pour lesquels la réalisation de greffes de conjonctif enfoui n’est pas indiquée, la greffe épithélio-conjonctive permet, en créant de la gencive, de prévenir la progression de récessions parodontales avec une possibilité non prévisible d’obtenir un recouvrement radiculaire. À ce titre, et même si cette région mandibulaire est peu visible lors du sourire, il est important de bien communiquer avec le patient en amont de la chirurgie pour éviter toute attente esthétique démesurée.

Cet article présente plusieurs situations cliniques pour lesquelles une greffe épithélio-conjonctive a été envisagée avec leur suivi dans le temps.

Cas clinique 1

Sur un terrain de parodontite chronique, l’agression mécanique et la rétention de plaque liée aux dépôts de tartre en vestibulaire de 41 et 42 ont participé à l’apparition de récessions parodontales avec migration apicale du niveau gingival (fig. 1). Le traitement étiologique parodontal et la suppression des facteurs irritants (même si les indices de plaque et de saignement sont encore significatifs) permettent, en quelques semaines, une réparation spontanée quasi ad integrum du parodonte marginal (fig. 2).

Cas clinique 2

La situation clinique est similaire à celle du premier cas clinique mais le biotype parodontal est fin et festonné. La cicatrisation après traitement initial met en évidence une perte totale des tissus kératinisés en vestibulaire de 31-41.

Une greffe épithélio-conjonctive est indiquée en raison de l’absence de tissu kératinisé apicalement et latéralement aux récessions. La greffe épithélio-conjonctive permet, au bout de 2 ans, un recouvrement des dénudations radiculaires associé à une importante augmentation de gencive (fig. 3 à 7).

Cas clinique 3

Chez ce patient atteint d’une gingivite, les 31 et 41 sont à fort risque de présenter des récessions parodontales, notamment en raison de facteurs locaux : faiblesse de la gencive, vestibulotopie de 41 avec encombrement associé et frein à insertion haute qui mobilise le parodonte marginal. La frénectomie est complétée par une greffe gingivale et, au bout de 6 ans, une bonne intégration tissulaire et les signes de santé parodontale sont observés (fig. 8 à 10).

Cas clinique 4

Dans une autre situation et devant l’aggravation de la récession vestibulaire de 46 qui présente une absence de tissu kératinisé et une sensibilité au brossage, et dans la mesure où les conditions anatomiques le permettent (vestibule profond, absence d’insertion musculaire haute), une greffe épithélio-conjonctive a également été réalisée (fig. 11 et 12).

Stabilité des niveaux gingivaux après greffe épithélio-conjonctive

Les récidives des récessions parodontales sont rares après greffe gingivale. Elles sont le plus souvent dues à une mauvaise évaluation de la situation clinique, à une technique de greffe inappropriée ou à une mauvaise correction des facteurs ayant généré la récession. Il est ainsi inévitable d’observer une nouvelle récession dans les années qui suivent une greffe ingivale si, par exemple, le brossage reste traumatique. Dans les cas où ces facteurs d’aggravation sont bien maîtrisés, les résultats des greffes gingivales sont stables dans le temps [5].

Cas clinique 5

Après traitement orthodontique (noter les difficultés à traiter la béance et à redonner un guide antérieur), une récession en vestibulaire de 41 de classe II de Miller (récession apicale à la limite muco-gingivale mais avec préservation des zones interproximales permettant une possibilité de recouvrement à 100 %) est apparue. Cette récession, du fait de sa hauteur et de la proximité avec le frein, est difficile à brosser. Dans ces conditions, une greffe gingivale a été réalisée pour un recouvrement quasi complet. Au bout de 4 ans, une stabilité des niveaux gingivaux à la mandibule est obtenue. En revanche, au maxillaire, l’aggravation de la récession parodontale au niveau de 24 et surtout de 23 (brossage traumatique d’une patiente droitière) a conduit à indiquer un lambeau déplacé coronairement (et conjonctif enfoui pour 23) de 21 à 24 (fig. 13 à 20).

Évolution sans traitement

En l’absence de traitement parodontal (éducation du patient à l’hygiène orale, modifications des facteurs locaux), l’aggravation de la situation est souvent inéluctable.

Cas clinique 6

Aggravation en 5 ans et sans traitement des pertes tissulaires vestibulaires des incisives mandibulaires. La progression de la maladie parodontale (inflammation, plaque et tartre) sur ces réces?sions en fissure est particulièrement visible autour de 31 (fig. 21 et 22).

Cas clinique 7

Après orthodontie, une greffe gingivale est indiquée en vestibulaire de 42 dont la racine semble sortie de son couloir dentaire. Le jeune patient part étudier à l’étranger et « oublie » de faire procéder à l’intervention. Il est revu 4 ans plus tard. La récession vestibulaire de 42 est terminale et une lésion (endo-parodontale ?) s’est développée. La dent est condamnée (fig. 23 à 26).

Surveillance des niveaux gingivaux

Lors des bilans parodontaux, en présence de récession parodontale ou devant des situations à risque, il n’est pas toujours indiqué d’intervenir chirurgicalement en première intention. Sans demande expresse du patient ni risque d’aggravation majeure, il est parfois utile d’observer (notamment à l’aide de macrophotographies) à intervalles réguliers (dans le cadre d’une thérapeutique parodontale de soutien) le comportement des tissus et de donner du temps à la prise de décision chirurgicale.

Cas clinique 8

Surveillance des niveaux gingivaux après orthodontie chez cette jeune patiente qui ne présente aucune doléance d’ordre esthétique ou fonctionnelle (sensibilité). Entre 2007 et 2016, on peut noter une légère aggravation autour des sites mésio-vestibulaires de 16 et 46, mais une amélioration en vestibulaire de 22. En presque 10 ans, la situation est globalement stable et ne nécessite toujours pas d’intervenir (fig. 27 à 32).

Cas clinique 9

Adolescente vue après alignement dentaire en 2010 pour une indication de greffe gingivale autour de 31. Six ans plus tard et avec un contrôle de plaque efficace et atraumatique, les niveaux gingivaux n’ont pas évolué (fig. 33 et 34). À ce stade, pour limiter les risques d’aggravation, la patiente de 21 ans préfère réaliser la greffe.

Conclusion

Dans la pratique quotidienne, les récessions parodontales chez l’enfant ou chez l’adulte sont des situations cliniques fréquentes. Sans doléance d’ordre esthétique ou fonctionnel, le dilemme est de savoir s’il y a lieu d’intervenir ou non chirurgicalement [6]. L’analyse des facteurs anatomiques de prédisposition ou des facteurs de risque comportementaux (brossage traumatique…) est importante pour évaluer le risque de progression de la récession parodontale et indiquer la technique adéquate. La greffe épithélio-conjonctive conserve encore ses indications mais, au regard de la littérature scientifique, la compréhension des causes, pronostics et traitements de ces récessions continue de nous offrir beaucoup de questions sans réponses définitives [7]. Aussi l’expérience clinique et l’observation des cas cliniques à long terme sont des outils qui guident la prise de décision au quotidien.

Bibliographie

  • [1] Cortellini P, Tonetti M, Prato GP. Partly epitheliazed free gingival graft at lower incisors. A pilot study with implication for alignment of the mucogingival junction. J Clin Periodontol 2012;7: 674-680.
  • [2] Agudio G, Nieri M, Rotundo R, Cortellini P, Pini Prato GP. Free gingival grafts to increase keratinized tissue: a retrospective long-term evaluation (10 to 25 years) of outcomes. J Periodontol 2008;79:587-594.
  • [3] Wennstrom JL, Zucchelli G. Increased gingival dimensions. A significant factor for successful outcome of root coverage procedures? A 2-year prospective clinical study. J Clin Periodontol 1996;23:770-777.
  • [4] Kerner S, Katsahian S, Sarfati A, Korngold S, Jakmakjian S, Tavernier B et al. A comparison of methods of aesthetic assessment in root coverage procedures. J Clin Periodontol 2009;36:80-87.
  • [5] Agudio G, Nieri M, Rotundo R, Franceschi D, Cortellini P, Pini Prato GP. Periodontal conditions of sites treated with gingival-augmentation surgery compared to untreated contralateral homologous sites: a 10- to 27-year long-term study. J Periodontol 2009; 80:1399-1405.
  • [6] Merijohn GK. Management and prevention of gingival recession. Periodontol 2000 2016;71: 228-242.
  • [7] Chan HL, Chun YH, MacEachem M, Oates TW. Does gingival recession require surgical treatment? Dent Clin North Am 2015; 59:981-96.