Aides à l’installation : osez les zones fragiles ! - Clinic n° 06 du 01/06/2017
 

Clinic n° 06 du 01/06/2017

 

ENQUÊTE

Marie LUGINSLAND  

Passage de témoin oblige, la profession et les pouvoirs publics jalonnent plus que jamais l’installation des jeunes par différents dispositifs. Que ce soit par la défiscalisation ou par le subventionnement, leurs premiers pas dans l’exercice libéral seront facilités. À condition toutefois de s’installer dans des zones sous-dotées et, donc, de dépasser bien des idées reçues.

C’est désormais une volonté politique que d’accompagner les premiers pas des jeunes professionnels. On doit à la profession, principalement aux syndicats, cette prise de conscience qui répond au constat indéniable de l’existence de zones fragiles, c’est-à-dire sous-dotées en praticiens, sur le territoire français.

Les représentants des chirurgiens-dentistes n’ont eu de cesse d’œuvrer pour poursuivre et revaloriser les aides à l’installation, comme en témoigne Doniphan Hammer, président de la Commission de formation et d’implantation professionnelles de la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD). Ces avancées se sont récemment concrétisées, rappelle-t-il, dans l’avenant 4 à la convention dentaire. Il introduit en effet de nouvelles règles dans la répartition démographique, notamment un nouveau zonage et une amélioration dans le choix des classifications des régions. Mais surtout, le contrat incitatif est porté à 25 000 € d’aide à chaque nouveau praticien installé dans une zone très sous-dotée. Autre victoire, selon Doniphan Hammer, « le fait d’avoir inclus dans ces aides les collaborateurs dont le statut avait été quelque peu oublié ».

Soigner les racines

Cette mobilisation pour préparer le terrain aux jeunes est aujourd’hui un passage obligé pour une profession qui doit relever un défi démographique majeur(1). Reste à rendre cet exercice attractif, non seulement en déployant des dispositifs incitatifs mais aussi en gommant quelques aspérités sémantiques. C’est la préoccupation de l’Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire (UNECD), comme le rappelle son président, Jérémy Glomet : « La terminologie “zones sous-dotées” est défavorable. Il faut faire comprendre aux jeunes que ce ne sont pas des déserts. Il y a des zones sous-dotées à la sortie des grandes villes et on peut très bien y exercer. En général, on y trouve un très bon accueil et beaucoup moins de concurrence qu’ailleurs. »

Un constat relayé par Julien Fraysse, expert-comptable spécialisé dans les cabinets de chirurgiens-dentistes. Il est formel : « Évitez les villes intra-muros. Le conseil à donner est de s’installer dans une zone sous-dotée. Cela ne veut pas obligatoirement dire partir dans des régions rurales reculées. Il y a, à la périphérie des grandes villes, des zones sous-dotées où le praticien peut commencer son exercice dans de bonnes conditions, sans concurrence frontale avec les centres dentaires low-cost, et où il peut profiter d’un immobilier moins cher. » L’expert-comptable précise qu’en matière de rentabilité, une installation dans une zone sous-dotée présente une rentabilité plus élevée qu’en centre-ville. « Cela peut aller du simple au double », affirme-t-il.

Une fois évacués ses préjugés, le futur praticien installé peut compter sur l’accompagnement de toute une profession. Les centres d’enseignement et de soins dentaires des centres hospitaliers qui se sont multipliés au cours des dernières années sur l’ensemble du territoire concrétisent eux aussi cette volonté de soutenir la relève générationnelle. Les étudiants bénéficiant de cette délocalisation de leur faculté dentaire échappent ainsi à la saturation des grandes métropoles et peuvent mieux s’ancrer dans le tissu professionnel de régions dont ils sont souvent issus. « Nous travaillons activement de manière à reconstituer un maillage sur les propres racines de ces étudiants », expose Jérémy Glomet.

Autre cheval de bataille du syndicat étudiant : le stage actif qui consiste à effectuer un temps plein pendant un semestre. « Il permet aux étudiants de se placer dans l’optique d’un cabinet implanté dans l’une de ces zones sous-dotées. Mieux imprégnés de cette expérience, ils pourront alors, une fois diplômés, choisir en connaissance de cause », décrit le président de l’UNECD. Pendant ces stages actifs, les étudiants perçoivent des aides des départements (par exemple, en Mayenne, Allier, Manche ou Sarthe) qui peuvent aller du simple défraiement kilométrique ou d’une aide au logement jusqu’à une bourse de 500 € par mois.

Carotte fiscale

La confraternité appliquée au territoire est certes louable. Elle est encore plus prometteuse pour le jeune étudiant si elle est gratifiée financièrement dans le temps. En premier lieu, le candidat doit envisager son installation sous l’angle des avantages fiscaux qui peuvent lui être accordés afin de faciliter sa prise d’exercice. Or le lieu d’implantation – zone de revitalisation rurale(2) (ZRR) ou zone de redynamisation urbaine (ZRU) – définit la « carotte fiscale » mise en place par les pouvoirs publics pour remédier à l’absence de praticiens dans certaines régions. C’est dire si le choix en amont peut être déterminant pour les futures conditions d’exercice.

Autre anticipation décisive : le statut juridique de la future entreprise qui déterminera le statut fiscal du futur praticien, et les exonérations auxquelles il pourra prétendre. En effet, dans les ZRR, une exonération d’impôt sur le revenu ou sur les sociétés à raison des bénéfices réalisés est garantie aux professionnels de santé libéraux(3) (encadré 1).

À noter qu’outre ces avantages fiscaux, il est accordé, dans certains départements, des exonérations sur les cotisations patronales en cas d’embauche d’un salarié par le cabinet (article L. 131-4-2 du Code de la Sécurité sociale), sur la taxe foncière ou encore sur la cotisation foncière des entreprises (CFE) prévues par l’article 1464 D du Code général des impôts et par le Code général des collectivités territoriales pour l’exercice des professions libérales.

Que ce soit pour le choix du statut de la future entreprise dont dépendront les régimes fiscaux et sociaux ou pour effectuer les formalités de début d’activité, notamment le formulaire P0-PL(4) destiné à l’URSSAF si le praticien n’opte pas pour l’exercice en société, il est également possible de se tourner vers l’Association de gestion agréée des professions de santé (AGAPS), qui aide gratuitement tout candidat à l’installation dans ses démarches.

La vie de terrain

L’accompagnement de l’AGAPS, qui se poursuivra tout au long de l’installation et même au-delà si le chirurgien-dentiste en est devenu adhérent, permet par ailleurs d’attirer l’attention du futur praticien sur quelques écueils à éviter, notamment sur le rachat de la dette en cas de reprise d’un cabinet. « Il n’est pas rare que les praticiens installés depuis longtemps passent en SEL (société d’exercice libéral) afin de pouvoir se “revendre” à eux-mêmes leur propre clientèle à l’aide d’un emprunt. Le jeune qui rachète les parts de l’ancien praticien, ne serait-ce que pour 1 € symbolique, ne doit alors pas perdre de vue qu’il rachète la dette inhérente à l’emprunt. Or, la clientèle à l’origine de cette dette vaut-elle vraiment cette somme au moment du rachat du cabinet ? N’a-t-elle d’ailleurs pas été surévaluée ? La question se pose moins en revanche si le cabinet dispose d’un plateau technique bien doté », expose Eva Turaglio de l’AGAPS. La vigilance s’impose donc. De même, Julien Fraysse tient à préciser qu’il faut également tenir compte dans ces zones, et particulièrement dans les zones franches urbaines, des conditions d’exercice parfois complexes.

« La carotte fiscale n’est pas le seul paramètre à prendre en considération dans une installation », prévient-il.

Aussi, pour éviter les mauvaises surprises, les syndicats dentaires recommandent de s’adresser à leurs cadres sur le terrain. Car la cartographie établie par l’agence régionale de santé (ARS) peut certes identifier les zones sous-dotées, et donc pouvant bénéficier des aides à l’installation (encadré 2), mais en aucun cas elles ne refléteront la réalité de l’exercice sur le terrain. « La population seule n’est pas un indicateur. Il y a des zones blanches qui le resteront. Et pour cause. La présence d’un lotissement ne renseigne en rien sur les habitudes de consommation médicale de ses habitants. Ils peuvent, pour des raisons professionnelles ou autres, consulter un praticien dans un autre bassin d’activité. Au quel cas, l’installation d’un cabinet près d’un tel lotissement s’avérerait une erreur », décrit Doniphan Hammer, précisant que les cadres syndicaux constituent un relais d’opinion incontournable. Impliqués dans l’exercice professionnel, dégagés de tout lien d’intérêt, ils peuvent dispenser des avis qui modulent la cartographie des pouvoirs publics. « De plus, les cadres syndicaux peuvent renseigner le futur installé sur les tarifs pratiqués et les évolutions récentes de l’exercice professionnel dans la zone concernée », précise le membre de la CNSD.

CESP ou la subvention anticipée

Cette implication des syndicats sur le terrain, qui va jusqu’aux interventions dans les facultés dentaires, démontre l’importance de l’adéquation des dispositifs d’aide avec les besoins des territoires. Les pouvoirs publics ne s’y sont pas trompés. Ils ont ainsi laissé les différents échelons régionaux libres de définir leur propre politique de subventionnement en zones sous-dotées. Chacun de ces dispositifs mis en place à l’échelle régionale, départementale, voire communale, vient compléter des mesures incitatives auprès des étudiants.

Ainsi certains départements, comme la Sarthe, l’Ain ou encore la Lozère, ont mis en place, dans le cadre de leur revitalisation rurale, des bourses d’étudiants moyennant, une fois que ceux-ci ont leur diplôme en poche, un engagement de 5 ou parfois 6 ans dans ces territoires.

C’est dans le même esprit qu’a été créé, à l’échelle nationale, le contrat d’engagement de service public (CESP) par la loi hôpital, patients, santé, territoires (HPST) du 21 juillet 2009. Il s’agit du seul module de subvention d’envergure nationale incitant les futurs professionnels de santé à exercer dans une zone où la continuité des soins est menacée.

Depuis la loi du 17 décembre 2012 de financement de la Sécurité sociale pour 2013, le CESP a été étendu aux étudiants en odontologie à partir de la deuxième année de leurs études(5). Il a une double fonction. Il soutient en effet l’étudiant pendant la durée de ses études par une allocation d’environ 1 200 €. En retour, son bénéficiaire devra s’engager à exercer dans une zone concernée durant un nombre d’années égal à celui pendant lequel il a perçu l’allocation. Ce mode de subvention à l’installation anticipée est largement plébiscité par les syndicats étudiants pour sa simplicité. « Nous relayons l’information par des campagnes vidéo dans les facultés et nous percevons un intérêt croissant parmi les étudiants. Cette bourse les encourage et, même si beaucoup préfèrent rester près des grandes villes, elle constitue un moyen d’incitation. De plus, la majorité des étudiants ont aujourd’hui conscience du problème car ils viennent eux-mêmes de zones sous-dotées. Ils souhaitent ainsi y retourner », déclare Jérémy Glomet.

Le pouvoir local

Le CESP est en effet plus aisé à exposer aux étudiants que les autres dispositifs d’aide à l’installation, plus complexes et surtout très variables d’une région à l’autre. Néanmoins, ces aides, pour la plupart cumulables avec le CESP, ne sont pas à négliger.

Elles constituent en effet un coup de pouce appréciable à l’installation du cabinet et au démarrage de l’activité professionnelle.

L’ensemble de ces dispositifs sont déterminés par les ARS en toute autonomie. Il arrive que ces dernières délèguent aux unions régionales des professions de santé (URPS) l’information et l’orientation des professionnels de santé. Un portail d’accompagnement des professionnels de santé (PAPS) les aiguille vers les instances compétentes en matière d’aides à l’installation.

Certaines régions, à l’instar du Centre-Val de Loire, détaillent les modalités ainsi que les zonages par département dans des guides consacrés à chacune des professions de santé libérales. La région Île-de-France a pour sa part mis en œuvre des contrats régionaux d’exercice sanitaire (CRES). Ces soutiens financiers s’adressent aux professionnels de santé, y compris aux chirurgiens-dentistes, qui s’engagent à exercer dans des communes déficitaires ou fragilisées, définies par un zonage. Ce contrat – qui assure le financement, à hauteur de 50 % de la dépense subventionnable (plafonnée à 15 000 €), pour la création ou la restructuration de bâtiments, les raccordements ou encore l’acquisition d’équipement matériel, mobilier et informatique – a pour cosignataires la région, l’ARS et la commune d’implantation.

À noter que celle-ci peut également, à sa propre échelle, favoriser l’installation d’un chirurgien-dentiste par le biais d’une maison de santé pluridisciplinaire (MSP). Cette solution est de plus en plus prônée par les instances locales (communautés de communes par exemple) pour pallier le manque de praticiens. Elles prennent ainsi en charge, entièrement ou pour partie, les coûts de construction ou de rénovation de locaux qu’elles mettent ensuite à la disposition des professionnels de santé gratuitement ou contre un faible loyer. Dans d’autres cas, des aides sont octroyées pour la construction de MSP.

Ces autres facilitateurs d’installation que sont les maisons médicales pluridisciplinaires peuvent présenter un atout indéniable, celui de la mutualisation de moyens, comme le coût d’une secrétaire (de 25 000 à 30 000 € charges comprises) ainsi que des économies sur le bâti ou sur les loyers.

Il apparaît toutefois que rares sont les chirurgiens-dentistes qui s’installent dans de telles structures communales. Pour la simple raison, comme le remarque Jérémy Glomet, « que ces locaux ne sont pas toujours dimensionnés à l’ergonomie de l’exercice odontologique ». Le président de l’UNECD n’en apprécie pas moins ces possibilités tout comme, de manière plus générale, la palette d’aides à l’installation mise à la disposition des chirurgiens-dentistes. « Elles vont permettre à la profession de constituer un maillage intéressant sans avoir recours au coercitif », assure-t-il. S’il se félicite lui aussi de ces différents dispositifs, Doniphan Hammer tient à y apporter un bémol : « se faire subventionner suppose aussi qu’on soit redevable. Aussi, dans tous les cas de figure, le professionnel de santé, s’il est assisté, doit connaître les limites de ce qu’il entend accepter. N’oublions pas que nous sommes des professionnels de santé libéraux. »

1. L’ordre national des chirurgiens-dentistes a mis en ligne, sur son site, un recensement exhaustif de tous les dispositifs d’aide à l’installation (bit.ly/2qiDfNz).

2. Les ZRR regroupent des territoires ruraux rencontrant des difficultés de densité démographique et un handicap structurel sur le plan socio-économique.

3. Articles 44 et 1465 A du Code général des impôts.

4. Nécessaire à toute déclaration d’activité libérale ou indépendante.

5. De 50 en 2013, le nombre d’étudiants signataires est passé à 110 en 2015-2016. L’arrêté du 29 novembre 2016 fixait à 112 le nombre d’étudiants en odontologie pouvant signer un contrat d’engagement de service public au titre de l’année universitaire 2016-2017.

* Auteur du Guide des entrepreneurs. chirurgiens-dentistes et orthodontistes (Paris : SARL Fraysse et associés, 2017, 35 euros).

Une exonération dégressive en 8 ans

Plutôt que pour la société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) qui rend le praticien imposable sur le revenu à titre personnel, Julien Fraysse* penche pour l’exercice individuel plaçant le praticien sous le régime fiscal des bénéfices non commerciaux (BNC). En effet, comme l’indique l’expert-comptable, le jeune récemment installé pourra, dans ce cas, bénéficier de l’exonération fiscale sur le résultat accordée aux candidats à l’installation dans des ZRR. « L’exonération fiscale sur le résultat de l’entreprise sera totale pendant 5 ans, puis dégressive : à la sixième année, le praticien bénéficiera d’un abattement de 75 %, puis de 50 % à partir de 7 ans et, enfin, de 25 % à la huitième année » expose-t-il, ajoutant que les installations en zone franche urbaine (ZFU) jouissent des mêmes avantages.

Une aide topographique pour repérer les aides

Avant d’envisager tout rachat ou toute implantation de cabinet, un zoom sur la cartographie réalisée par l’ARS s’impose afin d’identifier les zones susceptibles de bénéficier des aides. L’arrêté du 30 décembre 2010 publie le classement des communes en ZRR. Parallèlement, à l’échelle des régions, un zonage a été réalisé pour les chirurgiens-dentistes définissant 5 zones de dotation selon les besoins et l’offre de soins : zones très sous-dotées, zones sous-dotées, zones à dotation intermédiaire, zones très dotées et zones sur-dotées. L’affectation d’un zonage détermine les mesures destinées à l’installation des chirurgiens-dentistes. Alors que dans les ZRR ils bénéficieront d’exonérations fiscales (encadré 1), les candidats à l’installation pourront prétendre, dans les zones très sous-dotées (voire sous-dotées sous certaines conditions), au contrat incitatif prévu dans le cadre conventionnel.