Bris instrumental intracanalaire : Technique et prise de décision - Clinic n° 03 du 01/03/2015
 

Clinic n° 03 du 01/03/2015

 

Endodontie

Soazig GLATIGNY*   Tchilalo BOUKPESSI-JUBIEN**   Jean-Philippe MALLET***  


*Docteur en chirurgie dentaire
DIU d’endodontie, université
Paris Descartes
**Docteur en chirurgie dentaire
MCU-PH, université Paris Descartes,
hôpital Charles-Foix AP-HP
***Docteur en chirurgie dentaire
Ancien assistant hospitalo-universitaire,
université Paris Descartes

La présence d’un bris d’instrument dans le réseau canalaire complique le traitement endodontique et compromet le contrôle de l’infection canalaire, ce qui peut altérer le pronostic du traitement. Cependant, et malgré les avancées techniques dans le domaine, le retrait du fragment fracturé peut représenter un risque pour l’intégrité de la dent et son avenir fonctionnel. C’est ce rapport bénéfice/risque que le praticien doit savoir analyser afin d’orienter sa décision thérapeutique dans l’intérêt de la dent et du patient.

La fracture d’instruments dans le réseau endodontique, sans être un événement fréquent, reste relativement courante au vu du nombre de traitements réalisés. Tout praticien doit donc savoir apprécier la situation en s’appuyant sur des données scientifiques et cliniques guidant les différentes options thérapeutiques et leur pronostic. Le recueil et l’analyse de ces données devront éclairer sa prise de décision : faut-il déposer ou non ?

Les règles générales régissant la gestion des bris instrumentaux intracanalaires s’appuient sur les principes fondamentaux et les objectifs des traitements endodontiques : prévenir ou supprimer les pathologies périradiculaires par un contrôle optimal de l’infection canalaire et, ainsi, assurer l’avenir fonctionnel de la dent.

Un bris d’instrument présent dans le réseau canalaire peut être considéré comme un facteur de risque indirect de l’échec endodontique, dans la mesure où il compromet le contrôle de l’infection bactérienne (empêchant l’accès d’une partie de ce réseau aux instruments, solutions d’irrigation et matériaux d’obturation). Il paraît alors logique que son retrait permette de rétablir la perméabilité canalaire et d’obtenir une meilleure prédictibilité du traitement.

Techniques de retrait

De nombreuses techniques ont été décrites dans la littérature, certaines sont largement éprouvées, d’autres sont plus anecdotiques. Cependant, elles nécessitent toutes, dans un premier temps, un accès rectiligne à la tête du fragment (par un aménagement de la cavité d’accès ou bien au détriment des parois canalaires).

La plus ancienne utilise un système d’extracteur, le kit de Masserann (Micro Mega, Besançon) (fig. 1 et 2). L’accès rectiligne est réalisé par un aménagement de la cavité d’accès, puis la création d’un plateau centré sur la tête de l’instrument permet l’introduction d’un trépan (fig. 3) qui en libère la partie coronaire. L’extracteur (tube creux) est ensuite mis en place dans l’espace créé autour de l’instrument et un pointeau inséré dans le tube vient bloquer le fragment contre ses parois. Un mouvement, horaire ou anti-horaire selon la nature de l’instrument, permet ensuite son dégagement (fig. 4).

D’autres systèmes d’extracteurs ont été décrits. Certains, plutôt artisanaux, utilisent des tubes du type aiguille hypodermique. Une aiguille du diamètre de l’instrument fracturé est choisie ; elle est utilisée comme un trépan, son bord biseauté tranchant étant susceptible d’entamer la dentine. Il est préconisé d’utiliser un adhésif, un composite ou un autre instrument servant de coin à l’intérieur de l’aiguille pour venir bloquer l’instrument fracturé. Le système est ensuite retiré par un mouvement de dévissage [1].

Enfin, plus récemment, ont été mis au point l’IRS (Dentsply) et l’Endo Rescue (Komet), sur le même principe que le kit de Masserann mais avec pour différence le diamètre externe des extracteurs réduit par rapport à celui du Masserann (fig. 5 et 6).

Les systèmes d’extracteur ont l’inconvénient d’être les moins économes en tissu dentaire puisqu’ils nécessitent un délabrement tissulaire correspondant au diamètre externe de l’extracteur (fig. 7). Leur utilisation est finalement limitée aux instruments fracturés à l’entrée du canal radiculaire ou bien dans des canaux droits et larges.

L’instrumentation ultrasonore est la technique la plus utilisée, aussi bien par les endodontistes que par les omnipraticiens [2]. Notamment décrite par Ruddle [3], elle nécessite cependant, en premier lieu, de créer un accès visuel direct au bris instrumental (même sous aide optique). Cet auteur réutilise ainsi l’idée du plateau centré sur le fragment et introduit pour cela l’utilisation d’un foret de Gates « modifié » dont la pointe est meulée jusqu’à son diamètre le plus large, rendant l’instrument plat à son extrémité mais plus agressif.

Une fois le plateau créé, le dégagement de la tête de l’instrument à l’aide d’une instrumentation ultrasonore (fig. 8 à 11) peut se faire sous contrôle visuel permanent (donc sans irrigation). Puis un insert plus fin est glissé le long du fragment (toujours sans irrigation) afin de permettre le dégagement du bris instrumental des parois canalaires grâce à sesvibrations associées à un mouvement horaire ou antihoraire selon le type d’instrument fracturé.

L’utilisation du foret de Gates « modifié » reste cependant peu fiable puisque, coupé dans son diamètre le plus large, il ne permet pas de contrôler visuellement la création du plateau. Le risque de complications, notamment de déportation du canal, est accentué, et ce d’autant plus que le fragment est situé apicalement dans le canal.

Terauchi et al. [4], reprenant l’idée première de Ruddle, prévoient une série d’instruments spécifiquement conçus pour la création de l’accès rectiligne et du plateau ainsi que pour la libération de la partie coronaire du fragment fracturé, afin de faciliter la mise en place d’un autre système de retrait : le File Removal System (fig. 12 et 13). Fonctionnant sur le principe du lasso, une tige métallique, présentant à son extrémité une boucle de fil qui se règle selon le diamètre du fragment, permet sa préhension puis son retrait. Terauchi et al. [4] sont alors les premiers à introduire l’idée d’un plateau technique spécifiquement conçu pour le retrait des instruments fracturés et ses impératifs (visibilité, gestion des courbures), notamment pour la création de l’accès rectiligne et du plateau, et réservé à cet effet.

À ce stade, l’utilisation d’aides optiques (loupes ou microscope opératoire selon le niveau de fracture) apparaît comme prérequis indispensable au bon déroulement de toute procédure de retrait afin de minimiser la mutilation dentinaire et le risque de complications, quelle que soit la technique utilisée (fig. 14). Une étude récente met d’ailleurs en évidence que les taux de succès des tentatives de retrait sont deux fois plus élevés lorsque l’instrument est visible sous microscope opératoire [5].

Contourner l’instrument (ou bypass), une alternative de choix

Cette même étude [5] met en évidence l’intérêt du contournement latéral du fragment en l’absence de visibilité du bris instrumental. Cette technique vise à rétablir la perméabilité apicale et donne donc accès à la totalité du canal (fig. 15).

Une lime K de petit diamètre est insérée dans le canal afin de passer à côté du fragment et de le contourner. Pour réaliser ce contournement, il faut en premier lieu rechercher les zones non travaillées du canal (isthmes par exemple) (fig. 16) afin de trouver un passage latéral et de faciliter l’insertion de la lime.

En plus de permettre le rétablissement de la perméabilité apicale, cette manœuvre suffit parfois à libérer les contraintes retenant le bris d’instrument et à faciliter son délogement. Elle est relativement simple à mettre en œuvre et ne nécessite par ailleurs aucun plateau technique particulier, en dehors de la patience et du sens tactile de l’opérateur. Elle n’est néanmoins pas exempte de complications et requiert une certaine expérience afin d’éviter d’éventuelles fausses routes ou perforations ou encore de repousser l’instrument plus profondément dans le canal. C’est aussi pourquoi des contrôles radiographiques peropératoires sont indispensables afin de s’assurer du respect du trajet canalaire initial.

Cette manœuvre est considérée comme une bonne étape initiale puisque le rétablissement de la perméabilité apicale assure une désinfection et une obturation sur toute la longueur du canal. C’est pourquoi il est parfois recommandé de ne pas tenter le retrait du fragment lorsque le contournement est complet afin de préserver au mieux l’intégrité des tissus dentaires [6].

En conclusion, le contournement est une solution de choix lorsque la tentative de retrait a échoué ou bien lorsque l’instrument semble difficilement accessible aux manœuvres de dépose.

Rapport bénéfice/risque de la gestion des bris instrumentaux

La littérature médicale récente (tableau 1) rapporte des taux de succès des tentatives de dépose pouvant atteindre 95 % [7] (dans les conditions de l’étude : endodontistes expérimentés, sous microscope opératoire, aux ultrasons). Les techniques actuelles et, notamment, l’avènement du microscope opératoire en ont fait un acte plus prédictible et potentiellement moins iatrogène qu’avant, mais le risque de complications n’est pas nul. Une étude de 2008 [2] met en évidence que 62 % de praticiens (endodontistes et omnipraticiens confondus) rapportent la survenue de complications peropératoires ou postopératoires. Les principales complications recensées sont l’élargissement excessif du canal, la création de marches, de fausses routes ou bien de perforations.

L’avenir se tourne alors vers des techniques qui seraient peu mutilantes pour les tissus dentaires, comme le laser Nd:YAG (neodymium-doped yttrium aluminium garnet, ou grenat d’yttrium-aluminium dopé au néodyme), ou encore la dissolution électrochimique des fragments fracturés [8]. Mais ces techniques non mutilantes ne sont pas encore d’actualité. Malgré les avancées techniques, il reste à ce jour illusoire de penser que tous les fragments peuvent être déposés. Le traitement endodontique n’étant qu’une étape dans la restauration fonctionnelle de la dent, une volonté acharnée de déposer à tout prix peut mener à une fragilisation excessive de la racine mettant en péril l’avenir fonctionnel de la dent.

Alors, bien que l’idéal reste le retrait du bris instrumental, le praticien doit rester prudent. Un examen attentif et méthodique de la situation clinique lui permettra de déterminer les facteurs de risque associés à son retrait et de reconnaître les situations où contourner le fragment ou le laisser en place est la solution de choix.

Facteurs influençant le retrait des instruments fracturés

La décision thérapeutique s’articule principalement autour de la probabilité du retrait du fragment fracturé sans causer trop de dégâts tissulaires, et plusieurs facteurs l’influençant ont été décrits (tableau 2).

Facteurs liés au patient

Les procédures endodontiques sont longues et parfois coûteuses. Le consentement du patient est un préalable indispensable au traitement. Le patient doit être informé des enjeux et des risques, afin de participer à la décision de manière éclairée. Aucune précaution médicale particulière à la dépose n’existe, si ce n’est l’ouverture buccale et la capacité du patient à rester la bouche ouverte et immobile durant le temps de l’intervention.

Facteurs liés au praticien

La manœuvre de dépose et la maîtrise du plateau technique (instrumentation ultrasonore, systèmes de retrait, microscope opératoire) requièrent certaines connaissances, de l’expérience et de l’entraînement. L’expérience du praticien est également un élément déterminant dans l’analyse de la situation. L’indication du retraitement doit être judicieusement posée et la difficulté du traitement évaluée dans son ensemble. Cette évaluation peut être facilitée par l’utilisation d’un questionnaire, mis au point au Canada par l’Académie canadienne d’endodontie, permettant d’identifier tous les facteurs de risque qui lui sont liés (Classification des cas selon les degrés de difficulté et de risque [9]) (tableau 3).

Enfin, la capacité du praticien à évaluer ses propres limites et celles de la situation clinique est indispensable. Il doit pouvoir s’arrêter à bon escient, puisqu’il a été mis en évidence qu’au-delà de 45 minutes, le risque de complications augmente et le taux de succès décroît [10].

Facteurs liés à la dent et à l’instrument

L’accès et la visibilité du fragment fracturé sont les deux éléments centraux de la probabilité de son retrait. Ils dépendent de la dent incriminée (les dents antérieures et maxillaires présentent de meilleurs taux de succès de dépose que les autres) et d’éventuelles versions ou rotations pouvant en compliquer l’accès, ainsi que de la position de l’instrument fracturé dans le canal (fig. 17). La destruction de dentine nécessaire à l’accès au fragment et le temps écoulé sont d’autant plus importants que celui-là est situé apicalement ou engagé dans une courbure canalaire (fig. 18). De plus, dans ce cas, l’utilisation des outils de retrait et la manipulation du fragment sous contrôle visuel permanent seront d’autant plus délicats et moins précis. Le risque de fausse route et de perforation est accentué et les chances de succès diminuent.

L’interface entre le bris instrumental et les parois canalaires est un élément qui prédira la difficulté à le désengager de la dentine (en termes de temps et de destruction tissulaire). Elle dépend de la forme du canal (rond, ovalaire), du type d’instrument (instrument en acier, en nickel-titane), de sa section et du mode de fracture (lors d’une fracture en torsion, le fragment est verrouillé sur une partie de sa longueur et donc plus enchâssé dans les parois canalaires que lors d’une fracture en flexion).

Laisser l’instrument en place, un compromis satisfaisant

Lorsque le contournement ou le retrait échoue, il est acquis que laisser l’instrument en place dans le canal est un compromis satisfaisant.

Selon les résultats d’une méta-analyse récente [11], la présence d’un instrument fracturé dans le réseau canalaire n’influencerait pas le pronostic du traitement et l’un des facteurs pronostiques principaux resterait la présence ou non d’une parodontite apicale. Son niveau de preuve est cependant relativement limité [12] et de futures études de haute qualité sont nécessaires.

Néanmoins, quelques auteurs considèrent qu’il s’agit d’une solution de choix dans certaines circonstances. Lorsque l’instrument n’est pas visible sous microscope opératoire ou semble difficile d’accès (après courbure canalaire, tiers apical), la dépose ne doit pas être tentée afin d’éviter toute fragilisation excessive. Il s’agira alors de mettre en forme la partie du canal en amont du fragment, lequel sera incorporé dans le matériau d’obturation. La partie du canal apicale au fragment restera non instrumentée et non obturée. Une surveillance régulière sera alors mise en place et, dans les cas de non-guérison, une solution chirurgicale pourra être envisagée.

Abord chirurgical

Lorsque la gestion par voie orthograde d’un bris instrumental dans le réseau canalaire échoue ou que l’accès au fragment fracturé est compliqué par la présence d’éléments prothétiques, ou encore que le risque de fracture radiculaire est trop important, une solution chirurgicale peut être envisagée lorsqu’elle est possible (microchirurgie endodontique, hémisection, amputation radiculaire) [13]. Lors de pathologies apicales aiguës, elle peut également être une solution de première intention, dans les limites relatives aux traitements chirurgicaux.

Toutefois, les procédures endodontiques par voie chirurgicale, de type microchirurgie endodontique apicale, ne peuvent là encore être envisagées que si elles permettent une amélioration certaine de la situation clinique. Ainsi le plateau technique (aides optiques, microscope opératoire, instrumentation ultrasonore spécifique et obturation par des matériaux biocompatibles) comme l’acquisition de compétences devront être évalués avant toute réalisation clinique.

Conclusion

L’objectif du traitement doit rester le contrôle de l’infection canalaire et le retrait ne doit pas être une fin en soi. L’analyse de la situation doit donc permettre d’évaluer dans quelle mesure le contrôle de l’infection bactérienne est compromis par la présence du fragment instrumental. Ce contrôle sera d’autant plus compromis que la fracture a eu lieu à un stade précoce du traitement et que l’espace canalaire non débridé, non désinfecté et non obturé est important.

Il revient enfin à chaque praticien de juger de la possibilité du retrait du fragment en fonction de son plateau technique et ses compétences, de la motivation et de la compliance du patient ainsi que de l’accès possible au fragment fracturé. Tenter son contournement doit néanmoins rester l’étape initiale et la solution de choix.

  • [1] Eleazer PD, O’Connor RP. Innovative uses for hypodermic needles in endodontics. J Endod 1999;25:190-191.
  • [2] Madarati AA, Watts DC, Qualtrough AJE. Opinions and attitudes of endodontists and general dental practitioners in the UK towards the intra-canal fracture of endodontic instruments. Part 2. Int Endod J 2008;41:1079-1087.
  • [3] Ruddle CJ. Broken instrument removal. The endodontic challenge. Dent Today 2002;21:70.
  • [4] Terauchi Y, O’Leary L, Kikuchi I, Asanagi M, Yoshioka T, Kobayashi C, et al. Evaluation of the efficiency of a new file removal system in comparison with two conventional systems. J Endod 2007;33: 585-588.
  • [5] Nevares G, Cunha RS, Zuolo ML, Bueno CE. Success rates for removing or bypassing fractured instruments : a prospective clinical study. J Endod 2012;38:442-444.
  • [6] Parashos P, Messer HH. Rotary NiTi instrument fracture and its consequences. J Endod 2006;32: 1031-1043.
  • [7] Cujé J, Bargholz C, Hülsmann M. The outcome of retained instrument removal in a specialist practice. Int Endod J 2010;43:545-554.
  • [8] Aboud LRL, Ormiga F, Gomes JACP. Electrochemical induced dissolution of fragments of nickel-titanium endodontic files and their removal from simulated root canals. Int Endod J 2014;47:155-162.
  • [9] CAE. Standards of practice. Halifax : Canadian Academy of Endodontics, 2012. http://www.caendo.ca/about_cae/standards/standards_english_2012.pdf
  • [10] Suter B, Lussi A, Sequeira P. Probability of removing fractured instruments from root canals. Int Endod J 2005;38:112-123.
  • [11] Panitvisai P, Parunnit P, Sathorn C, Messer HH. Impact of a retained instrument on treatment outcome : a systematic review and meta-analysis. J Endod 2010; 36:775-780.
  • [12] Murad M, Murray C. Impact of retained separated endodontic instruments during root canal treatment on clinical outcomes remains uncertain. J Evid Based Dent Pract 2011;11:87-88.
  • [13] Madarati AA, Hunter MJ, Dummer PMH. Management of intracanal separated instruments. J Endod 2013;39:569-581.