Extraction-réimplantation intentionnelle : à propos d’un cas clinique - Clinic n° 03 du 01/03/2015
 

Clinic n° 03 du 01/03/2015

 

CHIRURGIE/ENDODONTIE

Serge BAL  

Chirurgien-dentiste
Exercice limité à l’endodontie

Ce cas clinique a été présenté de très nombreuses fois. Il a toujours suscité beaucoup de réticence, quelquefois de l’amusement, voire parfois de l’agressivité de la part des auditeurs, en tout cas il ne les a jamais laissés indifférents. Et pourtant… ces mêmes confrères sont tous unanimes pour dire que, lors d’un accident avec expulsion d’une dent, il faut toujours essayer de réimplanter cette dent.

La réimplantation de la dent doit se faire le plus rapidement possible et dans des conditions pas toujours ni favorables, ni faciles ! Don Arens [1, 2], en 1981 (1984 pour la traduction française), l’écrivait déjà : « Le tabou qui accompagne la réimplantation intentionnelle est un peu curieux, étant donné que presque tous les dentistes sont en faveur de la réimplantation des dents accidentellement expulsées. Pourquoi ne pas accepter la réimplantation des dents lorsque les conditions sont presque parfaites, alors que l’on accepte généralement le principe dans des conditions qui sont loin d’être idéales ? »

Nous allons présenter ce cas d’extraction/réimplantation intentionnelle en détaillant le protocole clinique qui a été appliqué. Puis les indications et contre-indications, ainsi que le pronostic à court, moyen et long termes de telles situations seront discutés.

Présentation du cas clinique

Le 8 novembre 2005, une patiente de 32 ans nous est adressée par son praticien traitant pour un retraitement endodontique ou une microchirurgie endodontique de sa seconde molaire mandibulaire gauche (37).

L’anamnèse médicale ne révèle rien de particulier, excepté une allergie à la pénicilline. La patiente est en bonne santé.

L’anamnèse dentaire révèle des douleurs localisées, intermittentes, depuis 6 mois environ, douleurs qui sont augmentées à la mastication. Un traitement antibiotique a été administré dans les mois précédents, mais la patiente ne se souvient pas du nom du médicament. Le traitement a supprimé les douleurs mais elles sont revenues quelque temps après.

L’examen clinique montre une couronne métallique sur cette 37. La palpation vestibulaire est positive, la palpation linguale est négative. Les percussions axiale et transversale sont positives. Le sondage parodontal ne révèle pas de perte d’attache, la mobilité est normale.

L’examen radiographique (fig. 1) montre un faux moignon à clavette avec deux tenons, un traitement endodontique insuffisant avec trois petits morceaux d’instrument fracturé (un par canal), la réalisation d’au moins deux, voire trois butées intracanalaires, une morphologie complexe en baïonnette, une parodontite apicale, la présence du nerf dentaire inférieur à proximité.

Décision de traitement

Différentes solutions se présentent au praticien. Il va les envisager successivement, les expliquer à la patiente et essayer de retenir la meilleure pour cette dent :

• la microchirurgie endodontique apicale classique telle qu’elle a été décrite [3] n’est pas envisageable en raison de :

• la position de la dent sur l’arcade,

• la sangle musculaire jugale qui empêche tout abord de cette zone ;

• le retraitement endodontique classique par voie orthograde va nécessiter la découpe/dépose de la couronne et du faux moignon à clavette, puis une reconstitution provisoire pré-endodontique. La dépose des trois instruments fracturés risque d’être délicate : au moins l’un des trois est situé après la courbure [4-6] avec un mauvais pronostic d’élimination. De même, la négociation des butées n’est pas d’un pronostic extraordinaire. Le retraitement endodontique de cette dent apparaît très compliqué avec un pronostic très réservé. Un devis est donné à la patiente ;

• l’extraction simple avec la pose d’un implant peut apparaître comme séduisante. La patiente ne veut pas en entendre parler. En fait, il s’agit d’un problème financier et non pas psychologique, son praticien traitant lui ayant déjà fourni un devis pour cette solution.

Il lui est alors proposé l’extraction-réimplantation intentionnelle en lui expliquant ce qui va être fait et en lui donnant un pronostic raisonnable. Un devis est établi et il lui est demandé de réfléchir avant de reprendre rendez-vous.

Protocole clinique appliqué

La patiente reprend rendez-vous le 3 janvier 2006 pour la solution d’extraction-réimplantation intentionnelle.

Elle est invitée à prendre 400 mg d’ibuprofène avant l’intervention. On lui demande également de faire un bain de bouche à la chlorhexidine.

Une anesthésie intraligamentaire est réalisée en quatre points autour de la dent.

Toute la séquence clinique sera réalisée sous microscope opératoire et enregistrée sous format numérique DV. Les images cliniques de cet article sont issues de cet enregistrement, ce qui explique les impressions de flou sur certaines images.

La syndesmotomie est faite à l’aide d’une lame n° 15 montée sur un manche de bistouri (fig. 2) afin de ne pas déchirer les tissus mais, au contraire, de permettre une découpe franche pour espérer une meilleure cicatrisation.

La dent est ensuite mobilisée doucement avec un élévateur de type lancette (fig. 3), puis elle est saisie au davier pour finir de la dégager. À ce moment, on sent (voit) que c’est la couronne prothétique qui est en train de se desceller (fig. 4). On décide de la retirer complètement. On reprend la couronne clinique au davier et on extrait la dent (fig. 5). À partir de ce moment et jusqu’à sa réimplantation dans son alvéole, la dent ne quittera pas les mors du ?davier. Les racines n’entreront jamais en contact avec les gants ou un instrument et la dent ne sera pas posée sur le plan de travail, seule l’extrémité de la racine sera intéressée par les traitements. Le fond de l’alvéole est cureté délicatement (fig. 6), les parois verticales de l’alvéole n’étant surtout pas « grattées » par la curette. Il s’agit de préserver au mieux les fibres desmodontales déchirées par l’extraction pour espérer une meilleure cicatrisation.

De même, les parois de la racine ne sont surtout pas curetées, même s’il semble persister des petits morceaux de tissu de granulation. Encore une fois, le but est de préserver les fibres desmodontales déchirées pour obtenir une bonne cicatrisation.

La résection apicale est réalisée à la fraise Zékrya chirurgicale (fig. 7). Seule l’extrémité de la racine réséquée est asséchée au Stropko Irrigator (encore une fois, préservation maximale des fibres desmodontales). Les foramina sont repérés sous microscope optique assez facilement et un avant-trou est fait à l’aide d’une petite fraise boule (fig. 8). Les avant-trous permettent de reprendre la fraise Zékrya chirurgicale et de réaliser les cavités de préparation rétrogrades sur 3 mm environ, sans risque de dérapage ni de perte d’axe (fig. 9). Ces préparations rétrogrades sont asséchées au Stropko Irrigator et obturées à l’IRM (fig. 10) qui est condensé à l’aide des microfouloirs dont on se sert en micro-endodontie chirurgicale (fig. 11). L’excédent d’IRM est alors supprimé et les obturations sont polies à la fraise (fig. 12).

Le caillot qui a rempli l’alvéole est aspiré délicatement et la dent est repositionnée dans son alvéole (fig. 13) très facilement, en friction douce.

Il est demandé à la patiente de mordre sur une compresse pendant 2 minutes environ.

Le temps extra-alvéolaire de la dent (mesuré par l’enregistrement numérique) n’est que de 13 minutes et 42 secondes, soit très en deçà des 30 minutes, limite maximale de bon pronostic donnée par Andreasen [7] pour les dents expulsées accidentellement.

Une radiographie postopératoire est prise (fig. 14). On voit parfaitement les préparations rétrogrades de 3 mm, dans l’axe des racines, obturées à l’IRM. On note toutefois une petite bulle d’air dans l’une d’elles, liée à la condensation du matériau.

La dent ne présentant aucune mobilité, il est décidé de ne pas faire de contention. Il est demandé à la patiente d’éviter de prendre toute nourriture collante, ainsi que gomme à mâcher, caramels et autres Carambar pendant au moins une semaine.

Un rendez-vous lui est fixé pour le mois suivant afin de resceller la coiffe prothétique, ce qui est fait le 3 février 2006. Le praticien en profite pour faire un cliché (fig. 15). Il n’y a pas ou très peu de différence avec le cliché postopératoire immédiat. La patiente n’a pas eu de douleurs spécifiques pendant cette période.

Un rendez-vous de contrôle à 3 mois postopératoires est fixé. Il a lieu le 11 avril 2006 (fig. 16). Encore une fois et classiquement, on ne note pas beaucoup de différence avec les clichés précédents.

Le rendez-vous de contrôle au bout de 6 mois, le 11 juillet 2006, montre une amélioration significative avec une cicatrisation osseuse très avancée (fig. 17).

Le rendez-vous de contrôle au bout de 11 mois, le 27 novembre 2006, montre une cicatrisation complète de la perte osseuse (fig. 18). On note un tout petit liseré un peu plus sombre au contact des obturations à l’IRM. Il n’y a aucun signe clinique. La patiente mastique tout à fait correctement de ce côté. Il est décidé d’un commun accord d’arrêter ces contrôles radiographiques.

Le praticien a eu le plaisir de recevoir, au mois d’octobre 2014, un cliché de cette dent (fig. 19) par le praticien traitant, soit 9 ans après sa propre intervention. La dent est toujours en fonction, sans ?aucun symptôme clinique. Le petit épaississement apical est toujours présent. Il semble effectivement lié au matériau. Ce phénomène n’a pas été observé avec une obturation rétrograde au MTA.

Indications et précautions à prendre pour ce type de traitement

Il est évident que ce traitement est celui de la dernière chance : la dent doit être extraite. Plutôt que de la jeter avec les débris organiques contaminés, on la traite apicalement « dans la main » avant de la réimplanter. Il ne s’agit pas cependant de faire n’importe quoi. Certaines obligations – administratives et techniques – s’imposent au praticien.

Parmi les impératifs administratifs, il doit expliquer clairement au patient les différentes solutions qui s’offrent à lui, le coût de chaque solution, son pronostic de réussite, lui laisser un délai de réflexion raisonnable. Il s’agit d’obtenir un réel consentement éclairé de la part du patient.

Les consignes postopératoires devront être données verbalement, en s’assurant que le patient les comprend bien. L’absolu consiste à les lui remettre en plus par écrit.

Les impératifs techniques sont de plusieurs ordres. Il s’agit :

• du matériel à disposition. Des aides optiques sont nécessaires pour ce type de préparation rétrograde. Si l’idéal reste le microscope opératoire, des loupes binoculaires de qualité peuvent cependant être tout à fait suffisantes. De même, le petit matériel d’obturation est indispensable : fouloir, micro-porte-amalgame (du type MAPS), Stropko Irrigator qui permet un assèchement extrêmement précis ;

• d’un impératif anatomique majeur : les racines ne doivent pas être divergentes pour les pluriradiculées, ce qui empêcherait toute réimplantation, le parangon restant les racines fusionnées donnant une forme générale conique qui permettra un autoblocage de la dent lors de sa remise en place dans son alvéole ;

• du temps d’exécution, qui doit être le plus court possible et en tout cas inférieur aux 30 minutes extra-alvéolaire décrites par Emmertsen et Andreasen [7], et ce pour éviter toute résorption/ankylose liée à la destruction du desmodonte, lequel a suffisamment souffert lors de l’extraction. Les fibres et cellules ligamentaires peuvent cicatriser si elles ne restent pas trop longtemps (moins de 30 minutes) exposées à l’air. De même, le curetage du granulome devra intéresser exclusivement le fond de l’alvéole et surtout pas les parois afin de ne pas léser encore plus les éléments du desmodonte qui y subsistent.

Pour les mêmes raisons, les parois radiculaires ne doivent surtout pas être curetées ou grattées.

Pendant sa phase extra-alvéolaire la racine ne touchera rien : ni gant, ni plan de travail, en fait tout ce qui pourrait souiller les substrats desmodontaux survivants. Certains auteurs [8] préconisent de tremper la racine dans du liquide de Hanks (solution saline tamponnée spécifique de conservation), toujours en référence aux dents expulsées accidentellement.

Le caillot sanguin qui se forme dans l’alvéole juste après la phase d’extraction devra être enlevé pour éviter sa compression qui empêcherait une remise en place parfaite.

La réimplantation doit être douce et lente, la prise avec le davier permet une remise en place dans la position exacte de départ.

L’occlusion sera contrôlée. Dans le cas présenté ici, la dent se retrouve en sous-occlusion par la perte de la couronne prothétique.

La contention postopératoire sera en général inutile. Si elle doit exister, elle doit être légère, souple et ne pas durer plus de 10 jours, cela toujours en accord avec les principes énoncés par Andreasen [9] pour la réimplantation de dents expulsées accidentellement. Il faut impérativement éviter toute contention rigide.

Contre-indications

Bien évidemment sont exclus de ce type d’intervention les patients à risques médicaux absolus, tel le risque d’endocardite infectieuse, ou relatifs, comme tous les risques classiques contre-indiquant un acte chirurgical ou implantaire (diabète non équilibré, infarctus récent, hypertension artérielle non contrôlée, etc.).

Les contre-indications locales sont de trois ordres :

• anatomique (racines divergentes ou trop courbées qui empêcheraient une réimplantation convenable) ;

• parodontal (des problèmes avancés de ce type avec un support osseux réduit) ;

• une restauration coronaire impossible.

Il faut y ajouter un patient qui refuse le risque à prendre.

Pronostic de réussite

Selon Arens [1], certains auteurs comme Deeb (1971) ou Grossman (1966) ont rapporté des taux de succès de 82 à 86 % au bout de 5 ans.

Le cas clinique isolé présenté ici ne peut prétendre à dire la « vérité ». Nous pouvons simplement être satisfait de ce résultat au bout de 9 ans.

Discussion sur le cas clinique

La discussion va porter sur deux points précis.

Tout d’abord, le choix du matériau d’obturation a retro. Nous avons préféré l’IRM au MTA pour deux raisons. La première, qui nous est apparue la plus importante, est la prise totale du matériau lors de la réimplantation. Il n’y a pas de risque de perte ou de dissolution du matériau lors de cette phase.

La seconde raison est le temps de spatulation/préparation du matériau. Pour le MTA, c’est le praticien lui-même qui le prépare dans un godet Dappen. Cela nécessite 1 minute environ. L’IRM est spatulé par l’assistante instrumentiste. Il convient de lui demander de commencer lors de la préparation a retro à la fraise. Le matériau est fin prêt, juste après l’assèchement des cavités : il n’y a aucune perte de temps.

Le problème lié à ce matériau est celui qui est décrit plus haut : une impossibilité de cicatrisation à son contact direct, désagrément qui n’aurait certainement pas été rencontré avec le MTA.

Le second point, dont nous avons profité, involontairement, est la perte de la couronne prothétique qui a permis de mettre la dent en sous-occlusion. Cet état a été maintenu pendant 1 mois afin de profiter de la disparition de l’inflammation qui dure 3 semaines environ. Pendant ce temps, la dent travaille lors de la mastication avec des contacts diminués. Cela favorise la cicatrisation desmodontale.

Conclusion

S’il est évident que ce genre de traitement reste le dernier recours, il a le mérite d’exister, d’être relativement simple à mettre en œuvre et de présenter un pronostic de réussite tout à fait raisonnable à moyen et long termes. Il est dommage, quand il est indiqué, de ne pas le proposer aux patients pour de pauvres réticences psychologiques.

Il convient cependant, comme pour tout acte, de bien réfléchir avant, en pesant les avantages et les inconvénients liés au traitement envisagé.

Bibliographie

  • [1] Arens DE, Adams WR, De Castro RA. Chirurgie endodontique. CdP : CdP, 1984.
  • [2] Arens DE. Chirurgie endodontique. In : Laurichesse JM, Maestroni F, Breillat J (eds). Endodontie clinique. Paris : CdP, 1986.
  • [3] Bal S. Microchirurgie endodontique. Étude clinique rétrospective dans un cabinet d’endodontie de 1999 à 2009. Clinic 2010;31:11-23.
  • [4] Bal S, Bourbon Kérisit S. Stratégie d’éviction des instruments brisés. 1re partie. Clinic 2005 ;26:541-550.
  • [5] Bal S, Bourbon Kérisit S. Stratégie d’éviction des instruments brisés. 2e partie. Clinic 2006;27:81-88.
  • [6] Bal S. Instruments fracturés : étude clinique prospective dans un cabinet d’endodontie en 2013. Clinic 2014;35:247-256.
  • [7] Emmertsen E, Andreasen JO. Replantation of extracted molars. A radiographic and histologic study. Acta Odontol Scand 1966;24:327-346.
  • [8] Johnson BR, Witherspoon DE. Periradicular surgery. In : Cohen S, Hargreaves KM, Keiser K (eds). Pathway of the pulp. Saint-Louis : Mostby, 2006.
  • [9] Andreasen JO, Andreasen FM. Textbook and color atlas of traumatic injuries to the teeth. Copenhague/Saint-Louis : Munksgaard/ Mosby, 1994.