Un large front d’opposition - Clinic n° 01 du 01/01/2015
 

Clinic n° 01 du 01/01/2015

 

DÉRÉGLEMENTATION

Actu

Anne-Chantal De Divonne  

Les portes du dernier congrès de l’ADF à peine refermées, la filière dentaire appelle à manifester le 22 janvier contre le projet de dérégulation de la profession dentaire.

« La volonté gouvernementale de déréguler l’exercice de la chirurgie dentaire aura des effets néfastes sur la qualité et la sécurité des soins bucco-dentaires. Chacun doit être conscient des risques encourus et de ses répercussions sur la santé publique », alertent les 27 associations de l’ADF, l’Ordre national, les prothésistes dentaires de l’UNPPD* et le Comident*, dans un communiqué daté du 1er décembre 2014. La dissociation de l’acte prothétique, la suppression du numerus clausus, l’ouverture du capital des sociétés d’exercice libéral « sont autant d’initiatives improvisées de nature à remettre en cause » les facteurs qui garantissent cette qualité et cette sécurité des soins, continuent les signataires.

Une manifestation le 22 janvier

Toute la filière appelle à manifester le 22 janvier à Paris. Cette date, retenue quelques jours auparavant par l’UNAPL* pour exprimer l’opposition de toutes les professions libérales, correspond au premier jour d’examen du projet de loi dite Macron à l’Assemblée nationale. On le sait, ce texte concerne essentiellement les professions du droit. L’élaboration de la partie médicale du projet a été confiée à la ministre de la Santé qui doit l’intégrer à son projet de loi de santé lui aussi prévu, à l’origine, pour le début de l’année 2015.

Mais, face à l’opposition massive des syndicats de médecins qui ont appelé à la fermeture des cabinets pendant la dernière semaine de 2014 et des cliniques qui ont décidé une grève à partir du 5 janvier, Marisol Touraine a tenté l’apaisement et la concertation. Et a décalé au printemps la présentation de son projet de loi de santé. Ce délai sera-t-il aussi mis à profit pour permettre à la profession dentaire de « mettre sa patte » dans les textes qui la concernent directement ? C’est l’inconnu. Mais la profession se prépare.

Conciliation à trois avec l’Ordre…

Pendant le congrès de l’ADF, le 28 novembre 2014, les trois syndicats représentatifs se sont retrouvés au Conseil national de l’Ordre pour enterrer la hache de guerre et tenter de trouver un terrain d’entente.

Sur la question du devis, « l’Ordre va prendre toute sa part dans la bataille qui va se jouer autour de la communication du prix d’achat de la prothèse… Il n’est pas acceptable qu’un acte médical global soit considéré comme un acte de négoce entre un praticien et un prothésiste », réaffirme le président de l’Ordre, Christian Couzinou (voir « L’événement », p. 3). La présidente de la CNSD*, Catherine Mojaïsky, sur la même ligne, met en garde les praticiens « tentés de lâcher » le prix d’achat des prothèses aux patients. « Dans l’esprit de nos politiques, donner le prix d’achat, c’est permettre au patient de choisir son prothésiste ; le ministre de l’Économie l’a réaffirmé à plusieurs reprises. » La CNSD refuse tout changement du devis mais se dit prête à y apporter des améliorations. Les marges sont cependant étroites. « Pendant les négociations conventionnelles, avant de parvenir au devis actuel, nous avons proposé beaucoup de formules qui n’ont pas été acceptées », rappelle la responsable syndicale.

Le président de l’UJCD*, qui vient de décider de revenir siéger dans les instances conventionnelles après plusieurs années d’absence, Philippe Denoyelle, s’inscrit dans cette même ligne. « Le devis est loin d’être parfait mais pourquoi le remettre en cause alors qu’il peut encore être discuté au niveau conventionnel ? Penser que donner la facture du prothésiste va faire baisser le coût est absurde. Si on arrive à trouver une unité entre les trois syndicats et un cautionnement par l’Ordre pour un devis tel qu’il a été validé par la loi HPST*, cela donnerait le change vis-à-vis du Gouvernement », pense-t-il.

À la FSDL*, Patrick Solera se dit en revanche « prêt à donner le prix d’achat de la prothèse au patient mais à condition que les complémentaires communiquent aussi à leurs adhérents leurs frais de gestion, de fonctionnement, de publicité… ».

… et au-delà

Au-delà des syndicats, c’est toute une filière qui fait front contre le projet de loi. Le Comident n’a pas hésité à appuyer les chirurgiens-dentistes. « Nous ne pouvons plus nous contenter de défendre nos seuls intérêts car nous dépendons les uns des autres. Et la division fait le jeu des politiques qui savent très bien l’utiliser pour mieux régner », justifie son délégué général, Daniel Viard.

Plus nouveau aux côtés de la profession est le soutien de l’UNPPD*. « Nous avons tous à gagner à travailler ensemble, notre combat est tout à fait unitaire à l’exception d’une petite divergence d’appréciation », affirme Bernard Detrez, président de l’union patronale, qui s’inscrit délibérément sur une ligne différente « d’un courant minoritaire de la profession qui veut tirer sur ses clients dentistes ». Pour l’UNPPD, il n’est pas question de vendre la prothèse directement au patient. La « petite divergence » concerne le prix d’achat de la prothèse que les prothésistes voudraient voir sur les devis. Cela expliquerait les prix plus élevés lorsque la prothèse est d’origine française. « Il est illusoire d’imaginer sauver la prothèse française de cette façon. Si le patient a le choix, il prendra évidemment le moins cher », remarque Catherine Mojaïsky qui, en revanche, est prête à améliorer les informations sur la traçabilité.

« Nous travaillons à gommer nos quelques divergences », conclut le représentant des prothésistes. Un des objectifs est aujourd’hui de réunir en un seul document le guide de transparence élaboré par la CNSD et la charte de qualité de l’UNPPD, et de le faire accepter par toute la profession dentaire.

* CNSD : Confédération nationale des syndicats dentaires ; Comident : Comité de coordination des activités dentaire est une association qui réunit les professionnels de la fabrication et de la distribution de matériel dentaire ; FSDL : Fédération des syndicats dentaires libéraux ; HPST : loi de 2009 sur l’hôpital, les patients, la santé et les territoires ; UJCD : Union des jeunes chirurgiens-dentistes ; UNAPL : Union nationale des professions libérales ; UNPPD : Union nationale patronale des prothésistes dentaires.

FACE AUX RÉSEAUX DE SOINS ?

Les réseaux de soins sont légaux ; la façon dont ils fonctionnent n’est pas toujours légale. Des praticiens se plaignent de subir des détournements de patients. Et certains portent plainte contre des confrères adhérents à des réseaux. « J’ai tendance à penser que les coupables ne sont pas les confrères mais ceux qui les enferment dans leur réseau », estime Catherine Mojaïsky, présidente de la CNSD qui, face à cette situation, préfère jouer la carte de la prévention. « Nous expliquons les risques qu’il y a à entrer dans ces réseaux : l’arrivée de nouveaux patients au début mais, ensuite, la difficulté à en sortir et les conditions draconiennes imposées ! » La solution On y revient toujours : « La suppression de la concurrence sur les tarifs des prothèses en redonnant un sens économique à tous nos actes. Sinon, comme le phénomène low cost, ce type de déviance va s’aggraver. »