« On ne peut pas accepter d’opposer accès aux soins et qualité des soins » - Clinic n° 09 du 01/09/2018
 

Clinic n° 09 du 01/09/2018

 

INTERVIEW

ACTU

Anne-Chantal de Divonne  

Nicolas Revel revient pour Clinic sur les points forts de l’accord qui a pour finalité d’« encourager le recours aux soins conservateurs et aux soins prothétiques ». Le directeur de la CNAM se veut rassurant. Une clause de revoyure automatique sera déclenchée en cas de déséquilibre entre les trois paniers et un observatoire s’assurera qu’il y a bien un gain macroéconomique pour la profession. Quant à la qualité des soins, il ne croit pas que les plafonnements y soient nuisibles.

Vous parlez d’un accord « historique » pour cette convention, pourquoi ?

Cet accord va profondément améliorer l’accès aux soins et réorienter la profession dans le sens de sa vocation : la médecine bucco-dentaire. Cela fait des décennies que l’assurance maladie essaie de rééquilibrer le modèle. La signature de la convention est à marquer d’une pierre blanche. Il y a vraiment un avant et un après pour l’accès aux soins des patients.

L’investissement de 1,2 milliard par l’assurance maladie et les complémentaires prend-il en compte les effets de rattrapage ?

Il les prend en compte sous certaines hypothèses, à la fois sur les soins et les actes prothétiques, qui seront vérifiées par rapport à ce que l’on observera. On souhaite un rééquilibrage de la pratique. La finalité même de l’accord est de favoriser et encourager le recours aux soins conservateurs et aux soins prothétiques. On sait que le taux de recours en France est très inférieur à 50 %, là ou les autres pays sont souvent au-dessus de 70 %. Il y a donc un effet prix mais aussi un effet volume qu’il nous faut assumer.

Est ce que ce n’est pas un saut dans l’inconnu ?

Il faut qu’il y ait un suivi très attentif. Une clause de revoyure automatique est prévue dans l’hypothèse ou l’équilibre entre les trois paniers s’écarterait du modèle théorique qui a servi de base à l’équilibre économique de cet accord. Une fois la reforme du RAC 0 mise en place, quand nous aurons assez de recul pour observer la réalité du recours à ces soins prothétiques, nous devront réagir en cas d’écart significatif par rapport à cette pondération. Si le RAC 0 est trop élevé, ce sera un sujet pour les financeurs et pour les chirurgiens-dentistes.

Cet accord est très clivant. Que dites-vous à ceux qui le refusent ?

Je leur adresse deux messages. Le premier est que nous avons essayé d’être attentifs à une notion d’équilibre. Dans cet équilibre, la liberté est maintenue : liberté du patient, qui peut choisir des actes qui relèvent de différents modes de prise en charge, et liberté pour la profession, puisque nous maintenons en volume 30 % des actes à tarifs libres. Les actes innovants ne sont pas encadrés par un tarif opposable. Le deuxième message est que nous serons amenés à observer l’impact économique de cet accord dans la vie réelle. Un suivi est prévu dans le cadre conventionnel. Un observatoire vérifiera qu’il y a bien un gain macroéconomique pour la profession. Au ministère, un comité observera l’évolution des trois paniers.

Pour les opposants, la qualité des soins fera les frais de cet accord…

La chirurgie dentaire doit pouvoir proposer des actes et des soins de qualité comme bien d’autres professions de santé, tout en acceptant de fonctionner selon une logique d’encadrement tarifaire qui est la condition de l’accès aux soins. Je ne pense pas que l’on puisse accepter d’opposer accès aux soins et qualité des soins. J’ai entendu la théorie selon laquelle, dès lors que l’on fixe des formes de plafonnement tarifaires, nous portons atteinte à la qualité. À l’hôpital public, on est pris en charge selon des tarifs opposables et je ne pense pas que l’on soit mal soigné. Cela doit être possible pour la chirurgie-dentaire. À charge pour nous de suivre avec attention les évolutions. Un accord est un équilibre qui se construit et, je le répète, il y a un devoir de suivi et d’ajustement.

Ne craignez-vous pas qu’avec la mise en place échelonnée, les gens reportent les travaux prothétiques ?

Dès lors qu’une date est fixée pour l’amélioration de la prise en charge, il y a un risque d’attentisme et de trou d’air économique. Cela nous a conduit à revaloriser fortement les soins conservateurs en 2019 et 2020, et à échelonner la mise en place du RAC 0 en distinguant deux étapes. Je ne dis pas que ce phénomène de report ne se produira pas. Mais il sera ponctuel et ne durera que quelques mois. Dès 2019, il y aura de fortes revalorisations, supérieures au plafonnement et, en 2020, une deuxième tranche de revalorisation avec un gain net macroéconomique et un début de phénomène de rattrapage qui donnera de l’activité. Car il y a aujourd’hui un phénomène de sous-recours aux soins. Les chirurgiens-dentistes seront donc gagnants. D’une part, parce que le nouveau paradigme économique est globalement gagnant pour la profession par l’effet mécanique des revalorisations. Et d’autre part, parce qu’il y a une amélioration de l’accès aux soins. J’entends parfois des discours qui semblent regretter que l’on rende plus facile l’accès aux soins. Je pense et j’espère que cela ne reflète pas l’état d’esprit des chirurgiens-dentistes.

Est ce l’accord que vous aviez voulu ?

Nous avons lancé cet accord en 2016. J’en ai parlé pour la première fois lors du congrès de la Mutualité à Nantes en juin 2015.

À l’époque, je pensais que c’était vraiment un angle mort dans notre panier de soins et que deux des trois syndicats étaient tout aussi convaincus que nous de la nécessité d’un rééquilibrage.

L’an dernier, les négociations ne se sont pas conclues comme nous le souhaitions. Nous étions dans un mauvais calendrier limité par une élection. Il était difficile de travailler sereinement. Le politique n’avait plus le temps. Il y a eu cet amendement qui a borné la négociation au 1er février 2017. Quand nous nous sommes quittés le 31 janvier, j’avais dit que, quelque soit le règlement arbitral, ma porte restait ouverte et que nous avions vocation à reprendre les négociations plus tard. Le nouveau gouvernement l’a entendu. Il me semblait que le RAC 0 donnait tout son sens à la réforme. Dans la première épure, nous avions le même mécanisme de revalorisation et de plafonnement. Finalement, le plafonnement bénéficiait à ceux qui allaient chez les chirurgiens-dentistes les plus chers. Ici, avec le RAC 0, il y a un effet plafonnement qui bénéficie à tous. Quelque soit le chirurgien-dentiste, on a la possibilité d’être totalement pris en charge. On peut aussi choisir les matériaux sur lesquels il y aura un reste à charge. Je suis très content du résultat. Ce n’est pas exactement l’accord que nous aurions voulu puisque c’est un compromis qui intègre les exigences des partenaires. Mais la philosophie générale est sauve par rapport à ce que nous voulions.