Formation, la part de l’industrie - Clinic n° 12 du 01/12/2018
 

Clinic n° 12 du 01/12/2018

 

ENQUÊTE

Sandra Mignot  

Alors que la formation continue a été profondément remaniée et encadrée ces dernières années, les industriels du dentaire développent leur propre activité de formation. Leur objectif : former à une meilleure utilisation des produits et technologies, améliorer la relation avec le patient, développer leur image de marque. Et ces formations semblent rencontrer l’adhésion des praticiens.

Les industriels de la santé dentaire développent désormais une activité de formation à destination des chirurgiens-dentistes et les formations proposées concernent tous les domaines. Colgate propose ainsi des webinars, conférences en ligne gratuites, axées sur la prévention du risque cariogène, mais aussi sur l’hypersensibilité, le traitement des lésions d’usure, etc. D’autres déploient des programmes concernant les techniques d’implantologie, la chirurgie osseuse ou la conception-fabrication de prothèses assistée par ordinateur.

Il peut s’agir de conférences, d’ateliers, de stages pratiques, etc. Le tout le plus souvent en lien avec les produits qu’ils proposent sur le marché. « Nos produits sont de plus en plus techniques », explique Henri Rochet, président du Comident et d’Ivoclar Vivadent. « Former les praticiens leur permet de les utiliser au mieux. Et qui de mieux que son concepteur pour former à l’utilisation d’un produit ? »

Acteon Academy (le département formation du laboratoire Acteon, spécialisé en équipement d’imagerie, ultra-sons et produits médicamenteux) a été créé il y a deux ans, pour « apporter un soutien post-achat car souvent, comme pour de nombreux produits technologiques, on n’exploite qu’une infime partie des ?capacités de son appareil », précise Violaine Tissier-Tureau, general manager chez Acteon France. Mais pas seulement.

« Il est souvent indispensable d’aborder l’environnement global du plateau technique nécessaire à leur utilisation », précise Chakib Taleb, responsable scientifique clinical chez Ivoclar Vivadent, spécialiste de la prothèse et restauration. Mais d’autres semblent aller bien au-delà. Certains industriels, comme CIRRA+ qui fournit des matériels et services pour l’imagerie médicale, proposent des formations à la prise en charge du patient en situation d’urgence. D’autres, comme Dentsply Sirona, des formations à la gestion du cabinet et de ses ressources humaines.

Utiles ?

Du côté de l’Union dentaire (UD), la situation ne choque pas. « On trouve dans les formations proposées par les laboratoires des formations qu’on ne trouve pas dans les programmes enregistrés au DPC, parfois en raison des thématiques priorisées par l’agence », observe Marcel Perroux, vice-président de l’UD. « Que ce soit certaines techniques de collage dont on se sert tous les jours, ou bien la formation aux gestes d’urgence par exemple, qui ne rentre pas dans les thématiques privilégiées par le DPC. » Le praticien estime cohérent que les fabricants puissent faire connaître leurs nouveaux produits et techniques par ce biais. « Et puis, il ne serait pas sain de n’avoir qu’un seul canal de formation. La concurrence est intéressante », poursuit Marcel Perroux.

Le Syndicat des femmes chirurgiens-dentistes (SFCD) ne partage pas totalement cette philosophie, et souligne que la formation continue des praticiens ne devrait en aucun cas être assurée par des industriels. « L’objectif des laboratoires est de vendre leurs produits, ce qui est normal. Pour le chirurgien-dentiste, il s’agit de soigner au mieux ses patients. Il peut y avoir convergence, mais pas toujours », résume Natalie Ferrand, présidente du SFCD. Et si la praticienne estime normal et nécessaire qu’un industriel forme à l’utilisation de ses produits, « cette formation pourrait faire partie d’un service après-vente et donc partie intégrante de l’achat, comme c’était le cas autrefois. »

Au-delà des nouveaux produits, d’autres professionnels notent aussi que les technologies ne se sont pas complexifiées au point que les industriels soient indispensables pour former les professionnels. Ainsi, d’après Patrick Larras, président du Syndicat national des odontologistes des hôpitaux publics (SNOHP), les techniques de pose en implantologie ne diffèrent pas particulièrement d’un produit à l’autre. « Il n’y a pas de révolution en la matière. Certains matériaux vont être un peu plus performants mais les techniques de base demeurent. » Ce que confirme Philippe Neimark, directeur du développement chez Anthogyr : « Chaque implant a son protocole de pose, mais ce n’est pas ce qui nécessite de la formation. »

Certaines techniques chirurgicales requièrent néanmoins un apprentissage entre confrères. Ici, peuvent intervenir les moyens importants déployés par certains fabricants qui ont construit des locaux prévus à cet effet, avec auditorium et blocs high-tech, où les professionnels se forment en pratiquant ou en observant un expert. « Mais cela peut également se faire accompagné par un confrère expert, qui aura créé sa propre structure de formation, dans son activité », observe Patrick Larras (SNOHP).

En odontologie, il existe deux canaux de formation. La première est la voie institutionnelle, avec la formation universitaire généralement reconnue au titre du DPC ou les associations locales et sociétés savantes, plus ou moins indépendantes des fabricants et laboratoires, qui font appel à des experts chirurgiens-dentistes. « Le dispositif officiel du DPC voudrait éliminer les industriels du secteur, mais si on veut apprendre des techniques, on est bien obligés de passer par un laboratoire qui va au moins mettre à disposition son matériel », explique Patrick Larras.

Et les industriels ne se font pas prier. « Nous sommes aussi sollicités car le monde universitaire manque de moyens financiers », explique Henri Rochet. « Donc les industriels se substituent. Nous sommes nombreux à intervenir dans les DU, les cycles complémentaires ou auprès des associations de formation avec nos experts et nos matériaux. »

Attrait

Côté tarifs, la plupart des fabricants s’accordent à souligner que les séances de formation ne sont pas conçues pour générer du chiffre d’affaires. Outre les conférences gratuites, une journée de formation est facturée en moyenne 500 € et peut atteindre 1 500 €. Il faut se déplacer, éventuellement payer des frais d’hôtel, mais certains industriels sillonnent également les régions pour dispenser des formations localement. Enfin, certains programmes peuvent dépasser les 5 000 €, associant le binôme praticien/assistante sur deux journées incluant des mises en pratique et un tutorat, mais aussi l’hébergement et les repas.

« Les prix des formations permettent essentiellement de couvrir les frais inhérents à l’organisation » explique Chakib Taleb (Ivoclar Vivadent). Ce que confirme Philippe Neimark (Anthogyr), sans toutefois préciser la part que représente l’activité dans le CA de son entreprise.

Des frais liés aux matériaux utilisés, à la durée de la formation, à la renommée du formateur. Et ce dernier poste peut être particulièrement onéreux. « Un expert, reconnu dans son domaine, peut coûter cher », observe Marcel Perroux (UD). Le prix de la formation serait donc garant d’une certaine qualité. « De toute façon, les laboratoires ont plutôt intérêt à fournir des programmes et des intervenants de qualité, sinon on imagine bien que pour leur image, ce ne serait pas intéressant. Et puis, dans le métier, on sait vite qui sont les experts… », observe Patrick Larras (SNOHP).

Quoi qu’il en soit, indispensables ou non, les formations proposées par les industriels existent et attirent des praticiens. À leurs frais, puisqu’elles ne sont pas prises en charge au titre de l’obligation de développement professionnel continu, ni par le DPC, ni par le FIF-PL. Sauf éventuellement « pour ce qui concerne les assistants dentaires », explique Philippe Neimark, qui font partie des professionnels concernés par les catalogues de formations des industriels.

« Beaucoup de nos clients ont des DU ou des formations universitaires, mais pas suffisamment de pratique. Ou alors, ils ne sont pas assez confiants pour se lancer seul. Ou encore, ils ont posé quelques implants et ils ont arrêté car ils ne se sentaient pas à l’aise », observe Philippe Neimark. « Ce que nous proposons, c’est de faciliter le passage à l’acte. » Et s’ils reviennent, ce qui semble être le cas, alors ils poseront davantage d’implants, et mieux… « En ce sens, bien sûr, la formation est un investissement et nous espérons retomber sus nos pattes », reconnaît Henri Rochet.

Notoriété

Car si ces formations ne sont pas conçues pour générer des bénéfices, elles apportent un réel bénéfice aux industriels. « Nous le faisons depuis les débuts de l’implantologie. Cela a toujours fait partie de notre démarche d’accompagnement et de service auprès des utilisateurs, même si le programme s’est progressivement étoffé », observe Philippe Neimark (Anthogyr). Une première réponse réside évidemment dans l’image de marque du fournisseur. « Clairement, nous avons de très bons retours et cela augmente notre notoriété », observe Mehdi Ait-Lahsen, scientific affairs project manager France et Belgique pour Colgate. Ce qu’on imagine facilement dans la mesure où les webinars proposés par l’industriel sont gratuits.

Chez Acteon, qui organise les formations avec, voire chez, ses distributeurs, on estime également que cela contribue à la formation de ce réseau. « Cela permet d’inviter les clients qui profitent de la formation pour se perfectionner sur nos produits », explique Violaine Tissier-Tureau.

Pour ceux qui commercialisent le service, cela contribue également à améliorer la relation. « Nous ne sommes plus exclusivement des fournisseurs d’implants qui proposent, livrent, et puis merci au-revoir », justifie Philippe Neimark. « Nous pouvons aussi leur faire découvrir nos locaux, ils rencontrent les équipes marketing, nos chercheurs… Et de notre côté, toute l’entreprise peut profiter de l’échange avec le client, connaître son utilisation et son retour produit. » Chez Ivoclar Vivadent, on explique également vouloir favoriser la meilleure utilisation possible des produits commercialisés : « leur utilisation adéquate permet d’en exploiter tous les avantages, les praticiens et prothésistes sont donc satisfaits et le patient final aussi », observe Chakib Taleb.

Pour d’autres encore, il peut s’agir de convaincre, puis de fidéliser de nouveaux utilisateurs. Il existe d’ailleurs des programmes pour mieux « débuter » avec certains produits et techniques. Chez Anthogyr, Philippe Neimark confirme que 50 % des praticiens qui s’inscrivent à leurs formations n’utilisent pas encore les produits de la marque. « Ils viennent vraiment apprendre une technique et pas seulement utiliser nos produits », insiste-t-il.

Le DPC en action

« Toute structure souhaitant faire de la formation dans le cadre du DPC peut déposer une demande » précise-t-on à l’ANDPC. Les contenus scientifiques des actions, les CV des formateurs, ainsi que leurs déclarations de liens d’intérêts doivent également être fournis. « Nous vérifions la cohérence et la pertinence des programmes, ainsi que le respect du champ de compétences des professionnels ciblés. »

En dehors de l’organisme, chaque programme de formation est examiné individuellement. Ainsi, ce n’est pas parce qu’un organisme est enregistré que tous ses programmes seront agréés au DPC. Chaque programme passe en effet sous les fourches Caudines d’un comité scientifique indépendant (CSI), incluant des chirurgiens-dentistes experts, qui en évaluent la qualité pédagogique et scientifique, l’indépendance.

Le DPC en chiffres

381 organismes enregistrés et 805 programmes validés s’adressent aux chirurgiens-dentistes. Mais sur 37 196 chirurgiens-dentistes éligibles au DPC, seuls 11 % se sont inscrits à une action de DPC.

Source : Rapport d’activité 2017 - ANDPC