Quel recours au cabinet dentaire pour les enfants et adolescents ? - Clinic n° 12 du 01/12/2018
 

Clinic n° 12 du 01/12/2018

 

SANTÉ PUBLIQUE

Marie DALICHAMPT*   Marie-Cécile GOUPIL**   Sandrine DAVID***   Anne TALLEC****   Vincent LE GLOAHEC*****   Isabelle ANGOT MASSIP******   Christophe JAQUIN*******   Jean-Philippe MANCIAUX********   Benoît PERRIER*********   Dominique BRACHET**********  


*ORS Pays de la Loire
**ORS Pays de la Loire
***ORS Pays de la Loire
****Médecin
*****ORS Pays de la Loire
******URPS CD Pays de la Loire
*******Chirurgien-dentiste
********URPS CD Pays de la Loire
*********Chirurgien-dentiste
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**************Chirurgien-dentiste
***************Chirurgien-dentiste
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L’élaboration, la mise en œuvre et l'évaluation d’une action de santé publique ou de prévention, nécessitent une connaissance fine des données de santé du territoire concerné. L’accès récent aux données du Système national des données de santé (SNDS), unique en Europe, voir au monde, constitue une avancée considérable pour analyser et améliorer la santé des populations. Le système regroupe en effet aujourd’hui les grandes bases de données médico-administratives. Au travers d’un partenariat avec l’Observatoire régional de la santé (ORS) des Pays de la Loire, l’URPS chirurgiens-dentistes des Pays de la loire a souhaité montrer l’étendue des possibilités du SNDS qui s’offre aux décideurs pour reconnaitre et faire émerger des besoins de santé, suivre le déploiement de la politique choisie et enfin, mesurer l’impact obtenu. L’exemple choisi dans cette étude concerne la santé bucco-dentaire des enfants. L’enjeu est de taille car l’état de santé bucco-dentaire des adultes en dépend. Et l’on connait le retentissement important de la santé bucco-dentaire sur la santé en général et par conséquent sur les dépenses des organismes de sécurité sociale, des assurances complémentaires et des ménages.

Un recours au cabinet dentaire en Pays de la Loire supérieur à la moyenne française mais en deçà des recommandations

Au cours de l’année 2016, 61 % des jeunes ligériens de 6 à 18 ans ont eu au moins une prestation dentaire en cabinet de ville. Cette proportion est supérieure à la moyenne nationale (56 %) mais reste en deçà des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) et de l’Union française pour la santé bucco-dentaire (UFSBD), qui préconisent un examen de contrôle annuel entre 6 et 18 ans.

Avant 6 ans, le recours au cabinet dentaire est rare. En effet, 60 % des enfants ligériens n’ont eu aucune prestation dentaire avant d’avoir 6 ans.

Le premier recours au cabinet dentaire se fait majoritairement à 6 ans, en grande partie par le biais de l’examen bucco-dentaire (EBD) « gratuit » du programme M’T dents mis en place par l’Assurance maladie (AM) avec la profession dentaire. Les taux de recours sont plus élevés entre 6 et 15 ans, notamment à 6 ans et 12 ans (respectivement 73 % et 76 %) et diminuent au-delà (fig. 1).

Près d’un enfant sur 10 de la région n’a bénéficié d’aucune prestation de suivi bucco-dentaire (ni EBD, ni consultation, ni détartrage) entre 6 et 9 ans ; entre 14 ans et 17 ans, la part des jeunes n’ayant bénéficié d’aucune prestation de suivi bucco-dentaire atteint 25 % (encadrés 1 et 2).

Un suivi préventif plus régulier, un recours à l’orthodontie plus élevé mais des scellements de sillons moins fréquents en Pays de la Loire qu’au niveau national

Globalement plus élevé que le niveau national, le recours bucco-dentaire des enfants et adolescents de la région présente en outre quelques singularités. Les jeunes ligériens ont plus régulièrement recours à des prestations de suivi bucco-dentaire telles que les EBD, les consultations ou les soins de détartrage, mais ont moins souvent bénéficié de scellements de sillons que la moyenne française. Entre 6 et 9 ans, 48 % des enfants ligériens ont eu au moins trois prestations de suivi bucco-dentaire, contre 42 % au niveau national (fig. 2).

En revanche, dans cette classe d’âge, seulement 16 % ont eu un scellement de sillons, contre 20 % au niveau national ; cet écart est en augmentation depuis 2013 puisque le recours annuel aux scellements de sillons est stable au niveau national alors qu’il tend à diminuer au niveau régional.

Le recours à l’orthodontie en Pays de la Loire diffère également de la moyenne nationale. Il est tout d’abord sensiblement plus fréquent : il concerne 28 % des enfants de 8 à 10 ans et 42 % des enfants de 11 à 15 ans, contre respectivement 21 % et 36 % au niveau national (fig. 2). En outre, il est initié plus tôt : 47 % des enfants ligériens, ayant eu un examen avec prise d’empreintes orthodontiques pris en charge par l’AM en 2016, avaient 10 ans ou moins, cette part étant de 38 % au niveau national. Cet examen, lorsqu’il est pris en charge par l’AM, est le marqueur d’un début de traitement. Dans la région, il a été réalisé dans 71 % des cas par un chirurgien-dentiste spécialiste en orthodontie faciale (ODF) (égal au taux moyen français), dans 27 % des cas par un chirurgien-dentiste non spécialiste en ODF (22 % en France) et dans 2 % des cas par un stomatologue libéral ou au cours d’une consultation externe (7 % en France) (encadré 3).

Une autre particularité concerne les soins conservateurs (hors détartrage) et les extractions dentaires chez les enfants de moins de 11 ans, légèrement moins fréquents dans la région comparativement au niveau national : taux annuels respectifs de 8,8 % et 2,6 % en Pays de la Loire contre 9,4 % et 3,6 % au niveau national (fig. 3). Bien que rare, l’anesthésie générale est notamment utilisée deux fois plus souvent lors d’extractions dentaires chez les enfants ligériens de moins de 11 ans (5,4 % des extractions) qu’au niveau national (2,6 %).

De fortes disparités territoriales avec un recours globalement meilleur en Loire-Atlantique, moins bon en Sarthe et des situations plus contrastées dans les trois autres départements

Au sein de la région, des disparités départementales se retrouvent pour l’ensemble des types de recours étudiés. Globalement, les enfants résidant en Loire-Atlantique ont des taux de recours au cabinet de ville supérieurs à ceux des autres départements, dans toutes les classes d’âge. De plus, le premier recours est plus précoce dans ce département et les fréquences des prestations de suivi bucco-dentaire, de scellements de sillons et d’orthodontie y sont parmi les plus élevées de la région.

Les taux de recours à l’hospitalisation pour des soins dentaires et les taux de recours aux soins curatifs en Loire-Atlantique sont également supérieurs à ceux de la plupart des autres départements. À l’opposé, la Sarthe présente un recours au cabinet dentaire moins fréquent, moins précoce et moins régulier comparé à celui des autres départements (fig. 3).

La Vendée, où est né en 1987 l’ancêtre du bilan bucco-dentaire auquel a succédé le programme M’T dents, est le département de la région où l’EBD « gratuit » à 6 ans est le plus utilisé comme occasion d’un premier recours au cabinet dentaire. De ce fait, ce département est, avec la Loire-Atlantique, le département de la région où la part d’enfants n’ayant jamais eu de recours au cabinet dentaire à 7 ans est la plus faible (16 %). Un recours aux soins préventifs plus marqué, notamment chez les plus jeunes, illustre également cette dynamique vendéenne favorable à la prévention. En effet, entre 6 et 9 ans, la moitié des enfants de ce département ont eu au moins trois prestations de suivi bucco-dentaire et 18 % ont eu un scellement de sillons ; ces deux proportions sont les plus élevées de la région. Le recours précoce à l’orthodontie y est également fréquent, avec des taux de recours avant 10 ans parmi les plus élevés de la région (fig. 3).

Le recours à l’orthodontie est atypique en Mayenne. La densité des professionnels de santé (PS) libéraux exerçant l’orthodontie, qu’ils soient spécialistes ou non, y est particulièrement faible avec 23 PS pour 100 000 enfants âgés de 3 à 18 ans (entre 31 et 38/100 000 enfants dans les autres départements). Cette faible densité du secteur libéral explique en partie la part bien supérieure du recours à l’orthodontie en consultation externe hospitalière. En effet, 5 % des traitements orthodontiques sont initiés en consultation externe contre moins de 1 % dans les autres départements. De plus, la Mayenne est le seul département où les taux de recours à l’orthodontie des 6-12 ans ont diminué entre 2013 et 2016 (entre - 0,3 et - 1,5 selon l’âge) et où les taux de recours chez les jeunes âgés de 16 ans à 18 ans y sont les plus élevés de la région.

Des inégalités de recours importantes et souvent plus marquées dans la région qu’au niveau national

Il existe une légère différence de recours au cabinet bucco-dentaire selon le genre, en faveur des filles : celles-ci bénéficient plus fréquemment de scellements de sillons entre 6 et 9 ans (17 % contre 15 % de garçons), d’un suivi préventif régulier entre 14 et 17 ans (29 % contre 25 % des garçons) et débutent plus précocement leur traitement orthodontique (48 % avant 10 ans contre 46 % des garçons).

Les différences sont nettement plus marquées lorsque l’on compare le recours au cabinet dentaire des enfants en affection de longue durée (ALD), le plus souvent atteints de maladies chroniques et qui sont pour certains en situation de handicap, à celui des enfants qui ne sont pas dans ce cas. Un quart des enfants en ALD n’a pas encore eu de recours au cabinet dentaire à 7 ans (contre 18 % des autres enfants), 17 % n’ont eu aucune prestation de suivi bucco-dentaire entre 6 et 9 ans (contre 10 % des enfants sans ALD). De plus, lorsqu’un traitement orthodontique est initié, il l’est plus tardivement chez les enfants en ALD (42 % débutent avant 10 ans et 32 % après 13 ans contre respectivement 48 % et 25 % chez les autres enfants) (fig. 4).

De nombreuses études ont montré que la santé bucco-dentaire constitue un excellent marqueur des inégalités sociales de santé, y compris chez les enfants. Les indicateurs étudiés ici confirment ce constat aux niveaux à la fois régional et national mais avec des disparités sociales souvent plus accentuées dans la région.

Les différences les plus marquantes concernent l’âge au premier recours au cabinet dentaire et la fréquence du suivi préventif. Ainsi, 31 % des enfants ligériens bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) ne sont jamais allés au cabinet dentaire avant 7 ans contre 17 % chez les enfants non bénéficiaires de la CMU-C (fig. 5). La proportion d’enfants ayant eu un premier recours au cabinet dentaire à 5 ans ou moins varie selon le niveau social de la commune de résidence (mesuré par l’indice de défavorisation sociale de la commune) ; il atteint 48 % dans les communes les plus favorisées (1er quintile de l’indice) et chute à 33 % dans les communes les plus défavorisées de la région (5e quintile de l’indice). Dans celles-ci, une proportion importante d’enfants a eu un premier recours à 6 ans, probablement dans le cadre de l’EBD du programme M’T dents. Ce rattrapage n’est cependant pas suffisant puisque la proportion d’enfants n’ayant pas eu de recours au cabinet dentaire à 7 ans reste supérieure dans les communes les plus défavorisées. Les inégalités sociales se retrouvent également à l’adolescence avec des prestations de suivi bucco-dentaire moins fréquentes chez les jeunes bénéficiaires de la CMU-C : entre 14 et 17 ans, 34 % n’ont eu aucune prestation de suivi bucco-dentaire contre 24 % des jeunes non bénéficiaires de la CMU-C (fig. 5).

Remerciement : Dr Michel Tréguier, chirurgien-dentiste conseil à la Direction régionale du service médical des Pays de la Loire (DRSM).

Retrouvez tous les résultats dans le rapport : Recours au cabinet dentaire des enfants et des adolescents. Situation en Pays de la Loire et en France à partir d’une analyse des données du SNDS - septembre 2018.

Financement : URPS chirurgiens-dentistes des Pays de la Loire.

Sources de données : Système national des données de santé (SNDS), datamarts Amos (Assurance maladie offre de soins) et DCIR (Datamart de consommations interrégimes). Accès ORS via les profils 23 et 107 depuis le portail SNDS. Extractions effectuées en décembre 2017 sur la période d’historique autorisée allant du 01/01/2012 au 30/06/2017 (en dates de traitement).

Étude disponible sur les sites www.urpscdpdll.org et www.santepaysdelaloire.com.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts concernant cet article.

ENCADRÉ 1

Le Système national des données de santé (SNDS)

Ces études ont été menées à partir des données individuelles exhaustives du SNDS qui regroupe les données suivantes :

• données administratives et « sociales » sur les bénéficiaires des soins, dont le bénéfice éventuel de la CMU-C ;

• données médicales concernant notamment les affections de longue durée (ALD) et les maladies professionnelles ;

• données sur les professionnels ayant prescrit et réalisé les soins ;

• données issues des feuilles de soins (et des bordereaux de facturation des cliniques privées), et notamment la nature de la prestation remboursable avec codage détaillé des médicaments, des actes, des examens biologiques, des dispositifs médicaux… (Datamart DCIR) ;

• données du PMSI concernant les séjours en établissement de santé de médecine-chirurgie-obstétrique, en hospitalisation à domicile, soins de suite et de réadaptation, et en psychiatrie (avec notamment les diagnostics et les actes) ;

• données relatives aux causes médicales de décès (base du CépiDC de l’Inserm).

Ces différentes informations sont « chaînables » pour un même bénéficiaire, permettant ainsi une étude détaillée du parcours de soins, en ville et à l’hôpital.

ENCADRÉ 2

Construction d’un marqueur de parcours bucco-dentaire préventif régulier

Les prestations de suivi bucco-dentaire correspondent aux prestations réalisées en cabinet de ville au cours desquelles aucun soin curatif dentaire n’a été pris en charge : consultations, visites, examens bucco-dentaires et détartrages.

Dans cette étude :

• le remboursement d’au moins 3 prestations de suivi dentaire pendant 4 années consécutives a été choisi comme marqueur d’un parcours bucco-dentaire préventif régulier ;

• a contrario, l’absence de prestation de suivi bucco-dentaire au cours de ces 4 années a été considérée comme marqueur d’un parcours préventif insuffisant, cette situation pouvant traduire soit que l’enfant n’a jamais eu recours à un cabinet dentaire de ville au cours de cette période, soit qu’il a eu uniquement des recours dentaires curatifs.

Afin d’évaluer cet indicateur pour chaque enfant, deux cohortes suivies pendant 4 ans ont été reconstituées à partir des données du DCIR des années 2012 à 2016 : une cohorte d’enfants nés en 2006, suivis entre le 1er jour de leur 6e anniversaire et la veille de leur 10e anniversaire, et une cohorte d’enfants nés en 1998 suivis entre le jour de leur 14e anniversaire et la veille de leur 18e anniversaire.

ENCADRÉ 3

Définition des indicateurs (fig. 2 à 5)

• Recours ville 6-18 ans : taux de recours annuel des 6-18 ans au cabinet de ville (activité libérale et salariée, y compris activité externe).

• 1er recours 6 ans ou moins : proportion d’enfants nés en 2009 ayant eu un 1er recours au cabinet dentaire avant 7 ans.

• Suivi préventif régulier 6-9 ans : proportion d’enfants nés en 2006 ayant eu au moins 3 prestations de suivi bucco-dentaire entre 6 ans et 9 ans inclus.

• Suivi préventif régulier 14-17 ans : proportion de jeunes nés en 1998 ayant eu au moins 3 prestations de suivi bucco-dentaire entre 14 ans et 17 ans inclus.

• Sillons 6-9 ans : proportion d’enfants nés en 2006 ayant eu un scellement de sillons entre 6 ans et 9 ans inclus.

• Sillons 10-13 ans : proportion d’enfants nés en 2002 ayant eu un scellement de sillons entre 10 ans et 13 ans inclus.

• ODF 8-10 ans/11-15 ans/3-18 ans : taux de recours annuel à une prestation d’orthodontie (quelle que soit la spécialité du praticien) chez les 8-10 ans/11-15 ans/3-18 ans.

• Recours hospitalisation 0-18 ans : taux de recours annuel à l’hospitalisation pour soins dentaires des 0-18 ans.

• Soins conservateurs 0-18 ans : taux de recours annuel à un soin conservateur (hors détartrage) chez les 0-18 ans, en cabinet de ville ou en hospitalisation, toutes spécialités confondues.