Une nouvelle classification clinique de la parodontite - Clinic n° 12 du 01/12/2018
 

Clinic n° 12 du 01/12/2018

 

PARODONTIE

Isabelle FONTANILLE*   Christelle DARNAUD**   Francis MORA MCU-PH***  


*AHU
Université Paris-Diderot
Hôpital Rothschild AP-HP
Pratique privée en parodontologie
Paris
**AHU
Université Paris-Diderot
Hôpital Rothschild AP-HP
Pratique privée exclusive en
parodontologie et implantologie
Paris
***Service d’odontologie
Hôpital Rothschild AP-HP
****Co-directeur du Postgraduate Program
en parodontologie et dentisterie
implantaire de Paris-Diderot
*****Pratique privée exclusive en
parodontologie et implantologie
Bordeaux

En 2017, une Conférence de Consensus réunissant la fédération européenne (EFP) et américaine (AAP) de parodontologie a proposé une nouvelle classification des maladies parodontales.

L’évolution des données scientifiques a rendu obsolète la précédente classification datant de 1999 [1] notamment concernant le diagnostic de parodontite agressive ou de parodontite chronique [2]. Ces entités ont disparu dans la nouvelle classification au profit d’une seule : la parodontite, définie en fonction de la sévérité, de la complexité et de la rapidité de progression de la maladie.

Ces vingt dernières années, les praticiens différenciaient deux classes de patients atteints de maladies parodontales : ceux atteints de parodontite agressive et ceux souffrant de parodontite chronique [1]. Bien qu’elles aient été définies comme des entités nosologiques différentes, l’incertitude demeurait quant au diagnostic qui reposait sur des caractéristiques cliniques parfois proches et sur l’absence de profils microbiologiques spécifiques [3-4]. Aussi la classification utilisée ne permettait pas de distinguer clairement les différentes formes cliniques de parodontite.

Récemment, quatre rapports [2, 5-7] ont tenté de lever ces difficultés dans le cadre du Workshop International organisé conjointement par la Fédération européenne de parodontologie (EFP) et l’Association américaine de parodontologie (AAP) dont les conclusions sont exposées dans cet article. Cent dix experts internationaux ont analysé les preuves rassemblées dans le cadre de revues systématiques de la littérature, afin de mieux préciser les critères définissant les maladies parodontales aujourd’hui.

Sous ce terme seront regroupées : les maladies gingivales, la parodontite, les maladies parodontales nécrotiques, les parodontites comme expressions cliniques d’autres maladies et les maladies entraînant la destruction des tissus parodontaux en l’absence de parodontite (fig. 1).

Quelles nouveautés apporte cette classification ?

La notion de santé parodontale

Le saignement au sondage est l’un des paramètres avec œdème et érythème identifiant cliniquement une gingivite. La résolution de l’inflammation par le traitement va permettre le retour à un état parodontal sain. Si toutes les gingivites n’évoluent pas vers une parodontite, le patient atteint de maladie parodontale a toujours traversé une phase d’inflammation gingivale. La notion de prévention prend ici tout son sens (fig. 2).

Un des aspects novateurs de cette classification réside dans la notion de santé gingivale sur parodonte réduit :

• le terme cliniquement sain décrit l’absence d’inflammation parodontale clinique sur un parodonte intact ou réduit [9] ;

• il est cliniquement possible de revenir à un état de santé parodontale (fig. 3) après avoir été traité pour une gingivite ou une parodontite. Le critère clinique le plus fiable reste l’absence de saignement au sondage qui présente une valeur prédictive négative de 98 % [10], en d’autres termes, la probabilité de ne pas présenter une évolution de la maladie.

• On distingue également la notion de « stabilité de la maladie » et la notion de « rémission de la maladie » [10]. La différence entre les deux repose sur le contrôle des facteurs de risque. Cette étape représente une phase à part entière de la prise en charge de la maladie. Elle conditionne aussi la réponse au traitement. L’objectif majeur des thérapeutiques parodontales est d’aboutir à un état de « stabilité de la maladie ». En l’absence de contrôle des facteurs de risque [11], la « rémission de la maladie » se caractérisera par l’absence de sa résolution complète malgré une diminution significative de l’inflammation, une amélioration des paramètres cliniques (saignement au sondage et profondeurs de sondage, niveau d’attache clinique) et la présence de poches résiduelles (≥ 4 mm) [10] (fig. 4).

Définition clinique de la parodontite

En clinique, on considèrera qu’un patient présente une parodontite lorsque [12] :

• une perte d’attache clinique (CAL) est détectable (≥ 2-3 mm) sur ≥ 2 dents adjacentes ;

• lorsque la perte d’attache vestibulaire ou linguale/palatine est ≥ 3 mm avec une profondeur de sondage > 3 mm sur ≥ 2 dents adjacentes ;

≥ mais la perte d’attache ne peut pas être le résultat :

- d’une récession gingivale d’origine traumatique ;

- de caries dentaires sous-gingivales ;

- de suites d’extraction de la dent de sagesse en distal de la seconde molaire ;

• de lésion endodontique se drainant au niveau marginal ;

• de manifestation d’une fracture radiculaire verticale.

Comment établir votre diagnostic ?

Trois formes de parodontites sont actuellement reconnues : les parodontites nécrotiques, les parodontites comme manifestations de maladies systémiques, et la parodontite. C’est cette dernière que nous aborderons.

La parodontite se caractérise par son stade, son grade et des descripteurs :

• le stade est défini par la sévérité et la complexité de la maladie (fig. 5) ;

• le grade va tenir compte du taux de progression des 5 dernières années en termes de perte d’attache et d’alvéolyse (facteur présentant une preuve directe de progression), ainsi que de la quantité de plaque, du ratio pourcentage d’alvéolyse/âge, et du ratio quantité de plaque/degré de destruction. Ce taux de progression est associé ou non aux facteurs de risque que sont le tabac et le diabète. Cette notion de grade permet de hiérarchiser le risque de progression de la maladie (fig. 6).

• l’addition de descripteurs concerne l’étendue de la maladie et sa distribution.

Lorsque plus de 30 % des sites sont touchés, on parle toujours de parodontite généralisée. Quand moins de 30 % des sites présentent une perte d’attache, cela correspond à une parodontite localisée. On précise alors la distribution (fig. 7).

Des facteurs de risque vrais de la parodontite [11], tels que le tabac et le diabète sont considérés comme des facteurs modifiant la progression de la maladie et la réponse au traitement. En l’absence de caractéristique phénotypique unique, on ne peut conclure à l’existence d’une parodontite du patient fumeur ou du patient diabétique. En revanche ces facteurs modifiants doivent être inclus dans le diagnostic de la parodontite [6]. On parlera donc de parodontite associée au tabac ou associée au diabète (fig. 8).

Impact sur la prise en charge de la parodontite

À quoi sert une classification si elle n’a pas d’impact sur la prise en charge de nos patients ? Pour Ian Chapple [13], « la nouvelle classification devrait permettre une approche globale cohérente en matière de diagnostic et de prise en charge et, à terme, améliorer les résultats pour nos patients ». Est-ce finalement le cas ?

La nouvelle classification ne nous livre pas de plan de traitement adapté à chaque stade. En revanche, chaque stade correspond à un degré de prise en charge [12] :

• la parodontite de stade 1 correspond aux premiers millimètres de perte d’attache. Le contrôle de plaque professionnel auquel s’ajoute la prescription d’adjuvants chimiques optimiseront le contrôle de plaque personnel et le traitement de la maladie ;

• la parodontite de stade 2 : la thérapeutique non chirurgicale contribuera à traiter la maladie ;

• la parodontite de stade 3 : la présence de poches parodontales profondes, de défauts osseux verticaux > 3 mm et d’atteinte de la furcation orientent vers des traitements parodontaux chirurgicaux mais sans réhabilitation complexe ;

• la parodontite de stade 4 : les lésions parodontales atteignant le tiers apical ainsi que l’absence de plus de 5 dents pour raison parodontale orientent vers une prise en charge multidisciplinaire afin de restaurer la fonction masticatoire.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un arbre décisionnel, cette classification peut être une aide à la planification du plan de traitement en fonction des critères relevés, voire même aider l’omnipraticien dans son choix de s’adresser à un spécialiste afin de répondre aux besoins spécifiques du patient.

Cas clinique

Diagnostic de parodontite en fonction de la nouvelle classification (fig. 9 à 11 et tableau 1 à 3).

Les limites et avantages de cette nouvelle classification

La parodontite est une maladie inflammatoire dysbiotique qui met en jeu « des interactions complexes entre le microbiote sous-gingival, les réponses immunitaires et inflammatoires de l’hôte, et les facteurs de modification de l’environnement » [14]. La nouvelle classification ne tient pas compte de ces notions.

D’autre part, pour des études épidémiologiques, la classification de Eke [15] déjà utilisée reste plus adaptée car plus spécifique. En effet, cette nouvelle classification est une classification clinique et permet de gagner en sensibilité au niveau du diagnostic. Elle présente aussi l’avantage de ne pas être cloisonnée et fait donc appel au sens clinique du praticien. D’un premier abord complexe, elle offre en réalité la possibilité d’une meilleure description de la maladie.

En résumé

L’état de santé parodontale sur parodonte réduit est reconnu. Les parodontites agressives et chroniques n’existent plus. La parodontite se définit dorénavant par son stade, son grade, son étendue et sa distribution. ?

Liens d’intérêts : Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts concernant cet article.

  • [1] Armitage GC. Development of a classification system for periodontal diseases and conditions. Ann Periodontol 1999;4:1-6.
  • [2] Papapanou PN, Sanz M, Buduneli N, Dietrich T, Feres M, Fine DH et al. Periodontitis: consensus report of workgroup 2 of the 2017 World Workshop on the classification of periodontal and peri-implant diseases and conditions. J Periodontol 2018;89:S173-S182.
  • [3] Heller D, Silva-Boghossian CM, do Souto RM, Colombo AP. Subgingival microbial profiles of generalized aggressive and chronic periodontal diseases. Arch Oral Biol 2012;57:973-980.
  • [4] Mombelli A, Casagni F, Madianos PN. Can presence or absence of periodontal pathogens distinguish between subjects with chronic and aggressive periodontitis? A systematic review. J Clin Periodontol 2002;29:10-21 (discussion:37-38).
  • [5] Chapple ILC. Mealey BL, Van Dyke TE, Bartold PM, Dommisch H, Eickholz P et al. Periodontal health and gingival diseases and conditions on an intact and a reduced periodontium: consensus report of workgroup 1 of the 2017 World Workshop on the classification of periodontal and peri-implant diseases and conditions. J Periodontol 2018;89:S74-S84.
  • [6] Jepsen S, Caton JG, Albandar JM, Bissada NF, Bouchard P, Cortellini P et al. Periodontal manifestations of systemic diseases and developmental and acquired conditions: consensus report of workgroup 3 of the 2017 World Workshop on the classification of periodontal and peri-implant diseases and conditions. J Periodontol 2018;89: S237-S248.
  • [7] Berglundh T, Armitage G, Araujo MG, Avila-Ortiz G, Blanco J, Camargo PM et al. Peri-implant diseases and conditions: consensus report of workgroup 4 of the 2017 World Workshop on the classification of periodontal and peri-implant diseases and conditions. J Periodontol 2018;89:S313-S318.
  • [8] Bouchard P. La révolution de la nouvelle classification des maladies parodontales. Oral Comm. Entretiens de Garancière 2018.
  • [9] Caton JG, Armitage G, Berglundh T, Chapple ILC, Jepsen S, Kornman KS et al. A new classification scheme for periodontal and peri-implant diseases and conditions - Introduction and key changes from the 1999 classification. J Periodontol 2018;89:S1-S8.
  • [10] Lang NP, Bartold PM. Periodontal health. J Clin Periodontol 2018;45:S9-S16.
  • [11] Bouchard P. Carra MC, Boillot A, Mora F, Rangé H. Risk factors in periodontology: a conceptual framework. J Clin Periodontol 2017;44:125-131.
  • [12] Tonetti MS, Greenwell H, Kornman KS. Staging and grading of periodontitis: framework and proposal of a new classification and case definition. J. Periodontol 2018;89:S159-S172.
  • [13] Chapple ILC. New classification of periodontal and peri-implant diseases and conditions. Br Dent J 2018;225:5.
  • [14] Kebschull M, Demmer RT, Grün B, Guarnieri P, Pavlidis P, Papapanou PN. Gingival tissue transcriptomes identify distinct periodontitis phenotypes. J Dent Res 2014;93:459-468.
  • [15] Eke PI, Page RC, Wei L, Thornton-Evans G, Genco RJ. Update of the case definitions for population-based surveillance of periodontitis. J Periodontol 2012;83:1449-1454.