Comment sécuriser nos traitements canalaires ? - Clinic n° 05 du 01/05/2019
 

Clinic n° 05 du 01/05/2019

 

Endodontie

Haïfa BEN REJEB*   Jean-Pierre SIQUET**   Franck DIEMER***  


*AHU UFR Odontologie
**Toulouse
***Exercice libéral
****Braine-l'Alleud, Belgique
*****PU-PH UFR Odontologie
******Toulouse

La sécurisation canalaire est une étape importante et indispensable de la préparation canalaire. Des limes manuelles en acier de faible diamètre sont généralement utilisées pour cette exploration initiale. Pour les cas difficiles, comme les canaux courbes, fins ou calcifiés, des limes mécanisées en NiTi spécialement dédiées au cathétérisme sont recommandées.

La préparation endodontique en toute sécurité nécessite un pré-élargissement (que les Anglo-saxons appellent...


La sécurisation canalaire est une étape importante et indispensable de la préparation canalaire. Des limes manuelles en acier de faible diamètre sont généralement utilisées pour cette exploration initiale. Pour les cas difficiles, comme les canaux courbes, fins ou calcifiés, des limes mécanisées en NiTi spécialement dédiées au cathétérisme sont recommandées.

La préparation endodontique en toute sécurité nécessite un pré-élargissement (que les Anglo-saxons appellent « glide path ») du canal, et un maintien de sa perméabilité tout au long du traitement. Le cathétérisme canalaire était enseigné, depuis longtemps, comme une seule étape utilisant des limes de faible diamètre, dont la finalité était de déterminer la longueur de travail. Aujourd'hui, suite à l'évolution des concepts en endodontie, ce cathétérisme peut se dissocier en trois étapes : l'exploration initiale, la détermination de la longueur de travail, et l'étape de sécurisation canalaire.

Au tout début de la préparation canalaire, l'exploration initiale permet de mieux appréhender l'anatomie du canal et de s'assurer de sa perméabilité avant d'y introduire un instrument mécanisé. Les limes manuelles de petit diamètre (08 ou 10 et 15) sont ainsi fréquemment utilisées pour cette étape d'exploration initiale du canal. Elles ont une conicité de 2 %, avec une section carrée ou triangulaire. La longueur de la lime est variable (21, 25, 29, 31 mm), avec une partie active constante de 16 mm.

Lors d'une progression difficile des limes manuelles de cathétérisme, notamment dans les canaux étroits, courbes ou calcifiés, il est fortement conseillé de faire suivre l'exploration initiale par le passage d'instruments Nickel-Titane (NiTi) mécanisés, de faible calibre, de faible conicité et de grande flexibilité, souvent appelés instruments de « glide path », qui pré-élargissent le canal et sécurisent ainsi l'utilisation des instruments rotatifs suivants.

Les instruments de cathétérisme mécanisés sont apparus il y a une dizaine d'années. Ils sont en Nickel-Titane, ce qui leur confère des propriétés mécaniques de super-élasticité et de mémoire de forme, qui sont très utiles pour l'étape de sécurisation canalaire [1] (tableau 1).

Revue de la littérature

Les instruments de sécurisation canalaire sont soumis aux mêmes attentes que tous les instruments endodontiques : le respect de la courbure canalaire, la résistance à la fatigue cyclique, le gain de temps...

Respect de la trajectoire canalaire : centrage canalaire et transport apical

La préparation canalaire finale doit respecter la trajectoire initiale du canal, dans le but de préserver au mieux les structures radiculaires.

Une revue systématique de 18 études, publiée en 2018, montre que le passage d'instruments de glide path au préalable réduit le risque de modification du trajet canalaire et le risque de déplacement du foramen apical, en comparaison aux traitements endodontiques réalisés sans cathétérisme [2]. Cette revue de la littérature rapporte aussi que le cathétérisme mécanisé a des résultats similaires (dans la plupart des études) ou nettement meilleurs en ce qui concerne le transport apical et le centrage canalaire que le cathétérisme manuel réalisé à l'aide des limes K [2].

D'autre part, dans une étude in vitro réalisée par l'équipe de Siquiera, la conservation de la trajectoire canalaire de trois instruments de cathétérisme (lime K, Pathfiles® de Dentsply, et ScoutRace® de FKG) a été comparée. Les résultats de cette étude permettent de conclure que les instruments de cathétérisme mécanisé induisent moins de modification de trajectoire que les instruments manuels [3]. Par conséquent, un cathétérisme mécanisé peut être utile pour réduire le transport apical et pour un meilleur centrage canalaire [2].

Fatigue cyclique et résistance à la torsion

Pour réduire le risque de fracture des instruments en NiTi, une sécurisation canalaire est nécessaire avant l'étape de mise en forme. En élargissant la lumière canalaire avec ces limes, les instruments de mise en forme travaillent avec moins de contraintes de torsion et moins de contraintes sur la pointe.

Le comportement mécanique des instruments NiTi est lié d'une part à l'anatomie du canal radiculaire et, d'autre part, aux facteurs intrinsèques des instruments, tels que la section transversale, les angles d'hélice et de coupe, la taille, la conicité et la nature de l'alliage.

Une étude publiée par Lee et al. en 2019 a comparé la fatigue cyclique et la résistance à la torsion de différents instruments de cathétérisme mécanisé : ProGlider® (Dentsply Sirona, Ballaigues, Switzerland), One G® (MicroMega, Besançon, France) et EdgeGlidePath® (Edge Endo, Albuquerque, NM). Dans les conditions de cette étude, le One G® a montré la plus faible résistance à la fatigue cyclique, peut-être en lien avec la nature non traitée de l'alliage et à la forte dissymétrie de sa section transversale. En effet, le One G® est fabriqué à partir d'un alliage NiTi conventionnel, qui est moins flexible qu'un alliage M-Wire ou un alliage NiTi traité thermiquement [4]. D'autre part, le One G® a montré une résistance à la torsion et un angle de déformation supérieurs aux autres [4].

Cependant, Kwak et al. indiquent, dans une étude publiée en 2016, que toutes les limes de cathétérisme offrent une flexibilité suffisante et une bonne résistance à la fatigue cyclique en raison de leur petit diamètre et de leur conicité. Il a été conclu que la résistance à la torsion des limes de cathétérisme est réduite par le traitement thermique et augmentée par une faible longueur du pas. Ainsi, un instrument non traité thermiquement avec une longueur de pas plus courte serait idéal comme instrument de cathétérisme mécanisé [5]. En effet, ces limes sont utilisées dans les phases initiales de préparation du canal radiculaire et sont appliquées sur des surfaces radiculaires non encore préparées, elles sont donc vulnérables au stress de torsion.

Par conséquent, un instrument de cathétérisme doit offrir une bonne résistance à la torsion, à la flexion et une bonne efficacité de coupe (fig. 1 à 6).

Durée de travail

Certains auteurs rapportent que le cathétérisme avec des instruments NiTi rotatifs est nettement plus rapide qu'avec les limes K manuelles en acier inoxydable. Les résultats d'une étude publiée en 2017 montrent que le cathétérisme mécanisé avec G-Files® (42 secondes avec les deux instruments G1 et G2) et ProGlider® (30 secondes avec un seul instrument) est statistiquement beaucoup plus rapide que le cathétérisme manuel avec les limes K en acier inoxydable (75 secondes avec trois limes K) [6].

Les limes rotatives semblent donc permettre de réaliser le cathétérisme plus rapidement qu'avec des limes manuelles en acier, et de façon plus sûre, en limitant les risques d'erreurs endodontiques (butée, fausse route, déviation de la trajectoire canalaire initiale). Elles facilitent le travail des instruments de mise en forme canalaire qui suivront, grâce à la création d'un pré-élargissement de la lumière canalaire [7].

Douleurs post-opératoires

Au cours de la préparation canalaire, les débris dentinaires, les micro-organismes et les solutions d'irrigation peuvent être transportés apicalement et extrudés au-delà du foramen apical. Ces débris extrudés apicalement, même non septiques, causent potentiellement des complications post-opératoires avec, au minimum, une inflammation périapicale, et souvent des douleurs post-opératoires.

La géométrie d'un instrument endodontique, les protocoles d'irrigation et la technique de préparation peuvent affecter la quantité de débris extrudés apicalement [8]. Plusieurs études ont analysé l'effet de la sécurisation canalaire avant l'étape de mise en forme canalaire sur l'extrusion apicale des débris. L'étude de Gunes et Yesildal Yeter, en 2018, montre que le cathétérisme avec les limes K manuelles provoque plus d'extrusion de débris apicaux que les limes de cathétérisme mécanisé en rotation continue, comme le One G® (MicroMega). Cette étude montre aussi que tous les instruments de glide path évalués (G-Files®, One G®, ProGlider® et Pathfiles®) présentaient une extrusion apicale de débris similaire [8]. Ces résultats sont conformes à ceux de l'étude in vivo de Keskin, publiée en 2018, qui comparait l'incidence, l'intensité et l'apparition de douleurs post-opératoires après cathétérisme manuel, en rotation continue et en réciprocité : lime K-files (Dentsply Sirona), ProGlider® (Dentsply Sirona, Ballaigues, Suisse) et R-Pilot® (VDW, Munich, Allemagne). Les résultats de cette étude montrent que le cathétérisme canalaire avec des instruments NiTi en rotation ou en réciprocité est associé à des niveaux de douleur et à une incidence post-opératoire moindres par rapport au cathétérisme manuel, et qu'aucune différence significative n'a été notée entre les instruments de cathétérisme en rotation continue et en réciprocité [9].

Plusieurs études antérieures ont aussi montré que le cathétérisme manuel pouvait extruder de plus grandes quantités de débris et de bactéries par rapport au cathétérisme mécanisé utilisant des instruments NiTi [10, 11]. Cela peut être expliqué d'une part par le mouvement des instruments mécanisés, qui permet une évacuation en direction cervicale des débris canalaires, comparé au mouvement des limes K manuelles qui favorise plutôt l'extrusion des débris et des solutions d'irrigation vers l'apex. D'autre part, les limes K en acier inoxydable ont tendance à redresser les canaux en raison de leur rigidité.

Le transport apical et l'élargissement du foramen ont été considérés comme facteurs augmentant le risque de modification de la constriction apicale et de l'extrusion de débris, provoquant ainsi des douleurs post-opératoires [12-14].

Finalement, la sécurisation canalaire avec les limes manuelles entraîne davantage de douleurs post-opératoires que le pré-élargissement canalaire avec des instruments NiTi rotatifs.

Conclusion

Le respect de trois étapes essentielles de cathétérisme canalaire, l'exploration initiale, la détermination de la longueur de travail, et la sécurisation canalaire, est considéré aujourd'hui comme une des clés de réussite de la préparation canalaire.

Le cathétérisme à l'aide d'instruments rotatifs NiTi présente plus d'avantages que le cathétérisme manuel : notamment moins d'extrusion de débris et un temps de travail plus rapide. Ces instruments respectent mieux l'endodonte en limitant le transport canalaire et le déplacement foraminal, rendant le cathétérisme mécanisé potentiellement plus adapté aux canaux courbes et fins.

Enfin, ils permettent de sécuriser le passage des instruments de mise en forme et devraient donc être utilisés systématiquement lors de traitement de canaux particulièrement minéralisés ou courbés.

À retenir

• Le cathétérisme canalaire peut être dissocié en trois étapes : exploration initiale, détermination de la longueur de travail, et sécurisation canalaire ;

• Un pré-élargissement canalaire permet de diminuer le risque de fracture et d'augmenter la durée de vie des instruments de mise en forme rotatifs ;

• Le cathétérisme à l'aide d'instruments rotatifs présente plus d'avantages que le cathétérisme manuel (diminution du temps d'utilisation et des douleurs post-opératoires).

Liens d'intérêts :

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Bibliographie

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