L'espace interdentaire : exigences cliniques et spécificités de son entretien - Clinic n° 06 du 01/06/2019
 

Clinic n° 06 du 01/06/2019

 

Prophylaxie

Aleksandar DAKIC  

Ancien assistant hospitalier universitaire en parodontologie (Hôpital Rothschild)Post-Graduate Européen en parodontologie et dentisterie implantaireAncien interne (AEA)Exercice libéral en parodontologie et implantologieVal d'Oise

Anatomiquement, l'espace interdentaire représente un point de concentration des pathologies parodontales et péri-implantaires. Son accès et son entretien constituent la clé de voûte de la réussite de tout traitement. Au moins 60 % de la population présente une gingivite [1] et le brossage seul, non complété par l'utilisation de dispositifs interdentaires, ne parvient pas à retirer le maximum de plaque dentaire. L'objectif est...


Anatomiquement, l'espace interdentaire représente un point de concentration des pathologies parodontales et péri-implantaires. Son accès et son entretien constituent la clé de voûte de la réussite de tout traitement. Au moins 60 % de la population présente une gingivite [1] et le brossage seul, non complété par l'utilisation de dispositifs interdentaires, ne parvient pas à retirer le maximum de plaque dentaire. L'objectif est de donner à chaque praticien(ne) les informations scientifiques ainsi que les outils pédagogiques et de communication afin de faire adopter les brossettes interdentaires aux patient(es) qui ont en besoin. C'est un enjeu important lorsque l'on considère leur effet positif direct et indirect sur le parodonte et le risque carieux. Rappelons que l'effet est le plus important là où le risque est le plus important [2].

Exigences cliniques

Lors de la thérapeutique initiale en parodontologie, le plus souvent, de nouvelles techniques de brossage sont enseignées et du matériel spécifique est prescrit, notamment des dispositifs spécifiques au brossage interdentaire. Il en existe de différents types (brossettes interdentaires, fil dentaire, bâtonnets interdentaires) pour nettoyer ces zones difficiles d'accès (fig. 1). L'offre des fabricants est très importante et le patient (comme le praticien) peut se sentir perdu par l'abondance du choix. Au-delà des spécificités données par le fabricant, les dispositifs interdentaires doivent présenter des critères d'efficacité (longueur de la partie travaillante et dureté des brins pour les brossettes interdentaires) et respecter un cahier des charges comme s'adapter à différents espaces interdentaires (fig. 2) et présenter une résistance à l'usure suffisante.

Efficacité théorique

Par rapport à un espace interdentaire donné, mieux vaut-il choisir des brossettes à poil souple ou dur et quel va être l'effet de l'augmentation du diamètre des brossettes ?

Une étude in vitro a permis de comparer l'efficacité de 3 diamètres de brossettes et de 2 niveaux de dureté (souple et dur) au niveau de 4 espaces interdentaires (fig. 3). Les auteurs ont conclu qu'il n'y a pas de différence en termes d'efficacité entre les deux types de dureté de brossettes interdentaires. Par contre, l'efficacité augmente avec le diamètre des brossettes interdentaires [3].

Cependant, les auteurs ont remarqué que, lorsque le diamètre des brossettes augmente, l'efficacité des brossettes à poil souple augmente de façon moins régulière que celle des brossettes à poil dur. Ils suspectent un effet de repli des poils longs et souples, ce qui altèrerait leur efficacité.

Renseignements tirés de cet article. Pour être efficace, une brossette doit avoir un diamètre légèrement supérieur à l'espace interproximal. Concernant la dureté des brins et le niveau d'efficacité, il n'y a pas de différence entre poil dur et poil souple. Par contre, au niveau de l'usure ou de l'efficacité ressentie par le patient, nous pouvons supposer une supériorité des brossettes à poil dur.

Nous avons là un début de réponse afin de prescrire correctement les bonnes brossettes aux patient(es). Qu'en est-il cliniquement parlant ?

Efficacité clinique

De manière significative, les brossettes interdentaires sont les plus efficaces pour retirer la plaque interdentaire. Le fil dentaire est recommandé pour les espaces interdentaires trop étroits pour les brossettes mais il est difficile à utiliser et les patients lui préfèrent les brossettes.

L'utilisation des brossettes interdentaires améliore aussi significativement les indices de saignement et la profondeur de poche [4] (fig. 4 à 6).

Efficacité pratique

La plupart du temps, lors d'une séance d'enseignement à l'hygiène orale, soit les patients découvrent l'existence des brossettes interdentaires (fig. 7 à 9), soit ils ont en déjà utilisé mais irrégulièrement et, la plupart du temps, les diamètres des brossettes choisies ne sont pas adaptés.

Du point de vue du patient, les brossettes interdentaires sont préférées au fil dentaire et sont considérées comme moins chronophages et plus efficaces même si elles peuvent parfois se tordre lors de leur utilisation [5].

En 2010, une étude a été réalisée comparant les recommandations sur l'hygiène dentaire données par les hygiénistes et les dentistes en Suède. L'étude rapporte que le thème des dispositifs d'hygiène interdentaire est abordé dans 84 % des cas chez l'hygiéniste et dans seulement 52 % des cas chez le dentiste. Aussi a-t-il été montré que, avant 40 ans, l'utilisation des brossettes est relativement faible (92 % de la population n'en utilisent pas) [6]. En Australie, une étude a révélé que 20 % des patients nettoient quotidiennement en interproximal, 40 % des patients nettoient régulièrement en interproximal mais pas quotidiennement et 40 % ne nettoient pas régulièrement [7]. Il serait intéressant d'avoir des informations de ce type en France.

Prescrire des brossettes interdentaires adaptées au patient et lui donner une méthodologie d'utilisation va en pérenniser l'utilisation sur le long terme (fig. 10).

Méthodologie du brossage interproximal (décrite dans l'article de Sarner et al. 2010 [6]).

• Le patient dispose devant lui les brossettes par taille décroissante (référence au code couleur).

• En partant d'un côté en postérieur, le patient essaie d'utiliser la brossette la plus grosse. Si elle est inutilisable, les brossettes de diamètre inférieur sont essayées jusqu'à ce qu'une des brossettes convienne à l'espace interproximal (fig. 11). Pour l'espace interproximal suivant, le patient recommence le calibrage des brossettes en partant de la plus grosse jusqu'à trouver la brossette optimale. Ceci est répété pour tous les espaces interproximaux. De cette façon, le patient établit une cartographie et peut associer un diamètre de brossette à chaque espace dentaire.

• Ceci est long et un aide-mémoire (quadrant dentaire et code couleur) peut faciliter la mise en œuvre des brossages interdentaires suivants et l'apprentissage.

N'oublions pas de signaler que la durée du brossage dépasse largement les 2 minutes évoquées de façon courante. Pour un brossage complet, la durée réelle se situe entre 5 et 10 minutes.

L'implication du patient peut progressivement diminuer dans le temps (fig. 12). Avec un protocole expliqué par le praticien puis adopté par le patient, le programme d'hygiène pourra être suivi plus longtemps et avec le maximum d'efficacité. Il est vain de croire que tout cela va réjouir le patient et que nos outils vont trôner fièrement sur son meuble de salle de bain dès le soir même. Ces outils être présentés sous leur meilleur aspect, leur efficacité devra être démontrée au patient et l'adhésion du patient recherchée lors d'un entretien motivationnel.

Mais les meilleurs outils et le patient motivé et habile peuvent ne pas suffire. Il faut vérifier et échanger régulièrement avec le patient sur son ressenti concernant ses brossettes interdentaires et évaluer cliniquement son indice de plaque. Par exemple, lors d'un traitement parodontal, entre le début des soins (bilan parodontal et détartrage) et la réévaluation, les espaces interdentaires évoluent. Si les brossettes ne sont pas recalibrées, elles ne seront plus efficaces car sous-dimensionnées.

Comment rendre un patient efficace ?

Cela peut se résumer par ses 4 actions : prescrire, conseiller, vérifier, accompagner.

Qu'est-ce qu'un patient efficace (fig. 13) ?

C'est un patient impliqué qui, par exemple, pose des questions pratiques sur l'utilisation des brossettes, critique leur conception ou leur fragilité, change et adapte les diamètres sans intervention du praticien, a développé une dextérité lui permettant de les passer par le côté vestibulaire et palatin/lingual (fig. 14 et 15).

Qu'est-ce qu'un praticien efficace ?

Un praticien qui va relever les 2 principaux défis de l'hygiène orale :

• que le patient mémorise les instructions et conseils ;

• que le patient reste motivé et adhère aux recommandations.

Pour y parvenir plus sûrement et plus aisément, il est possible d'adopter une nouvelle stratégie inspirée de l'approche comportementale qui repose sur l'aspect psychosocial du changement de comportement [8].

Stratégies d'information

L'enseignement à l'hygiène orale

Changer les habitudes de brossage des patients est probablement l'aspect le plus difficile (fig. 16) et le plus gratifiant de notre profession.

Pour que le traitement parodontal soit un succès, cela nécessite la combinaison de soins adaptés et d'une hygiène orale quotidienne optimale. Pourtant, l'adhésion des patients aux recommandations des professionnels de santé est faible. De 30 à 60 % de l'information est oubliée dans l'heure et 50 % des recommandations ne sont pas suivies [9].

Outre le contenu de l'information, le vecteur est à optimiser. Délivrer les conseils de brossage comme un sermon n'est plus envisageable. Il faut intégrer les patients et les sensibiliser à leur santé bucco-dentaire.

Traditionnellement, l'enseignement à l'hygiène comporte des prescriptions et des informations pédagogiques. Une approche plus moderne et effective émerge progressivement et fait appel à des modèles psychosociaux et des techniques employées dans les stratégies du conseil. Tout ceci a pour but d'opérer chez les patient(e)s un changement de comportement durable.

L'entretien motivationnel est une de ces stratégies bien décrites et qui améliore le contrôle de plaque et les paramètres cliniques parodontaux. À ce jour, seulement quelques études ont comparé l'effet de praticiens formés à l'entretien motivationnel sur les paramètres parodontaux par rapport à des praticiens non formés. Pourtant, les résultats sont positifs et significatifs (réduction de l'indice de plaque, réduction de l'inflammation gingivale et augmentation du nombre de patients nettoyant quotidiennement en interproximal) même lorsque ces entretiens ne sont pas menés par des praticiens. En effet, dans le protocole de ces études, deux font intervenir des psychologues [10, 11] et deux autres des hygiénistes dentaires [12, 13].

Ces résultats suggèrent que la formation à l'entretien motivationnel devrait concerner toutes les personnes ayant pour objectif d'améliorer la santé orale des patient(e)s. Au sein de nos cabinets, cela pourrait s'étendre à toute l'équipe soignante et non soignante.

L'entretien motivationnel

L'entretien motivationnel est une méthode de communication centrée sur la personne et axée sur des objectifs précis : susciter et renforcer la motivation intrinsèque favorisant un changement positif. Il serait difficile de présenter l'intégralité de cette approche en quelques paragraphes. Nous allons aborder les éléments clés d'un entretien motivationnel axé sur la santé orale et détailler quelques outils utilisables dès la fin de la lecture de cet article.

Les composants clés du déroulement d'un entretien motivationnel se résument ainsi : demander la permission (d'aborder un sujet), obtenir-fournir-obtenir (de l'information), trier les options et, enfin, obtenir un engagement (de la part du patient).

Le praticien réalisant l'entretien motivationnel doit nécessairement écouter, accepter de tout entendre et répondre à un patient ayant un avis personnel sur sa situation au lieu de réciter un discours prédéterminé et scripté sur les techniques de brossage. Le plus déroutant est de sortir de sa position d'expert et de praticien entraîné à chercher ce qui ne va pas avec le patient en vue de le corriger. Les informations sur les méthodes de brossage, les conseils et la prescription seront transmis mais tous ces éléments seront vectorisés au travers d'une communication calibrée.

Bien communiquer nécessite des qualités parfois innées et souvent à développer. Quatre éléments constituent les piliers d'une communication efficiente dans notre schéma relationnel avec le patient : questions ouvertes, affirmations, refléter, résumer.

Les questions ouvertes ne sont pas toujours simples à formuler spontanément vu qu'elles cherchent à éviter une réponse par « oui » ou par « non ». Commencez la question par « que » ou « comment » va en faciliter la formulation. Sinon, commencez votre phrase par « Parlez-moi de... ».

Exemple de question fermée : « Utilisez-vous les brossettes interdentaires que je vous ai prescrites ? ».

Exemple de question ouverte : « Comment trouvez-vous les brossettes interdentaires que je vous ai prescrites ? ».

Refléter fait allusion à une écoute active et qui confirme au patient par des reformulations que nous écoutons réellement, que nous sommes concernés et que nous comprenons.

Par exemple : Vous venez de finir un sondage parodontal et vous posez une question ouverte.

Le praticien : « Comment avez-vous vécu le sondage parodontal ? ».

La patiente : « Plus d'appréhension que de mal Docteur, mais vous avez trouvé beaucoup de poches profondes ! ».

Le praticien : « J'ai l'impression que ceci vous inquiète ».

Dans ce cas, la reformulation a une notion interprétative. Une bonne façon de reformuler est de commencer sa phrase par « j'ai l'impression que... ».

L'affirmation sert à transmettre de la connaissance et à encourager les actions positives déjà réalisées par le patient.

Le résumé rappelle une dernière fois que nous avons bien écouté, quitte à rappeler au patient certaines contradictions dans son propos. L'objectif de ce résumé est de fixer le prochain objectif.

Conclusion

L'enseignement à l'hygiène orale est sans conteste une tâche ingrate et difficile car elle aborde un aspect intime du patient. Aborder le sujet et trouver les bons mots sans tomber dans le raccourci accusateur « présence de plaque = mauvais brossage » est délicat. De peur de faire un mauvais pas, le praticien peut prendre à ses dépens l'hygiène bucco-dentaire de ses patients en disséminant des conseils ratant leur cible et en réalisant un détartrage annuel. L'entretien motivationnel permet de changer le rapport et la nature de l'échange. Dire au patient ce qu'il doit faire et comment il doit le faire ne donne pas de bons résultats. Il faut viser un changement de comportement et une adhésion du patient.

Des revues systématiques portant sur les dispositifs interdentaires existent et permettent de prouver leur efficacité clinique. De manière évidente, les brossettes interdentaires sont les plus efficaces sur les paramètres parodontaux étudiés. À ce jour, il n'y a pas d'études comparant les différentes marques de brossettes interdentaires entre elles. Parmi les facteurs critiques permettant de prescrire les « bons » dispositifs interdentaires aux patients, nous retiendrons : la dimension de la partie travaillante (brosse) adaptée à l'espace interdentaire, un brin plutôt rigide et une résistance à l'usure suffisante.

Si la clé du succès thérapeutique à long terme est le suivi parodontal, son verrou est l'adoption par le patient des techniques d'hygiène orale spécifiques. D'un point de vue global, les brossettes interdentaires sont souvent considérées comme des outils thérapeutiques mais ce sont aussi et surtout des outils de prévention.

Liens d'intérêts :

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

Bibliographie

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