Une méthode simple de programmation des articulateurs semi-adaptables - Clinic n° 08 du 01/09/2013
 

Clinic n° 08 du 01/09/2013

 

PROTHÈSE

Philippe BOITELLE*   François-Xavier SANTOLALLA**   Pierre-Hubert DUPAS***  


*Ancien assistant, chargé de cours
Faculté de chirurgie dentaire de Lille
1 place de Verdun
59000 LILLE
**Assistant
Faculté de chirurgie dentaire de Lille
1 place de Verdun
59000 LILLE
***Professeur
Faculté de chirurgie dentaire de Lille
1 place de Verdun
59000 LILLE

Certains cas cliniques prothétiques nécessitent non seulement le montage sur articulateur mais également sa programmation. Celle-ci fait appel le plus souvent à des techniques intraorales ou extraorales sophistiquées qui rebutent le praticien en raison de leur complexité et de leur aspect chronophage. La méthode proposée ici, qui permet de simplifier la démarche, met la programmation de l’articulateur à la portée de tous.

Malgré son étude et son apprentissage dans les facultés de chirurgie dentaire, l’articulateur reste un appareillage peu employé au cabinet dentaire. Pourtant, son utilisation est nécessaire lors de l’analyse occlusale et pendant la confection de prothèses fixées ou amovibles de grande étendue. Pour ceux qui l’utilisent, la programmation réelle de ses boîtiers condyliens est abandonnée au profit d’une programmation arbitraire dont les valeurs sont immuables de cas clinique en cas clinique.

Une meilleure assimilation de la cinématique condylienne a permis de comprendre l’emploi de l’articulateur qui n’est plus l’instrument tabou des années 1980. Sa mécanique et son utilisation se sont simplifiées pour s’adapter aux difficultés quotidiennes des cabinets dentaires, sans pour autant galvauder son emploi. Il n’en reste pas moins que la programmation de ses déterminants postérieurs condyliens reste un obstacle majeur pour une utilisation adéquate dans certains cas cliniques. La mise au point d’une méthode de programmation simplifiée des boîtiers condyliens de l’articulateur semi-adaptable répond aux objectifs précédemment exposés sans pour autant inciter le chirurgien-dentiste à utiliser l’articulateur de façon non conventionnelle.

La connaissance de la mécanique condylienne et dentaire et le choix du concept occluso-prothétique, fonction du type de prothèse à réaliser, permettent de sélectionner la méthode de programmation de l’articulateur semi-adaptable qui peut être, quel que soit le type de ce dernier, soit arbitraire soit réelle [1].

L’articulateur Quick Master de la firme FAG est le plus employé en France tant dans les facultés de chirurgie dentaire que dans les cabinets dentaires et les laboratoires de prothèses. C’est donc celui qui sera pris en exemple, mais l’emploi de tout autre type d’articulateur semi-adaptable répond aux mêmes critères de programmation (fig. 1).

Programmation arbitraire de l’articulateur semi-adaptable

Il n’est pas toujours nécessaire de programmer les déterminants postérieurs de l’articulateur. En effet, quand le guidage antérieur est efficace, les valeurs arbitraires de programmation des boîtiers condyliens des articulateurs semi-adaptables suffisent. Les valeurs les plus communément retenues sont 40° de pente condylienne et 10° d’angle de Bennett.

Pour être plus proches d’une certaine réalité clinique, ces valeurs sont modulées en fonction de l’âge du patient et du relief des faces triturantes. L’état de ces dernières est d’ailleurs une bonne indication. En effet, avec l’âge ou le bruxisme, le relief des faces triturantes des arcades dentaires s’amoindrissent avec pour conséquence la diminution des profondeurs cuspidiennes [2].

La programmation arbitraire de la pente condylienne de l’articulateur varie de 40 à 50° chez le sujet jeune à 30 à 40° chez le sujet âgé et jusqu’à 20 à 30° chez le vieillard, surtout s’il est édenté. De même, en fonction de l’âge, la programmation du déplacement latéral varie de 10° pour le sujet jeune à 15° pour le sujet âgé et jusqu’à 20° chez le vieillard. Si les profondeurs cuspidiennes des dents postérieures sont réduites pour les raisons exposées précédemment, le choix se porte sur les inserts curvilignes, ils suivent la progression précédente de C1 à C3 en passant par C2 (fig. 2 à 10).

Programmation réelle de l’articulateur semi-adaptable

Un guidage antérieur déficient ou inexistant nécessite une programmation précise de l’articulateur semi-adaptable [3-7]. De nombreuses techniques de programmation ont été proposées. Elles font appel à des enregistrements intrabuccaux ou extra­buccaux [8, 9]. L’articulateur Quick Master ne peut être programmé qu’à l’aide de l’axiographe Quick-Axis (fig. 11 à 15). Quelle que soit la technique, la valeur de la pente condylienne est certes précise mais la lecture du comparateur est assez aléatoire [10-12]. Cette technique de programmation, plus ou moins sophistiquée, n’étant pratiquement pas employée par la plupart des chirurgiens-dentistes, une technique simplifiée, fondée sur le bon sens et l’observation, a été mise au point.

Principe

L’observation de près de 10 000 tracés axiographiques lors du diagnostic du dysfonctionnement cranio-mandibulaire a permis de mettre au point ce protocole de programmation des articulateurs semi-adaptables. En effet, il existe une certaine similitude entre la valeur angulaire de la pente condylienne des tracés axiographiques et celle de la pente du mur antérieur de la fosse mandibulaire des articulations temporo-mandibulaires observée sur une radiographie panoramique.

Technique

Calcul de la pente condylienne

Sur la radiographie panoramique, une droite horizontale joint les sommets des fosses mandibulaires des articulations temporo-mandibulaires droite et gauche. Une sécante tracée sur chaque articulation temporo-mandibulaire relie le sommet de la fosse temporale à la partie la plus postérieure du tubercule articulaire. L’intersection de la droite et de la sécante donne la valeur approximative de la pente condylienne (fig. 16 et 17).

Pour éviter des collisions postérieures lors des excursions mandibulaires en prothèse fixée, la valeur de la pente condylienne de l’articulateur est arrondie au chiffre inférieur. En revanche, elle est augmentée en prothèse amovible quand celle-ci répond au concept de l’occlusion balancée [13].

Calcul du déplacement latéral non travaillant

Pour calculer la valeur de l’angle de Bennett (B) en se fondant sur la valeur de la pente condylienne (PC) (encadrés 1 et 2), la formule de Hanau, très ancienne, utilisée en prothèse amovible totale et basée sur des statistiques, se présente sous la forme suivante :

Cette formule, mise en cause par Lundeen, a été réaménagée [14]. Le rapport de la valeur de la pente condylienne sur 8 n’est pas maintenu mais est remplacé par un rapport sur 10 pour faciliter le calcul. La valeur numérique ajoutée (le chiffre 12) est modulée selon le type de la prothèse et, surtout, l’âge du patient. Cette valeur est réduite, voire égale à zéro, chez le patient très jeune et progressivement augmentée de 5 à 20 en fonction de l’âge du patient.

À l’inverse de la pente condylienne, pour éviter les collisions lors des excursions mandibulaires en prothèse fixée, la valeur de l’angle de Bennett ou du déplacement latéral est augmentée sur l’articulateur. En revanche, elle est réduite en prothèse amovible quand celle-ci répond au concept de l’occlusion balancée. En effet, cette minoration favorise les contacts postérieurs lors des excursions mandibulaires.

Soit l’exemple d’un adulte jeune dont la valeur de la pente condylienne calculée sur la radiographie panoramique est de 50°. La valeur du déplacement latéral est de :

L’insert rectiligne choisi est celui de 10°, l’insert curviligne est le C1.

Chez le patient âgé dont la pente condylienne est de 40°, le calcul du déplacement latéral est :

L’insert rectiligne choisi est celui de 15°, l’insert curviligne est le C2.

Chez le vieillard, une pente condylienne est de 30°. Le calcul du déplacement latéral est :

L’insert droit choisi est celui dont la valeur numérique est de 20°. Si l’insert courbe est privilégié, il s’agit du C2, voire du C3 chez l’édenté total.

Comme on l’a dit précédemment, l’insert curviligne est préféré quand les faces triturantes des dents sont aplanies à cause de l’âge ou du bruxisme.

Un tableau récapitulatif permet de visualiser rapidement dans quelles circonstances prothétiques fixées ou amovibles l’articulateur doit être programmé arbitrairement ou réellement [15-17] (tableau 1).

Conclusion

L’articulateur est un élément indispensable dans la chaîne prothétique. En représentant le plus fidèlement possible la mécanique occlusale du patient, il est le lien essentiel entre le chirurgien-dentiste et le prothésiste. Ce dernier, n’ayant aucun contact physique avec le patient, considère l’articulateur comme le patient lui-même. Cette approche du « patient mécanique » lui permet de réaliser la prothèse le plus fidèlement possible en rapport avec les contacts et les excursions dento-dentaires donnés par la cinématique de l’articulateur.

Encore faut-il que l’articulateur soit présent au cabinet dentaire. Une étude récente diligentée par le professeur Jean Schittly montre que seuls 10 % des chirurgiens-dentistes l’utilisent. Pourtant, sa manipulation est de loin plus simple que certains instruments employés en pratique quotidienne au cabinet dentaire. Les connaissances de la cinématique mandibulaire et des concepts occluso-prothétiques permettent l’utilisation rationnelle de l’articulateur qui est programmé soit arbitrairement, soit réellement en fonction de l’importance de la prothèse à réaliser, de sa situation sur les arcades dentaires et de l’efficacité ou non du guidage antérieur. Nous espérons donc que ce travail, qui est le reflet du livre. L’Articulateur au quotidien, son utilisation simplifiée, de Pierre-Hubert Dupas, permettra de convaincre le lecteur récalcitrant d’utiliser un articulateur [18].

Bibliographie

  • [1] Dupas PH, Picart B. Comprendre l’articulateur au cabinet dentaire et au laboratoire de prothèse. Rueil-Malmaison : CdP, 2001.
  • [2] Slacicek R. Les principes de l’occlusion. Rev Orthop Dento Fac 1983;17:449-490.
  • [3] Lacroix P, Laurent M, Laplanche O. Le surplomb et le recouvrement incisif dans l’évolution du guide antérieur. Inf Dent 2000;40:3473-3478.
  • [4] Laplanche O, Pedeutour P, Laurent M, Mahler P, Orthlieb JD. Le guide antérieur et ses anomalies. Incidence sur la cinématique condylienne. Cah Prothèse 2002;117:43-55.
  • [5] Lötters FJB, Zwinjnenburg AJ, Megens CCEJ, Naeje M. The relationship between condylar and incisor point displacement during habitual maximum open close movements. J Oral Rehabil 1996;23:548-554.
  • [6] Michelein M, Damiani MG, Orthlieb JD, Simon J. Analyse statistique des interrelations fonctionnelles entre guide antérieur et déterminant postérieur. Cah Prothèse 1990;70:53-65.
  • [7] Travers KH, Buschang PH, Hayasaki H, Throckmorton GS. Associations between incisor and mandibular condylar movements during maximum mouth opening in humans. Arch Oral Biol 2000;45:267-275.
  • [8] Gross M, Nemcovsky C, Tabibian Y, Gazit E. The effect of the three recording materials on the reproductibility of condylar guidance registrations in three semi adjustable articulators. J Oral Rehabil 1998;25:204-208.
  • [9] Hailan F, Lian S. Erreurs de réglages de la pente condylienne avec les clefs interocclusales en propulsion. Cah Prothèse 1992;78:49-54.
  • [10] Joerger R, Leize M, Lopez J, Nicoulaud P. L’axiographie de S.A.M. et le Quick-Axis. Étude statistique comparative. Cah Prothèse 1992;79:49-57.
  • [11] Slacicek R. Détermination de l’angle de Bennett à partir d’un tracé sagittal. Cah Prothèse 1981;35:87-102.
  • [12] Slacicek R. L’enregistrement axiographique de la trajectoire condylienne à l’aide d’un arc facial à fixation « extra-occlusale ». Cah Prothèse 1983;41:77-86.
  • [13] Dupas PH. L’analyse occlusale. Avant, pendant, après. Rueil-Malmaison : CdP, 2004.
  • [14] Lundeen HC, Wirth CG. Condylar movements patterns engraved in plastic blocks. J Prosth Dent 1973;30:866-875.
  • [15] Begin M. Cinématique des rapports occlusaux en prothèse amovible partielle. Cah Prothèse 2000;112:37-50.
  • [16] Begin M, Hutin I. Le rapport intermaxillaire en prothèse amovible complète. Real Clin 1997;4:389-407.
  • [17] Dupas PH. L’occlusion en prothèse conjointe. Paris : CdP, 1993.
  • [18] Dupas PH. L’articulateur au quotidien. Son utilisation simplifiée. Rueil-Malmaison : CdP, 2012.

Encadré 1
PENTE CONDYLIENNE

→ La pente condylienne (PC) est définie par l’angle formé dans le plan sagittal par le plan axio-orbitaire (PAO) et la sécante joignant les points de départ (A) et d’arrivée (B) du condyle lors de son trajet de propulsion. Le point de départ (A) est la position du condyle dans sa fosse temporale en intercuspidation maximale. Le point d’arrivée (B) correspond au bout à bout incisif. La connaissance de la valeur de la pente condylienne permet la programmation de l’angulation propulsive des boîtiers condyliens des articulateurs semi-adaptables.

Encadré 2
TRAJET CONDYLIEN NON TRAVAILLANT ANGLE DE BENNETT

→ Dans le plan horizontal se construit l’angle de Bennett. Il est formé par le plan parasagittal, parallèle au plan sagittal médian, passant par le centre du condyle non travaillant et la sécante joignant le point de départ (A) de ce condyle et son point d’arrivée (B) lors du mouvement de diduction progressif. Le point de départ (A) est la position du condyle en intercuspidation maximale dans la fosse temporale. Le point d’arrivée (B) est soit le bout à bout canin controlatéral (protection canine), soit le bout à bout des cuspides travaillantes controlatérales (protection de groupe). L’angle de Bennett permet la programmation de l’angulation non travaillante du boîtier condylien de l’articulateur semi-adaptable de première génération. Cet angle de Bennett est matérialisé par un insert droit angulé préfabriqué pour la programmation des boîtiers condyliens de l’articulateur Quick Master de la firme FAG.