Positionnement sous-crestal - Implant n° 2 du 01/05/2013
 

Implant n° 2 du 01/05/2013

 

DOSSIER CLINIQUE

Alain Simonpieri  

Docteur en chirurgie-dentaire
Diplôme universitaire d’implantologie chirurgicale et
prothétique (Marseille)
Exercice privé Marseille / Beausoleil

Dans l’implantologie moderne, la gestion optimisée des volumes des tissus péri-implantaires fait partie des sujets d’actualité avec pour objectif l’établissement de plans de traitement permettant l’obtention de résultats de plus en plus esthétiques, prévisibles, reproductibles et aussi pérennes que possible.

Avec l’amélioration quotidienne de la compréhension de notre exercice, on constate une certaine convergence des discours vers un consensus de facteurs clés. Aussi, le postulat « moins de métal et plus de tissu » se profile comme le nouveau paradigme de la discipline. Celui-ci s’inscrit dans l’adoption d’une approche toujours moins invasive en faveur de la préservation de l’os crestal et de l’aménagement de conditions favorables à la réorganisation optimale de l’espace biologique péri-implantaire. Dans le prolongement de cette ligne de pensée, un autre facteur, lui très récent, concerne le positionnement sous-crestal de l’épaulement de l’implant dans la mesure où ce dernier répond à certains critères plus ou moins bien définis encore à ce jour. Ce nouveau credo semble faire actuellement son chemin dans les cabinets et les congrès. On déplore cependant un discours assez « timide » et « flou » de certains fabricants d’implants ou conférenciers quant à l’enfouissement idéal recommandé (cela en fonction des caractéristiques de chaque implant).

Dans cet article, nous nous arrêterons donc sur ce point précis et tenterons d’exposer notre approche fondée sur la littérature disponible et sur notre pratique clinique.

Le point de départ de notre réflexion est que l’os constitue l’armature incontournable qui permet le soutien des tissus mous dans le temps : tout défaut osseux se traduit inévitablement par une récession gingivale avec un réaménagement en apical de l’espace biologique. Dans ce dernier cas, la muqueuse joue certes son rôle de joint protecteur de l’os sous-jacent contre les infections mais faillit à sa fonction esthétique [1]. Aussi, une des conditions essentielles du maintien du volume osseux dans le temps est la trophicité des tissus. En situation naturelle, le ligament parodontal est une source de vascularisation importante permettant le maintien de cloisons osseuses très fines [2]. En situation implantaire, l’absence de ligament engendre une réduction importante des apports qui impose un nouveau regard sur la gestion des volumes osseux résiduels en périphérie du métal et, plus particulièrement, au niveau crestal. L’implant métallique coupant le pont de vascularisation, il va falloir repenser, pour ne pas dire « déjouer », la nature sur le plan parodontal au niveau des dents implanto-portées.

Ce raisonnement est également valable sur le plan muqueux. Nosawa et al. [3] a montré que l’épaisseur verticale de la muqueuse péri-implantaire était étroitement corrélée à son épaisseur sur le plan horizontal. Pour permettre à l’espace biologique de s’exprimer verticalement, il faut qu’il puisse s’exprimer horizontalement dans un rapport de 1,00/1,56. Comme pour l’os, si les cloisons sont trop fines, la muqueuse s’affaissera en apical.

Le point que nous voulons souligner ici est que volume osseux et volume muqueux résiduels sont indissociables dans le plan de traitement que nous allons envisager, sachant que plus nous optimiserons l’un et l’autre, plus nous favoriserons la vascularisation et, ainsi, l’espoir raisonnable d’avoir une fiabilité esthétique et fonctionnelle à long terme des restaurations sur implants. Or, cette double optimisation se joue précisément au niveau crestal de l’implant et touche de manière frontale la gestion de l’enfouissement de l’implant et son design (Fig. 1).

Rappelons quelques règles protocolaires de base qui, au-delà de toute notion conceptuelle, sont des éléments favorables à la préservation des tissus osseux et muqueux que nous nous astreignons à respecter le plus souvent possible :

– il est essentiel de veiller à ne pas échauffer l’os au moment de l’ostéotomie ;

– le positionnement palatin d’un implant [4] au maxillaire, ou lingual à la mandibule, permet de respecter la loi de Spray [5], à savoir un minimum d’espace vestibulaire de 2 à 4 mm entre l’implant et la paroi osseuse, et par conséquent de préserver l’os de toute déhiscence inesthétique ;

– conformément à ce qu’a montré Abrahamsson et al. [6], minimiser autant que possible les manipulations prothétiques en plaçant directement le composant prothétique en bouche (si c’est possible) et réaliser la prise d’empreinte à partir de celui-ci favorise la préservation des tissus. Pour ce faire, il est essentiel d’avoir une approche prothético-guidée irréprochable et systématique ;

– par ailleurs, si l’on passe par l’utilisation d’une vis de cicatrisation, il faut veiller à l’homothétie des composants prothétiques de façon à n’exercer aucune tension sur les tissus mous au moment de la mise en place définitive du faux moignon ;

– enfin, si vis de cicatrisation il y a, il est recommandé d’en utiliser systématiquement des neuves, Vezeau [7] ayant clairement montré les limites de l’autoclave en termes de stérilisation.

Concentrons-nous alors sur le protocole de pose qui consiste à enfouir l’implant de telle façon que l’épaulement se retrouve au minimum à 2 mm en sous-crestal par rapport au rebord osseux le plus bas, soit le bord vestibulaire dans la plupart des cas [3, 5, 8, 9]. Ce positionnement présente de multiples bénéfices sur le plan parodontal. Il permet tout d’abord de décharger l’os cortical peu vascularisé de toute contrainte puis à la cloison osseuse de venir sertir l’implant en « rebondissant » sur l’épaulement de l’implant. L’implant se retrouve donc enveloppé, ce qui permet finalement d’accroître de façon significative la table osseuse crestale (Fig. 2).

Cet accroissement prend du sens non seulement sur le plan vestibulaire mais également au niveau inter­implant car il va libérer un terrain d’expression ­favorable pour la formation de véritables dômes muqueux et de papilles [8, 10]. Par ailleurs, on peut raisonnablement imaginer que le capital osseux supra-implantaire ainsi obtenu constitue un support d’ancrage pour le tissu conjonctif qui s’épaissit dans le sens transversal et créé un joint muqueux consolidé (Fig. 3).

L’étude de Barros [11] montre que dans le cadre du placement de plusieurs implants à connexion conique et piliers étroits, l’os crestal est d’autant plus préservé que ceux-ci sont placés à au moins 1,5 mm en sous-crestal. Une des explications peut être fournie par de nombreuses études qui montrent, elles, que moins l’os crestal est sollicité, plus on obtient un maintien du niveau osseux. Les pics de stress sur l’os cortical résultent des charges verticales et axiales provoquant ainsi une résorption osseuse plus importante que celle qui se produit naturellement.

Pour pouvoir réaliser ce type de positionnement dans de bonnes conditions, il faut que le système implantaire réponde à un certain nombre de critères. Parmi les plus importants nous retiendrons :

– une connexion conique [4, 8-19] qui non seulement optimise l’étanchéité de l’interface et la stabilité des composants mais également permet une répartition des forces le long de l’implant. Cette condition est primordiale pour pouvoir descendre le point d’émergence prothétique en situation infracrestale sans violer l’environnement parodontal (Fig. 4) ;

– une connexion suffisamment étroite pour décaler la contrainte de l’os crestal péri-implantaire vers l’intérieur et pour libérer plus d’espace en périphérie de l’implant afin que les tissus puissent s’exprimer [13-16] (Fig. 5 et 6) ;

– un épaulement clairement chanfreiné et rugueux afin de s’adapter à la forme plus ou moins en ogive des crêtes osseuses une fois en sous-crestal et faciliter le rebond osseux précisément là où le volume en épaisseur est recherché (Fig. 7) ;

– des composants en alliage de titane. La réduction des volumes de métal au profit des tissus crée une contrainte sur le plan mécanique. Il est important que l’interface prothétique ne subisse aucune déformation dans le temps si l’on souhaite que l’étanchéité prothétique ainsi que la résistance mécanique de la restauration soient préservées ;

– des composants prothétiques au profil concave [17]. Ce type de profil favorise le nombre d’hémi-desmosomes par augmentation de la surface, créant un joint torique muqueux volumineux et, ainsi, la formation d’un joint mieux vascularisé (Fig. 8) ;

– des implants courts à haute stabilité primaire. Effectivement, le positionnement original recommandé ici va favoriser l’utilisation d’implants plus courts que d’ordinaire. Il faut donc veiller à ce que la gamme propose un implant de 6 mm de longueur avec un ­design suffisamment rétenteur ;

– des implants légèrement cylindro-coniques qui donnent un peu plus de flexibilité et de tolérance au placement final lors du vissage que les implants véritablement coniques dont le placement final est très étroitement lié à la préparation au moment du forage ;

– une gamme prothétique logique. Les hauteurs parodontales proposées par la gamme doivent être en harmonie avec le positionnement vertical recommandé de l’implant. Il convient de veiller à ce que les composants soient tous en harmonie, en diamètre et angulation, avec les hauteurs parodontales que nous sommes à même de rencontrer en implantologie (soit un espace biologique situé généralement entre 2,5 et 4,0 mm selon la littérature scientifique).

PRÉSENTATION DU CAS

La patiente est une femme âgée de 46 ans, qui s’est présentée à la consultation pour les motifs suivants : inconfort à la mastication en relation avec la mobilité des dents, qui sont par ailleurs jugées trop longues, ainsi que des trous noirs entre chacune d’elle créant un problème esthétique manifeste (Fig. 9 et 10). À l’examen de la radiographie, nous observons une parodontopathie terminale bimaxillaire (Fig. 11). La solution proposée est l’extraction des dents et la réalisation d’une mise en charge immédiate maxillaire et mandibulaire en un seul temps chirurgical.

La patiente est en bonne santé, ne fume pas et ne suit aucun traitement médical.

PLAN DE TRAITEMENT [5, 20]

Après extraction des dents, incision et lambeau d’épaisseur totale, 10 implants In-Kone® Universal SA2 (Global D, Brignais, France) sont posés au maxillaire et 6 implants In-Kone® Universal SA2 à la mandibule. Le but recherché est naturellement l’obtention d’une prothèse esthétique et fonctionnelle en une seule intervention.

Comme le recommande Hruska [20], la prothèse provisoire devra être transvissée, rigide et fixe afin d’éviter les micromouvements à l’interface os/implants qui ne devront pas excéder 200 µm pour assurer l’ostéo-intégration des implants.

La prothèse transvissée implique un positionnement palatin (maxillaire) et lingual (mandibule) des implants.

Comme nous l’avons vu précédemment, ces implants devront être enfouis à 2 mm en sous-crestal.

Pour l’obtention de collets harmonieux, il est nécessaire d’enfouir les implants à la même profondeur. La nécessité d’être en palatin (prothèse transvissée) se fera par le biais du repère anatomique qu’est le trou palatin antérieur. Celui-ci, matérialisé par un guide fixe (Fig. 12 et 14), permettra à la fois de positionner les implants de façon parfaitement parallèle et de se situer systématiquement dans le couloir prothétique. Les piliers coniques définitifs, de 3 mm de hauteur sont alors mis en place.

Ensuite, la prise d’empreinte à ciel ouvert avec des transferts pick-up a lieu (Fig. 13 et 15), puis on procède au comblement des espaces implant/alvéole avec greffe d’apposition vestibulaire, pour respecter la loi de Spray [5], avec de l’os allogénique associé à des membranes PRF et du métronidazole. Les membranes PRF de nouvelle génération (PRF® Box, ­Process) permettront le maintien et la stabilisation de la greffe.

Une prothèse provisoire transvissée maxillaire et mandibulaire avec une armature fixe et rigide est réalisée (Fig. 16 et 17). Elle est posée 4 jours après la chirurgie (Fig. 18). La patiente a des vis de cicatrisation pour piliers coniques pendant 4 jours et suit les instructions strictes sur son alimentation lors de cette phase transitoire.

Six mois après l’intervention chirurgicale, on peut noter la cicatrisation des tissus mous guidés par la prothèse transitoire (Fig. 19). Après avoir retiré cette dernière (Fig. 20 et 21), on observe la forme des papilles, la symétrie des collets, le volume de la gencive kératinisée et la santé des tissus péri-implantaires. Les Figures 22 à 25 représentent les modèles en plâtre et les armatures transvissées de la prothèse d’usage des maxillaires.

Un contrôle radiographique est effectué au bout de 4 ans (Fig. 26). On remarque la validation de l’ostéo-intégration et, surtout, la croissance osseuse stable sur les épaulements des implants qui a formé des dômes, de telle sorte que les tissus mous permettent la formation et le maintien dans le temps des papilles.

Cette croissance osseuse peut être particulièrement bien vérifiée grâce au contrôle par NewTom® scan au bout de 4 ans (Fig. 27). La restauration fonctionnelle et esthétique est pérenne avec un parfait soutien des lèvres et un sourire harmonieux (Fig. 28 à 32). Le cahier des charges a été rempli.

CONCLUSION

Pour la stabilité à long terme de la restauration, la préservation de l’os crestal et le maintien du volume tissulaire sont essentiels. Le positionnement sous-crestal est rendu possible grâce à une connexion conique étroite et profonde avec un implant dont l’épaulement est rugueux et chanfreiné. L’os croît de telle sorte qu’il vient sertir l’épaulement de l’implant. Associé à l’utilisation de piliers de forme concave, ce positionnement sous-crestal de 2 mm intensifie et consolide le volume des tissus péri-implantaires qui, en formant des dômes muqueux, favorisent un résultat esthétique pérenne par la formation des papilles.

Nous retiendrons de cet article la corrélation forte qui existe entre un produit et son mode d’utilisation. Il est important d’en avoir une information claire et une parfaite connaissance au moment de son utilisation. Cela nous amène naturellement à une certaine mise en garde par rapport aux consensus établis au fur et à mesure que la pratique progresse. Ceux-ci doivent être mis en perspective avec le produit utilisé.

ADRESSE DES DISTRIBUTEURS

→ In-Kone – GLOBAL D – accueil@globald.com – ZI de Sacuny – BP 82 – 118, avenue Marcel Mérieux – 69530 BRIGNAIS – www.tekka.com

→ PRF – PRF PROCESS – 49, rue Gioffredo – 06000 NICE – http://www.processforprf.com/

Les figures 1 à 8 sont reproduites avec l’aimable autorisation de © Tekka.

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