Enregistrement occlusal peropératoire en prothèse implanto-portée immédiate chez l’édenté complet maxillaire - Implant n° 4 du 01/11/2013
 

Implant n° 4 du 01/11/2013

 

DOSSIER CLINIQUE

Jacques Bessade  

Docteur en chirurgie dentaire
Diplôme universitaire d’implantologie chirurgicale et prothétique (Paris 7)
Diplôme universitaire d’implantologie basale (Nice Sophia-Antipolis)
Diplôme universitaire d’expertise bucco-dentaire et maxillo-faciale (Montpellier)
Diplôme universitaire d’urgence médicale en cabinet dentaire (Lyon)
Expert in oral implantology (AFI-DGOI)
Expert près la cour d’appel de Paris
71, boulevard Gouvion-Saint-Cyr, 75017 Paris

Dans le cadre du traitement implantaire de l’édenté maxillaire total, le recours à la mise en charge immédiate est de plus en plus fréquent. Le protocole thérapeutique passe donc par la mise en place d’un bridge transvissé provisoire. La composante occlusale doit être rigoureusement contrôlée afin d’éviter toute sollicitation implantaire excessive ou inadéquate. Il est donc primordial d’organiser par avance l’enregistrement des rapports intermaxillaires, qui se fera lors de la séance opératoire. À travers 5 cas cliniques, nous détaillerons la réalisation de cet enregistrement via 5 protocoles spécifiques à chaque cas et montrerons à quel point chirurgie et prothèse implantaire sont étroitement liées dans le cadre de ces restaurations.

Le traitement implantaire de l’édenté total maxillaire a fait l’objet, ces dernières années, de nombreuses publications. Bien des protocoles ont été étudiés afin d’assurer aux patients des résultats reproductibles et optimaux. Parmi ceux-ci, la mise en charge immédiate des implants permet de mettre en place une prothèse fixée sur des implants fraîchement posés et de satisfaire ainsi les attentes des patients concernant le confort, la mastication et l’esthétique.

Depuis la fin des années 1990, de nombreuses publications illustrent l’engouement pour ces protocoles. La survie d’un implant passe, entre autres critères, par l’obtention d’un ancrage osseux primaire suffisant et par l’absence de micromouvements délétères [1]. Il existe un seuil de tolérance à ces micromouvements [2]. Celui-ci est franchi lorsqu’un implant enfoui subit des forces transmises par une prothèse complète, au travers de la fibromuqueuse. Dans ces conditions, les taux de survie implantaire diminuent [2]. À l’inverse, la solidarisation précoce et rigide de l’ensemble des implants entre eux améliore singulièrement les résultats.

C’est en constatant ces améliorations que la mise en charge immédiate s’est développée depuis plus de 20 ans. Par immédiate, nous entendons dans un délai de 3 jours maximum après la pose des implants.

Plusieurs méta-analyses ont étudié ce sujet afin de préciser ces taux de survie et les critères qui les conditionnent [3, 4]. Le taux de survie implantaire moyen en mise en charge immédiate au maxillaire est de 97 %. Le nombre moyen d’implants posés par arcade est de 8 [5]. Les implants sont majoritairement à surface rugueuse. Les résultats sont comparables suivant que les implants sont posés en zone édentée ou dans des alvéoles d’extraction [6, 7]. La stabilité primaire de chaque implant doit être obtenue, ce qui est particulièrement difficile dans l’os maxillaire dont la densité est souvent peu élevée, En particulier dans les régions des molaires. La solidarisation rapide des implants au moyen d’une prothèse dont la rigidité est augmentée par la présence d’un renfort métallique s’impose, afin de mettre les implants à l’abri des micromouvements dont l’impact peut se révéler négatif pour l’ancrage implantaire.

POURQUOI CETTE PROTHÈSE IMMÉDIATE DOIT-ELLE ÊTRE TEMPORAIRE [5] ?

Réaliser d’emblée une prothèse fixe peut comporter des inconvénients majeurs. Les remaniements osseux avérés dans les mois qui suivent l’étape chirurgicale entraînent un déplacement des niveaux muqueux en direction apicale. Il s’ensuit des rétentions alimentaires accrues et, fréquemment, un sifflement lors de la phonation qui devient rapidement intolérable pour les patients.

Cette prothèse accompagne l’ostéo-intégration des implants et sera donc ensuite remplacée par la ­prothèse fixe d’usage, une fois obtenue la stabilité des tissus.

De plus, il n’est pas toujours possible de disposer d’emblée d’appuis postérieurs définitifs. Des comblements osseux, notamment sinusiens, peuvent être nécessaires avant de placer les derniers implants postérieurs. Ainsi, le bridge provisoire permet simultanément de restaurer immédiatement aspect extérieur et fonction et de terminer le programme thérapeutique.

Par ailleurs, il est préférable d’éviter toute extension distale sur une prothèse provisoire, lorsqu’elle existe. Elle sera réalisée avec plus de sécurité une fois que les implants seront ostéo-intégrés. Elle sera donc montée en résine rose et dents du commerce.

POURQUOI EST-IL PRÉFÉRABLE QUE CETTE PROTHÈSE SOIT TRANSVISSÉE ?

Il est souhaitable et plus simple que la prothèse immédiate soit transvissée plutôt que scellée. Le plus souvent, elle sera transvissée sur des piliers coniques eux-mêmes transvissés dans les implants. Le vissage permet d’éliminer tout risque lié à la présence de ciment qui risquerait de fuser le long des implants.

De plus, les angulations des implants maxillaires étant d’autant plus divergentes que la résorption osseuse est avancée, une armature transvissée simplifie la mise en place de la prothèse. Cependant, il faut veiller à respecter un axe implantaire qui épargne les faces vestibulaires des futures dents. L’émergence des puits d’accès aux vis ne peut être qu’occlusale ou cingulaire. En cas de forte inclinaison des remparts osseux très résorbés, il faudra éviter d’implanter les sites incisifs car, sinon, l’inclinaison presque horizontale des implants nuirait à l’obtention d’un résultat esthétique. L’emploi de guides chirurgicaux élaborés grâce au montage esthétique initial est seul garant d’un positionnement implantaire optimal.

Une prothèse immédiate transvissée permet en outre, en cas de réintervention d’urgence sur un implant, d’épargner aux autres implants de subir les forces nécessaires à un descellement. Il en sera de même en cas d’intervention ultérieure comme un comblement sinusien.

QUAND PRIVILÉGIER LA PROTHÈSE IMMÉDIATE SCELLÉE ?

Dans les cas les plus rares pour lesquels la résorption osseuse est très limitée, il faut privilégier la prothèse immédiate scellée. Pour ces patients, souvent jeunes et ayant conservé un volume osseux généreux, les axes implantaires sont proches de l’idéal. Il sera alors possible de mettre en place une fois pour toutes les piliers usinés destinés au scellement d’un bridge complet maxillaire. Ce groupe inclut également les patients dont le parodonte est fin et festonné, avec peu de résorption alvéolaire. Ici encore, la mise en condition des zones muqueuses pontics de bridge sera plus efficacement gérée en prothèse scellée.

QUELS SONT LES PATIENTS CONCERNÉS ?

Ce protocole est destiné à la restauration des maxillaires édentés ou sur le point de le devenir. Les patients édentés sont le plus souvent porteurs d’une prothèse d’usage. Les autres patients présentent des situations cliniques telles que l’édentement total est devenu inévitable à court terme. Ces patients dentés sont alors en phase terminale de la maladie parodontale ou présentent un édentement partiel subtotal dont la pérennité ne peut plus être assurée.

QUAND ÉVITER LA MISE EN CHARGE IMMÉDIATE CHEZ L’ÉDENTÉ COMPLET ?

Il ne faudra pas procéder à la mise en charge immédiate chaque fois que la coopération du patient semblera douteuse vis-à-vis des efforts attendus en matière de mastication : il doit éviter de croquer des aliments de consistance dure pendant les deux premiers mois. C’est l’une des conditions essentielles du succès de la mise en charge immédiate.

De nombreux articles décrivent les étapes de la mise en place des implants et des piliers, précédant celle de l’empreinte à ciel ouvert, mais peu ou pas d’indications concernent les composantes occlusales.

Cet article va s’attacher à détailler les différentes méthodes d’enregistrement de l’occlusion destinées à la réalisation d’une prothèse maxillaire complète, immédiate et transvissée sur implants.

OBJECTIFS

Il est en effet essentiel de fournir au laboratoire, aux côtés de l’empreinte, un enregistrement des rapports d’occlusion entre maxillaire et mandibule permettant une construction prothétique certes provisoire mais cependant fonctionnelle, esthétique et rapidement exécutée. Dans le cadre exigeant de la mise en charge immédiate, le facteur temps est important. Le temps passé entre la pose des implants et leur solidarisation doit être aussi court que possible. Le patient n’est pas appareillé et ne peut avaler qu’une alimentation liquide ou très molle et voit sa vie sociale limitée. Il n’est donc pas possible de procéder à des essais de maquette. Tout le matériel et toutes les étapes devront être préparés avant la mise en charge. Le laboratoire doit être entraîné à cet exercice « sans filet ».

SITUATIONS CLINIQUES

Face à la mandibule, soit le maxillaire est appareillé en prothèse amovible partielle ou totale, soit il est denté. S’il est édenté et que le patient n’est pas appareillé ou que les critères de la prothèse d’usage ne sont pas remplis (dimension verticale insuffisante, usure avancée des dents, occlusion instable), il faut réaliser préalablement des maquettes permettant de visualiser le montage futur et de tester l’occlusion rétablie. En l’absence d’occlusion de référence, seule l’occlusion en relation centrée sera recherchée. En revanche, si les prothèses d’usage sont conformes et que l’occlusion est validée, l’occlusion de convenance sera enregistrée.

L’enregistrement des rapports intermaxillaires impose souvent la préparation d’une base d’occlusion. Celle-ci peut être conçue à partir de la prothèse partielle d’usage ou d’un duplicata de la prothèse complète. Elle peut également être stabilisée sur des dents résiduelles occupant des sites non implantables et qui seront extraites en toute fin de séance après la pose des implants. Enfin, elle peut aussi être fixée sur une série d’implants préexistants.

En somme, pour chaque cas, une réflexion préalable s’impose afin d’organiser la stratégie thérapeutique et de préparer les dispositifs qui permettront de joindre à l’empreinte de situation des implants l’enregistrement des rapports intermaxillaires.

Au travers de 5 cas cliniques, la réalisation de cet enregistrement via 5 protocoles spécifiques à chaque cas va être détaillée.

Mais auparavant, les étapes initiales communes à tous les cas sont précisées.

PRÉREQUIS CLINIQUE

Il est nécessaire de préparer des modèles d’étude maxillaire et mandibulaire puis de les monter sur articulateur semi-adaptable. Le recours à l’arc facial s’impose (Fig. 1 et 2). À l’issue de l’analyse des rapports entre les deux arcades, l’occlusion du patient est validée ou corrigée. Une fois la dimension verticale validée, la base d’enregistrement de l’occlusion peut être préparée.

Chez certains patients, la prothèse d’usage ne peut servir de référence. Il faut donc préparer un montage directeur sur le modèle issu d’une empreinte fonctionnelle, réalisée à l’aide d’un porte-empreinte individuel, comme on le fait classiquement en prothèse adjointe complète (Fig. 3 à 5).

Si les rapports d’occlusion existant chez un patient denté sont corrects, un duplicata de l’arcade maxillaire sera préparé, en rapport avec l’arcade mandibulaire. Il permettra l’enregistrement des rapports intermaxillaires et facilitera le montage du modèle issu de l’empreinte des piliers en fin de séance chirurgicale (Fig. 6 à 10).

Ainsi, l’arc facial ne sera pas nécessaire en fin de chirurgie, ce qui simplifiera grandement la procédure d’une séance déjà dense.

CAS CLINIQUES

CAS N° 1

Ce patient de 55 ans présente une parodontite très avancée et prise en charge depuis des années. Devenue très inconfortable, cette situation l’amène à rechercher une solution prothétique fixe plus agréable. Après analyse tomodensitométrique et prothétique, un protocole d’extractions-implantations globales lui est proposé [6]. Six implants supporteront un bridge provisoire immédiat de 12 dents. Une cale en silicone par addition, de consistance hard, enregistre les rapports intermaxillaires en début de séance. Les dents sont extraites à l’exception de la 28 et les implants sont posés avec leurs piliers. La cale rigide est rebasée à l’aide de silicone light. Elle est stabilisée en 28 et par ses appuis palatins et tubérositaires. Quarante-huit heures après, le bridge est vissé. L’adaptation est vérifiée radiologiquement. L’occlusion, la dimension verticale et la phonation sont contrôlées. Les puits d’accès aux vis sont obturés à l’aide de coton et de Cavit®, voire de composite s’ils sont visibles (Fig. 11 à 17).

CAS N° 2

Chez ce patient de 64 ans, une implantation totale est décidée compte tenu du peu de dents exploitables et du désir du patient d’en finir avec la prothèse amovible. Deux augmentations osseuses sous-sinusiennes préalables sont réalisées. Les implants postérieurs sont mis en place alors que le patient est toujours appareillé en prothèse amovible partielle. Le jour de l’intervention, cette prothèse d’usage va servir de base à l’enregistrement des rapports intermaxillaires, les piliers coniques étant mis en place en même temps que les implants postérieurs. Elle sera stabilisée sur les dents mandibulaires en occlusion de convenance dans un premier temps. Puis, après extractions et pose des implants antérieurs, elle sera rebasée en regard des deux nouveaux piliers (Fig. 18 à 25).

CAS N° 3

Ce patient de 66 ans est porteur d’une prothèse adjointe complète au maxillaire et d’une prothèse à châssis métallique à la mandibule. Les rapports d’occlusion sont contrôlés et il est décidé qu’ils peuvent servir de référence pour une restauration totale maxillaire sur implants. Un duplicata de la prothèse maxillaire d’usage est réalisé à l’aide d’une feuille thermoformée rigide. Il est validé en bouche dans un premier temps, puis l’engrènement des dents mandibulaires en occlusion de convenance y est ajouté. Une fois les implants et les piliers coniques posés, cette clé de positionnement est mise en place sur les dents mandibulaires et son intrados est alors rebasé sur les piliers coniques, tandis que le patient est guidé en occlusion habituelle. Le traitement implantaire mandibulaire est réalisé dans un second temps (Fig. 26 à 31).

CAS N° 4

Ce patient de 48 ans est édenté et demandeur d’une prothèse fixe implanto-portée. Les volumes osseux et l’analyse tomographique autorisent une implantation transmuqueuse à l’aide d’un guide chirurgical stéréolithographique. La prothèse d’usage va directement servir à l’enregistrement des rapports intermaxillaires en occlusion de convenance, préalablement contrôlée et validée (Fig. 32 à 38).

CAS N° 5

Ce patient de 71 ans souhaite une reconstruction fixe implanto-portée. Deux comblements de sinus avec implantations simultanées sont réalisés au préalable afin de pouvoir poursuivre le traitement. Huit mois plus tard, ces 4 implants postérieurs sont mis en fonction et il en est pris une empreinte. Une plaque rigide transvissée sur ces implants est réalisée. Elle permettra d’enregistrer les rapports intermaxillaires une fois que les 4 implants restants seront posés. Le jour de l’intervention, les dents résiduelles sont extraites et les implants antérieurs posés. La plaque est solidarisée aux implants postérieurs puis rebasée sur les nouveaux implants. L’enregistrement de la relation centrée est réalisé (Fig. 39 à 45).

CONCLUSION

L’objectif final de cette thérapeutique est de permettre aux patients de reprendre au plus vite une vie normale en rétablissant l’arcade maxillaire dans son apparence et sa fonction. Cette restauration temporaire n’a pas vocation à être parfaite en tous points. Certaines imperfections, notamment occlusales, peuvent faire l’objet de réglages immédiats. La teinte des dents doit faciliter l’intégration de ces prothèses immédiates.

En définitive, il s’agit, comme en prothèse adjointe complète, de réaliser une mise en condition implanto-musculo-articulaire à l’aide de ces prothèses immédiates. La prothèse définitive s’inspirera des nombreux paramètres déjà intégrés grâce au port de cette prothèse provisoire.

Dans les circonstances qui viennent d’être décrites, la chirurgie et la prothèse sont intimement liées, et sans doute plus que dans les autres compartiments de la thérapeutique implantaire, la seconde étant totalement conditionnée par la première.

Dans un second article, sera décrite la façon de transférer toutes ces informations (rapports intermaxillaires et dimension verticale d’occlusion) du bridge provisoire au stade de réalisation du bridge définitif. À nouveau l’arc facial s’imposera. La prothèse immédiate permettra au praticien de préparer la prothèse définitive sans nouvel enregistrement des rapports intermaxillaires.

BIBLIOGRAPHIE

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