Apport des imprimantes 3D personnelles en chirurgie pré-implantaire - Implant n° 2 du 01/05/2015
 

Implant n° 2 du 01/05/2015

 

CHIRURGIE

Pierre Michelon*   François Locqueville**   Andrzej Adamowski***  


*Docteur en chirurgie dentaire
Docteur en sciences odontologiques
Ancien assistant des Hôpitaux de Marseille
Ancien assistant des Universités
27, place Albert-1er
83000 Toulon
**149, allée du Cyre
73190 Saint-Baldoph
***20, avenue des Hirondelles
83400 Hyères

Résumé

La chirurgie pré-implantaire a pour objectif de recréer des conditions optimales pour la mise en place d’implants dentaires. Une imprimante personnelle tridimensionnelle permet d’imprimer rapidement et à moindres frais une maquette exacte des bases osseuses à partir des données obtenues avec un scanner ou un cone beam. Ces données sont traitées par un logiciel de dessin assisté par ordinateur qui va produire un dessin en trois dimensions ; celui-ci doit être exporté sous le format STL pour pouvoir être exploité par le logiciel de fabrication assistée par ordinateur qui va diriger l’imprimante. Le matériau d’impression de choix est l’acide polylactique avec des couches d’une épaisseur de 200 µm. Les résultats sont meilleurs pour la mandibule que pour le maxillaire en raison de la corticalisation cicatricielle. Le fait de pouvoir ajuster le greffon en préopératoire facilite la technique chirurgicale dite de tunnélisation.

Summary

Personal 3D printers contribution to preimplant surgery

The pre-implant surgery aims to recreate optimal conditions for the placement of dental implants. A three-dimensional home printer can print quickly and lower costly an exact model of the osseous bases from data obtained with a scanner or a cone beam. These data are processed by a drawing software computer which will produce a three-dimensional drawing; it must be exported as STL to be operated by computer-aided manufacturing software that will direct the printer. The choice of printing material is polylactic acid with 200 µm layers. Better results are obtained for the mandible to the upper jaw due to scar corticalization. The ability to adjust the graft preoperatively facilitates surgical technique called tunneling.

Key words

3D printer, cone beam, bone graft, preimplant surgery

L’implantologie dentaire est devenue, à la suite des travaux de Brånemark, en une trentaine d’années, une discipline à part entière de notre exercice et ses indications se sont étendues au fur et à mesure des progrès de la chirurgie pré-implantaire.

Celle-ci a pour but de préparer le site opératoire et de reconstituer un volume osseux suffisant pour obtenir des résultats esthétiques et fonctionnels satisfaisants à long terme.

La perte de tissu osseux a plusieurs causes :

– pathologiques (maladies parodontales, kystes, néoplasme…) ;

– chirurgicales (avulsion de canine incluse, résection apicale, exérèse chirurgicale…) ;

– congénitales (micrognathie, oligodontie, fentes…) ;

– physiologiques (résorption consécutive aux pertes dentaires, pneumatisation du sinus maxillaire…).

Les moyens de reconstruction peuvent être classés en deux catégories principales : les greffes et la régénération osseuse guidée.

Dans tous les cas, une connaissance précise du volume à reconstituer et du site receveur est indispensable.

Par ailleurs, l’imagerie tridimensionnelle a fait d’énormes progrès ces dernières années et s’est fortement démocratisée et vulgarisée avec l’apparition de la technique dite du cone beam.

Les industriels ont mis à notre disposition des machines de plus en plus perfectionnées et abordables ; il est maintenant possible de réaliser des examens de qualité rapidement tout en utilisant de faibles doses de radiation.

La possibilité de disposer en préopératoire et peropératoire d’une réplique physique tridimensionnelle exacte du site opératoire est d’une grande utilité car cela permet de :

– visualiser le volume à reconstituer ;

– mettre en évidence les obstacles anatomiques tels que le trou mentonnier ;

– planifier avec plus de précision l’intervention chirurgicale ;

– ajuster le greffon ou façonner la membrane avant l’intervention ;

– réduire la durée opératoire et diminuer l’exposition osseuse.

ACQUISITION DES DONNÉES ANATOMIQUES

Le scanographe conçu par Hounsfield [1] en 1972 est à l’origine de la tomodensitométrie (CT-scan).

Actuellement, la technique de choix est, pour notre exercice, le cone beam ou CBTC (cone beam computerized tomography). C’est une technique d’acquisition d’images médicales fondée sur un faisceau ouvert, et donc de forme conique, de rayons X centré sur un capteur bidimensionnel.

L’ensemble source-capteur effectue une seule rotation autour de la structure à étudier, produisant une série d’images bidimensionnelles.

Le cone beam se différencie ainsi du scanner qui émet un faisceau très fin vers plusieurs capteurs et qui doit effectuer plusieurs balayages pour réaliser toutes les coupes nécessaires à un examen. Ces images sont ensuite reconstituées en données tridimensionnelles en utilisant une modification de l’algorithme d’origine développé par Feldkamp en 1984[2].

Les cone beams spécifiques à l’étude des régions orales et maxillo-faciales ont été mis au point initialement à la fin des années 1990 de façon indépendante par Arai[3] au Japon et Mozzo[4] en Italie. Depuis, une évolution rapide des premiers prototypes vers des machines spécialisées de plus en plus rapides et précises a été rendue possible par de nouvelles techniques au niveau des capteurs et par une puissance de calcul accrue des ordinateurs personnels.

IMPRESSION TRIDIMENSIONNELLE

L’impression tridimensionnelle ou, plus généralement, la fabrication additive est définie par l’ASTM International (American Society for Testing and Materials) comme étant le procédé de mise en forme d’une pièce par ajout de matière, par empilement de couches successives, en opposition à la mise en forme par enlèvement de matière comme cela se pratique lors de l’usinage.

Elle permet de produire un objet réel à partir d’un fichier informatique créé par un processus de conception assistée par ordinateur ou par acquisition numérique d’un objet existant que l’on veut reproduire.

Schématiquement, le principe est relativement simple : il s’agit de la superposition de couches de matériau un peu comme une imprimante à jet d’encre dont les buses s’éloigneraient progressivement du papier.

Il existe plusieurs techniques, les plus utilisées étant :

– la stéréolithographie, ou SLA. Elle fait appel à la solidification de couches successives de plastique liquide par une lumière ultraviolette ;

– le modelage par dépôt de matière, ou FDM (fusion deposing model). Un matériau thermoplastique est apposé par une buse chauffante couche par couche ;

– le frittage sélectif par un laser. C’est l’agglomération de couches successives de poudre par un faisceau laser.

Seules les deux premières présentent un intérêt pour nous.

La stéréolithographie est la plus précise des deux avec des couches pouvant atteindre 30 µm, ce qui permet un bon état de surface. La résine utilisée est généralement un mélange de monomères acrylate ou époxy et d’un photo-initiateur. Mais le prix des consommables et le temps de conservation du bain de résine fluide réservent cette technique à une utilisation industrielle. C’est celle qu’emploient, entre autres, Materialise et Nobel Biocare pour la confection des guides chirurgicaux.

Le modelage par dépôt de matière est utilisé par la majorité des imprimantes personnelles. Leur prix d’achat moindre ainsi que le faible coût et la durabilité des consommables les rendent accessibles au grand public. L’épaisseur des couches, suivant le degré de finition désiré, est comprise entre 200 et 70 µm ; elle n’influe pas sur la précision mais sur la définition.

Les matériaux utilisables sont l’acide polylactique (PLA) et l’acrylonitrile butadiène styrène (ABS).

Le PLA est obtenu à partir d’amidon de maïs par fermentation sous l’effet de bactéries synthétisant l’acide lactique. Dans un second temps, l’acide lactique est polymérisé par un nouveau procédé de fermentation pour devenir de l’acide polylactique. Sa température de fonte est de 160 °C et celle de travail de 180 °C. Il est biodégradable et utilisé pour l’emballage alimentaire.

L’ABS est un matériau biphasé fabriqué en mélangeant un copolymère styrène-acrylonitrile avec un matériau élastomère à base de polybutadiène. Ses propriétés mécaniques sont supérieures que celle du PLA mais sa fusion demande une température plus élevée et peut entraîner des émanations toxiques. Sa température de fonte est de 180 °C et celle de travail de 230 °C. C’est le matériau employé pour la fabrication des briques de Lego® par exemple.

TRANSFERT DES DONNÉES COLLECTÉES VERS L’IMPRIMANTE

Les images bidimensionnelles acquises par un cone beam ou un scanner sont sauvegardées sous un format spécifique dénommé DICOM (digital imaging and communications in medecine). Celui-ci a été créé en 1985 par l’American College of Radiology (ACR) et la National Electric Manufacturers Association (NEMA) dans le but de standardiser les données transmises entre les différents appareils de radiologie. Ce standard définit un format de fichier mais aussi un protocole de transmission des données basé sur TCP/IP.

À partir de ces données, un logiciel de dessin assisté par ordinateur (CAO, conception assistée par ordinateur) va élaborer un modèle tridimensionnel des bases osseuses fondé sur les différences de radio-densité.

Il convient de noter qu’en plus des artefacts dus aux structures métalliques, la mesure quantitative de la radio-densité, donnée en unités Hounsfield, dépend de nombreux facteurs et est de ce fait relative[5]. Il faut donc « nettoyer » l’image et ajuster les seuils de façon manuelle afin d’obtenir une reconstruction utilisable et conforme à la réalité anatomique.

La cicatrisation osseuse de la mandibule, après perte des dents, s’accompagne d’une corticalisation ; les reconstructions obtenues sont de ce fait beaucoup plus nettes et précises qu’au maxillaire (Fig. 1 à 5).

Les fichiers classiquement utilisables par les imprimantes 3D personnelles sont sous le format STL pour stereolithographie ou standard tessellation language. C’est un format natif pour la majorité des logiciels stéréolithographiques ; il a été créé par 3D System en 1988.

Les fichiers STL décrivent seulement la surface géométrique d’un objet sans aucune représentation de la couleur ou de la texture. Ils définissent un arrangement de surfaces triangulaires en utilisant un système de coordonnées cartésiennes tridimensionnelles (Fig. 6).

Il n’y a pas d’information sur l’échelle et les unités sont arbitraires ; il convient donc d’être vigilant au moment de l’importation des données dans le logiciel de fabrication assisté par ordinateur (FAO : fabrication assistée par ordinateur) qui va finaliser le modèle à imprimer pour être certain d’obtenir une réplique à l’échelle 1.

Le logiciel FAO va préparer le modèle en comblant les vides internes qui peuvent exister et en ajustant l’état de surface (Fig. 7).

Seuls les logiciels CAO permettant l’exportation sous le format STL de la reconstitution tridimensionnelle sont utilisables dans le cas présent ; ils sont dits ouverts. Par opposition, un logiciel est dit fermé lorsque les données obtenues ne sont exploitables que par son éditeur.

IMPRESSION

Il existe actuellement sur le marché un nombre toujours plus important d’imprimantes 3D, depuis celles à assembler soi-même jusqu’aux modèles professionnels permettant la réalisation d’objets de grande taille dans différents matériaux.

Pour notre usage présent, un modèle FDM prêt à l’emploi avec ses logiciels dédiés, autorisant des impressions de 15 cm de côté avec une épaisseur de couche comprise entre 200 et 70 µm, est parfait (Fig. 8).

Le matériau de choix est le PLA du fait de sa non-toxicité et de sa facilité d’emploi. Il se présente généralement sous la forme de bobines de filament de 1,75 mm de diamètre, disponibles en plusieurs couleurs.

Dans le cas de surplombs supérieurs à 30°, des supports doivent être prévus pour éviter des déformations de la maquette (Fig. 9).

Une épaisseur de couche de 200 µm donne de bons résultats tout en diminuant de façon importante le temps d’impression par rapport à des couches plus fines (Fig. 10).

La pièce obtenue reproduit avec précision l’image informatique ; elle peut être stérilisée dans un autoclave (Fig. 11 et 12).

APPLICATION CLINIQUE

Lors d’une greffe pré-implantaire destinée à compenser une perte osseuse, les deux causes principales d’échec sont le manque d’adaptation et de stabilisation du greffon et son exposition par suite d’un défaut de fermeture de l’incision[6]. Ces deux problèmes sont en grande partie résolus dès que l’on dispose de la réplique physique tridimensionnelle du site opératoire.

Qu’il s’agisse d’une autogreffe, d’une xénogreffe ou d’une allogreffe, il est très facile de sculpter précisément le greffon en préopératoire sans avoir à exposer l’os (Fig. 13). On peut ainsi le retoucher de façon à ce qu’il s’adapte parfaitement dans le défaut osseux.

N’ayant plus besoin de visualiser directement le site receveur, la technique de choix pour la mise en place du greffon est la tunnélisation avec une incision de décharge verticale mésiale à distance associée à une incision intrasulculaire[7, 8] (Fig. 14).

En supprimant toute incision horizontale perpendiculaire à la vascularisation, la cicatrisation gingivale est excellente et les suites postopératoires sont très limitées.

L’intégrité du périoste étant préservée, on peut compter sur la formation d’un cal périosté[9].

La seule difficulté est de décoller et de mobiliser largement la muqueuse sans la percer tout en restant en sous-périosté. Cela est facilité par l’utilisation de décolleurs coudés pour soulevés sinusiens et de bandelettes de compresses imbibées de sérum physiologique (Fig. 15).

Une fois le greffon mis en place, il est immobilisé par une ou deux vis de faible diamètre directement insérées au travers de la muqueuse ; leur enfoncement doit tenir compte de la résorption à venir (Fig. 16).

Dans le cas d’une technique de régénération osseuse guidée, il est possible de glisser une membrane ou une corticale prédécoupée sous le périoste puis de combler le défaut osseux avec un substitut osseux toujours sans avoir à faire une incision horizontale.

Si l’on préfère un abord plus conventionnel avec une incision supra-crestale, l’utilisation de la maquette du défaut osseux permet de façonner avec précision la membrane et d’évaluer la quantité de matériau de substitution à utiliser. Un décollement de demi-épaisseur permet dans ce cas de ne pas avoir à sectionner le périoste pour « libérer » le lambeau[10].

ILLUSTRATION CLINIQUE

Il s’agit d’une patiente de 58 ans, non fumeuse, à l’état parodontal correct et à l’hygiène bucco-dentaire bonne, adressée à la suite d’un échec implantaire survenu plusieurs années après la pose.

À l’examen clinique, on note un phénomène infectieux douloureux au niveau de l’implant en place de 44 avec une forte mobilité. L’implant au niveau de la 45 présente une légère mobilité asymptomatique. L’implant au niveau de la 46 est parfaitement ostéo-intégré (Fig. 17 et 18).

Les deux implants mésiaux sont retirés.

À quatre mois, la radiographie rétroalvéolaire et le cone beam montrent une perte osseuse importante avec cependant une fine table osseuse en distal de la 43 (Fig. 19 à 21).

Une xénogreffe avec un bloc d’origine porcine est réalisée par tunnélisation.

Une période de 6 mois est nécessaire pour la cicatrisation osseuse et l’intégration du greffon (Fig. 22 à 24).

Après avoir élevé un lambeau de pleine épaisseur sans incisions de décharge, la vis d’ostéosynthèse est retirée et deux fixtures de Brånemark sont mises en place en position sous-gingivale (Fig. 25 et 26).

Quatre mois plus tard, la phase deux est réalisée, des piliers transgingivaux sont installés et le dentiste traitant peut réaliser une prothèse transvissée incluant le troisième implant afin d’optimiser la biomécanique (Fig. 27 et 28).

CONCLUSION

L’utilisation d’une imprimante tridimensionnelle personnelle permet de fabriquer rapidement et à moindre coût, à partir des données obtenues par un examen scanner ou cone beam, une réplique physique du site à greffer.

La précision de la maquette dépend essentiellement de la qualité et de la netteté de la reconstitution tridimensionnelle informatique.

Seuls les logiciels de conception assistée par ordinateur permettant une exportation des données sous un format STL sont utilisables par une imprimante tridimensionnelle personnelle.

La maquette obtenue est parfaitement identique à l’image virtuelle. Son état de surface et le matériau utilisé sont parfaitement adaptés à une utilisation chirurgicale.

BIBLIOGRAPHIE

  • 1. Hounsfield GM. A method and apparatus for examination of a body by radiation such as X or gamma. Patent Office Pat Spec 1972 ; 1283915.
  • 2. Feldkamp LA, Davis LC, Kress JW. Practical cone-beam algorithm. J Opt Soc Am 1984:1:612-619.
  • 3. Arai Y, Tammisalo E, Iwai K, Hashimoto K, Shinoda K. Development of a compact computed tomographic apparatus for dental use. Dentomaxillofac Radiol 1999;28:245-248.
  • 4. Mozzo P, Procacci C, Tacconi A, Martini PT, Andreis IA. A new volumetric CT machine for dental imaging based on the cone-beam technique: preliminary results. Eur Radiol 1998;8:1558-1564.
  • 5. De Vos W, Casselman J, Swennen GR. Cone-beam computerized tomography (CBCT) imaging of the oral and maxillofacial region: a systematic review of the literature. Int J Oral Maxillofac Surg 2009;38:609-625.
  • 6. Peñarrocha-Oltra D, Aloy-Prósper A, Cervera-Ballester J, Peñarrocha-Diago M, Canullo L, Peñarrocha-Diago M. Implant treatment in atrophic posterior mandibles: vertical regeneration with block bone grafts versus implants with 5.5-mm intrabony length Int J Oral Maxillofac Implants 2014;29:659-666
  • 7. Nevins M, Schupbach P, Friedland B. Minimally invasive alveolar ridge augmentation procedure (tunneling technique) using rhPDGF-BB in combination with three matrices: a case series. Int J Periodontics Restorative Dent 2009;29:371-383.
  • 8. Mazzocco C, Buda S, De Paoli S. The tunnel technique: a different approach to block grafting procedures. Int J Periodontics Restorative Dent 2008;28:45-53.
  • 9. Chanavaz M. Le périoste: « cordon ombilical » de l’os ; quantification de la vascularisation corticale osseuse d’origine périostée. Rev Stomatol Chir Maxillofac 1995;96:262-267.
  • 10. Ogata Y, Terrence J, Alexander C. Comparison of double-flap incision to periosteal releasing incision for flap advancement: a prospective clinical trial. Int J Oral Maxillofac Implants 2013;28:597-604.

LIENS D’INTÉRÊT : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant cet article.

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