Lésions péri-apicales et implantologie, comment les gérer ? - Implant n° 3 du 01/09/2015
 

Implant n° 3 du 01/09/2015

 

DOSSIER CLINIQUE

Matthieu Renaud*   Philippe Bousquet**  


*Interne en médecine bucco-dentaire
UFR d’odontologie, Montpellier
579 avenue Adolphe Alphand
34080 Montpellier
**MCU-PH
directeur de l’UAM d’implantologie
UFR d’odontologie
545, avenue du Professeur Jean Louis Viala
34080 Montpellier cedex 5

Les lésions radio-claires au niveau péri-apical posent de nombreuses interrogations quant à la conduite à tenir en cas d’indication d’avulsion et de pose d’implants. Cela est particulièrement vrai au niveau du secteur antérieur maxillaire où l’attente de résultat esthétique est importante. En effet, ces lésions peuvent évoluer de manière chronique, à la suite d’un traumatisme par exemple, jusqu’à leur découverte fortuite. De plus, lors de leur diagnostic, elles sont le plus souvent volumineuses et plus ou moins associées à une perte de la corticale vestibulaire. La gestion de cette perte de volume osseux va donc être primordiale afin de permettre la pose des implants à la position souhaitée ainsi qu’un résultat esthétique optimal et stable dans le temps. Différents protocoles existent pour gérer ces problèmes comme l’extraction-implantation immédiate, l’extraction-implantation différée ou encore la préservation du volume osseux par des techniques de régénération osseuse guidée suivie d’une pose d’implants après cicatrisation. Cependant, quelle est la solution de choix ? Quel protocole doit-on appliquer en fonction de la situation clinique ?

Les incisives maxillaires sont les dents les plus touchées lors des traumatismes [1]. Les traumatismes dentaires sont souvent associés à des complications de différentes sévérités. Ces conséquences dépendent du type de traumatisme, du temps de prise en charge et de la qualité du traitement. Elles surviennent le plus souvent plusieurs mois, voire plusieurs années après l’incident [2]. C’est le cas, par exemple, des lésions péri-apicales. Ces lésions évoluent de manière asymptomatique jusqu’à leur découverte fortuite à un stade avancé de leur évolution. Quand le traitement du système endocanalaire a échoué, la conduite à tenir est chirurgicale par énucléation de la lésion, résection apicale et obturation rétrograde du système canalaire. Une dent causale délabrée ou dont le traitement endodontique ne peut être correctement réalisé ou repris est souvent avulsée dans le même temps opératoire, ce qui est à l’origine d’une perte osseuse plus ou moins volumineuse [3, 4].

Les restaurations des secteurs antérieurs maxillaires par prothèse sur implants posent de nombreux problèmes pour la gestion esthétique. La pose d’un ou de plusieurs implants dans une position idéale peut s’avérer difficile, notamment en cas de perte importante du volume osseux. Il est donc particulièrement difficile de gérer les cas présentant des lésions de ce type. Quels sont les traitements disponibles ? Une implantation immédiate après extraction de la dent et énucléation de la lésion est-elle possible ? Une régénération osseuse doit-elle être entreprise en premier lieu ? Quels sont les critères de choix ?

KYSTES, PERTE OSSEUSE ET PRÉSERVATION ALVÉOLAIRE

Après avulsion d’une dent, l’alvéole se résorbe. Ce taux de résorption est différent entre les individus et entre deux sites postextractionnels chez un même individu. Il est donc impossible de le prévoir et d’évaluer a priori la quantité d’os qu’il restera pour la pose d’un implant. Cela est d’autant plus vrai que l’extraction est associée à une énucléation de lésion (s) péri-apicale (s) plus ou moins volumineuse (s) entraînant une perte du volume osseux plus ou moins importante.

La cicatrisation d’un site postextractionnel est caractérisée par des changements internes (formation osseuse in situ) et externes (perte de l’os alvéolaire dans les 3 sens de l’espace) provoquant une diminution du volume de la crête [5]. Des études montrent qu’après cicatrisation du site, la crête résiduelle se déplace lingualement et forme une concavité vestibulaire [6]. D’autres études montrent que la perte osseuse est plus importante en épaisseur (sens vestibulo-palatin/lingual) qu’en hauteur et que cette perte est différente selon les sites d’extraction. Cette variabilité est expliquée par des facteurs anatomiques, métaboliques, fonctionnels, génétiques et iatrogènes. Les changements les plus rapides s’effectuent dans la période qui suit l’extraction. Le remodelage osseux peut durer jusqu’à 2 ans [7, 8].

La préservation alvéolaire fait partie des protocoles indiqués à la suite d’une extraction dentaire afin de diminuer au maximum le taux de résorption en épaisseur de la crête alvéolaire ainsi que de favoriser la formation osseuse in situ. Cependant, il existe certaines situations où ces techniques ne sont pas indiquées. C’est le cas, par exemple, lors d’une infection aiguë du site. Dans ces situations, la préservation alvéolaire peut être effectuée à distance de l’intervention, dans un délai de 6 à 8 semaines. En effet, un consensus récent suggère qu’il n’y a pas de résorption majeure du site dans les 6 à 8 semaines suivant l’avulsion [9, 10].

Les techniques de préservation alvéolaire sont fondées sur le principe de la régénération osseuse guidée. Plusieurs d’entre elles ont été décrites dans la littérature scientifique : utilisation ou non de membranes, utilisation de divers biomatériaux de comblement osseux d’origines différentes, techniques opératoires variables [11, 12]. Si un implant doit être placé dans une période excédant 6 à 8 semaines après l’extraction ou si sa pose n’est pas prévue dans l’immédiat mais ultérieurement ou pour des raisons esthétiques, la préservation alvéolaire est considérée comme stratégique. Si les corticales vestibulaires ont une épaisseur inférieure à 1,5-2 mm ou si des lésions osseuses verticales sont présentes, la préservation alvéolaire est indiquée. En effet, la perte osseuse peut être cliniquement importante dans ces situations. Cela est particulièrement vrai dans les secteurs antérieurs car les corticales vestibulaires sont fines et rarement d’une épaisseur supérieure à 1,5-2 mm [13, 14].

KYSTES ET PROTOCOLE D’EXTRACTION-IMPLANTATION IMMÉDIATE

De nombreuses études conduites chez l’animal suggèrent que les implants placés dans des sites infectés ont le même taux de survie que ceux placés dans des sites sains [15, 16, 17].

Mais bien qu’il soit maintenant admis que l’implantation immédiate dans un site infecté ne pose aucun problème, aucune donnée n’est actuellement apportée par la littérature scientifique concernant le meilleur protocole à respecter : quelle antibiothérapie et quand la commencer ? Chirurgie avec ou sans lambeau ? Comblement ou non ? Utilisation de cortisone, de chlorhexidine ? La seule constante est le débridement de la lésion.

Une étude clinique compare l’implantation immédiate après des extractions de dents dans des sites infectés (échec de traitement endodontique, fracture infectée, granulome péri-apical, pus) et des sites non infectés. L’infection est soit chronique, soit aiguë. L’extraction de la dent s’effectue de façon atraumatique et le forage est effectué à l’aide de la chirurgie ultrasonique sans lambeau. Tous les sites reçoivent la même médication et le même protocole chirurgical. Le passage pendant 30 secondes d’ultrasons à 72 W est réalisé sur les sites infectés après un curetage minutieux de l’alvéole. Le taux de survie des implants est calculé à 1 an. Les résultats de cette étude montrent qu’il n’y a pas de différences significatives de survie entre les groupes. Le taux de survie d’implants placés immédiatement après extractions de dents infectées ou non est le même. Cependant, d’autres études sont nécessaires pour prouver l’efficacité de la méthode utilisée [18].

Des études expérimentales chez l’animal montrent que le débridement des lésions infectieuses associé à une antibiothérapie crée des conditions idéales pour le remodelage osseux autour d’implants placés dans le site infecté [15, 16, 19, 20]. Une étude clinique a été menée sur 30 implants placés dans sites infectés chez 20 patients [21] : après extraction atraumatique des dents et débridement méticuleux des sites infectés (lésions péri-apicales chroniques, kystes péri-apicaux, lésions endo-parodontales, infections parodontales subaiguës ou chroniques), les implants ont été placés immédiatement. Une régénération osseuse a été réalisée pour combler les défauts osseux alvéolaires autour des implants. Une antibiothérapie préopératoire et postopératoire a été administrée. Les résultats de cette étude ont montré que le succès de la thérapeutique reposait sur la parfaite exérèse de la lésion ainsi que sur le contrôle de la régénération (absence d’infection des biomatériaux et d’exposition de la membrane de régénération). L’administration préopératoire d’antibiotique est primordiale pour la réduction de l’infection. Dans les cas où l’infection aiguë persiste, l’extraction-implantation immédiate doit être remise à plus tard dans l’attente d’une diminution de l’infection du site opératoire [22].

CAS CLINIQUE

Un patient de 24 ans se présente en consultation pour une lésion apparue 10 jours auparavant au niveau de la face vestibulaire de 12. L’interrogatoire révèle un traumatisme violent sur les incisives maxillaires, à la suite d’une chute de vélo à l’âge de 6 ans, qui a été pris en charge par son praticien. L’examen clinique révèle une dyschromie de 12 ainsi que la présence d’une fistule. Les tests de vitalité sur 11, 12, 21 et 22 sont négatifs alors qu’ils sont positifs sur 13 et 23. La palpation révèle une perte de la corticale vestibulaire en regard de 11, 12, 21 et 22 avec un choc en retour lorsque l’on y associe un test de percussion. Les radiographies rétroalvéolaires montrent des lésions péri-apicales importantes. Une tomographie est ensuite prescrite pour visualiser l’anatomie des lésions. Cet examen montre la présence de deux volumineuses lésions radio-claires en regard des apex de 12, 22 et 23 avec perte de la corticale vestibulaire (Fig. 1). Les traitements endodontiques de 11, 12, 21 et 22 sont réalisés dans un premier temps avec un échec thérapeutique à 6 mois postopératoires.

Étant donné l’importance des lésions ainsi que la perte de la corticale vestibulaire, l’extraction-implantation immédiate est contre-indiquée dans ce cas malgré la chronicité des lésions. Il sera donc nécessaire de préserver et de reconstruire le volume osseux dans un premier temps afin d’assurer une restauration implanto-portée la meilleure possible. Les dents 11, 12, 21 et 22 seront par conséquent extraites sous antibiothérapie (amoxicilline 1 g matin et soir pendant 6 jours, début du traitement la veille de l’extraction), les lésions seront soigneusement curetées et une régénération osseuse à l’aide d’une xénogreffe (Bio-Oss®) et d’une membrane résorbable (BioMend® Extend) sera entreprise afin d’augmenter le volume osseux (Fig. 2). La dent 23, étant vivante, sera préservée. Parallèlement à la période de cicatrisation, un traitement orthodontique sera entrepris afin de gérer les courbes d’occlusion et d’aménager les espaces pour faciliter la restauration prothétique (gestion des espaces prothétiques, du surplomb, du recouvrement et de la protection canine). Une prothèse amovible partielle métallique à appui dentaire est réalisée pour préserver l’esthétique et pour éviter toute compression des tissus pendant la cicatrisation. Après une période de cicatrisation de 6 mois, la pose en deux temps chirurgicaux de 2 implants au niveau de 11 et 21 est effectuée. La réussite de la régénération est objectivée par la préservation du volume de la crête osseuse (Fig. 3, 4 et 5). Après ostéo-intégration des implants, un bridge transvissé est réalisé (Fig. 6).

CONCLUSION

La décision thérapeutique dépendra des éléments cliniques. Quel est le niveau de destruction osseuse ? Quel volume d’os résiduel le praticien a-t-il à sa disposition après extraction de la dent et exérèse complète de la lésion ?

L’extraction-implantation immédiate est envisageable en l’absence de symptomatologie et lorsque les lésions sont peu importantes, que les corticales vestibulaires sont épaisses et que l’os résiduel permet le placement idéal de l’implant afin d’obtenir une stabilité primaire. Une antibiothérapie doit être prescrite. Malgré ces rares indications, qu’en sera-t-il du pronostic esthétique à court, moyen et long termes ?

La préservation alvéolaire doit être réalisée dans tous les autres cas malgré la nécessité de deux interventions chirurgicales afin de gérer d’abord l’os en préservant son volume. Les résultats esthétiques à court, moyen et long termes sont plus prévisibles grâce à un positionnement implantaire idéal guidé par la reconstruction prothétique. La préservation alvéolaire doit s’effectuer sous antibiotiques et en l’absence de symptomatologie, sinon elle doit se faire à distance de l’extraction.

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LIENS D’INTÉRÊTS

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