Ostéotomies segmentaires maxillaires antérieures en implantologie - Implant n° 4 du 01/11/2016
 

Implant n° 4 du 01/11/2016

 

DOSSIER CLINIQUE

B. Philippe / P. Vendeville  

Résumé

Cette publication consiste à présenter les principes, les indications et la technique opératoire des ostéotomies segmentaires maxillaires antérieures en implantologie. Deux procédures distinctes, incluant ou non le plancher des fosses nasales, sont indiquées selon le degré d'atrophie squelettique. Les critères anatomiques qui régissent le choix de la procédure chirurgicale sont abordés tandis que l'ensemble de la technique chirurgicale est décrit étape par étape en se fondant sur deux cas représentatifs.

Summary

Maxillary Anterior Segmental Osteotomies for Implant Dentistry. Principles, Indications, Surgical Procedures

This publication consists to present the principles, indications and surgical technique of segmental anterior maxillary osteotomies in implantology. Two separate procedures, including whether or not the involvment of the nasal cavity floor, are indicated according to the degree of skeletal atrophy. The anatomical criteria governing the choice of surgical procedure are discussed while the entire surgical technique is described step by step on the basis of two representative cases.

Key words

segmental osteotomies, maxillary segmental osteotomies, partial osteotomies, partial maxillary osteotomies, preimplant osteotomies, piezosurgery

Bien que le premier cas d'ostéotomie segmentaire ait été présenté aux États-Unis par Simon Hullihen en 1849 (fig. 1), c'est à l'école allemande de chirurgie maxillo-faciale que l'on doit le véritable essor des ostéotomies segmentaires au début du siècle dernier [-]. Cohn-Stock en 1921 [] puis Wassmund en 1935 [] ont été les premiers à introduire les ostéotomies segmentaires maxillaires antérieures destinées à corriger les troubles de l'occlusion localisés à l'arcade maxillaire antérieure. Ces ostéotomies, qui permettent de déplacer le segment antérieur de l'arcade alvéolaire maxillaire dans les trois dimensions de l'espace (en particulier vers le bas et vers l'avant), se caractérisent par une incision muqueuse unique dans le fond du vestibule, se jouant ainsi des tensions engendrées sur la gencive attachée. Cette particularité retrouve de nos jours tout son intérêt en chirurgie reconstructrice pré-implantaire dont les objectifs consistent, d'une part, à reconstituer un volume squelettique apte à recevoir les implants sans risquer une exposition secondaire du greffon et, d'autre part, à diminuer l'espace prothétique interarcade en excès fréquemment disgracieux et inadapté sur le plan biomécanique.

Principe et présentation

Le principe consiste à réaliser une ostéotomie en « U inversé » encadrant un segment plus ou moins étendu de la crête alvéolaire. L'ostéotomie peut inclure la région incisive seule, la région incisivo-canine, voire le prémaxillaire dans son ensemble d'une région prémolaire à l'autre. Une incision unique, pratiquée au fond du vestibule en gencive libre, permet de réaliser le décollement périosté et d'aborder le squelette. La « vitalité » du segment osseux libéré par l'ostéotomie est assurée notamment par les tissus mous palatins et les ponts muqueux vestibulaires restants ainsi que par l'artère naso-palatine (anastomose du canal incisif) sur la ligne médiane et les artères grandes palatines latéralement conservées intactes [, ] (fig. 2 et 3).

Procédures chirurgicales

Deux procédures distinctes, incluant ou non le plancher des fosses nasales et le septum narinaire, sont réalisées selon le degré d'atrophie maxillaire (fig. 4 à 6). La piézochirurgie, disponible depuis environ 10 ans en chirurgie maxillo-faciale, est utilisée systématiquement et permet une découpe osseuse précise, sans délabrement osseux ni dommages collatéraux sur les tissus mous du voisinage [, ].

Quelle que soit la procédure envisagée, les différents temps opératoires se succèdent de la manière suivante :

– infiltration sous-périostée lente à la xylocaïne adrénalinée à 1 % ;

– incision horizontale haut située en gencive libre au fond du vestibule à la lame froide ou au bistouri électrique et menée directement jusqu'au périoste inclus ;

– coagulation électrique menée de proche en proche à la demande ;

– décollement périosté. Dans le plan horizontal, le décollement intéresse la partie haute de la crête alvéolaire au voisinage du seuil narinaire, l'épine nasale antérieure et les piliers canins. Dans le plan vertical, il est mené de manière rétrograde en regard des ostéotomies verticales ;

– ostéotomie en « U inversé » passant en dessous ou au-dessus du plancher des fosses nasales, discrètement de dépouille réalisée à l'aide d'un piézotome sous irrigation abondante ;

– mobilisation du fragment à la rugine ou à l'ostéotome après down-fracture à l'aveugle du plateau palatin ;

– interposition d'un greffon principal positionné horizontalement dans l'espace d'ostéotomie nouvellement créé. Ce greffon principal permet en outre de « caler » le fragment alvéolaire déplacé vers le bas et vers l'avant ;

– ostéosynthèse du segment de crête déplacé vers le bas et vers l'avant à l'aide de microplaques ;

– comblement des espaces d'ostéotomie restés vacants avec des fragments d'os spongieux ;

– si nécessaire en présence d'une crête fine, apposition vestibulaire d'un greffon membraneux d'origine mandibulaire postérieure (ramique) ou pariétale. Dans cette éventualité, un décollement plus étendu est mené sur la face vestibulaire du fragment crestal ;

– fermeture sans tension à l'aide de points séparés au Vicryl 4.0.

Cas Clinique 1

Il s'agit d'une ostéotomie segmentaire excluant le plancher des fosses nasales et le septum narinaire (ostéotomie segmentaire transalvéolaire). Cette procédure est réservée aux cas cliniques pour lesquels la hauteur résiduelle de la crête autorise la réalisation d'un fragment caudal suffisamment bien individualisé pour recevoir en son sein le matériel d'ostéosynthèse.

Un patient de 17 ans présente une béance latérale droite avec interposition linguale. Les dents 11, 12, 13 et 21, nécrosées et présentant d'importantes restaurations temporaires et des images apicales, sont extraites (fig. 7 à 10).

L'ostéotomie est réalisée sur des tissus cicatrisés, stables, 6 mois après les extractions.

Bien qu'en pratique chirurgicale, et à condition de privilégier l'os de substitution pour l'augmentation squelettique, cette intervention puisse être réalisée sous anesthésie locale, l'anesthésie générale s'impose en ce qui nous concerne en raison de notre choix de recourir à l'os autogène comme matériel d'augmentation. Les prélèvements mandibulaire postérieur et iliaque sont réalisés simultanément (fig. 11).

Le trait d'ostéotomie, en « U inversé », passe sous le plancher des fosses nasales, sous l'épine nasale et le septum narinaire maintenus intacts. L'ostéotomie, réalisée au piézotome, intéresse l'intégralité de la corticale vestibulaire et de l'os spongieux intermédiaire (sauf sur la ligne médiane en regard du canal naso-palatin) tandis que la corticale palatine est seulement « fragilisée aux ultrasons » afin de ne pas léser le plan muco-périosté palatin. Le fragment crestal est ensuite mobilisé à l'ostéotome ou à la rugine (fig. 12).

Un discret décollement du périoste palatin est réalisé délicatement, à l'aide d'un décolleur contre-coudé sur le plat, à travers l'espace d'ostéotomie nouvellement créé pour permettre une réelle translation vers le bas et vers l'avant du segment squelettique libéré par les manœuvres d'ostéotomie.

Le greffon cortico-spongieux iliaque, taillé selon les besoins de la reconstruction et disposé dans l'espace d'interposition, est facilement stabilisé en « s'adossant » à l'infrastructure osseuse basale maintenue intacte (fig. 13).

Le segment de crête déplacé vers le bas et vers l'avant est ensuite ostéosynthésé à l'aide de microplaques tandis que les espaces d'ostéotomie restés vacants sont comblés avec des fragments d'os spongieux iliaque (fig. 14). L'élargissement de la crête est obtenu par l'apposition vestibulaire simultanée d'un greffon membraneux, ici d'origine mandibulaire postérieure (fig. 15). Le contrôle par scanner de la reconstruction est réalisé au cinquième mois postopératoire tandis que les implants sont insérés au sixième mois selon une procédure en deux temps (par le Dr Philippe Vendeville). La réalisation de la prothèse par CFAO est envisagée après une période d'ostéo-intégration de 4 mois (par le Dr Marine Vendeville) (fig. 16 à 25).

Cas Clinique 2

Il s'agit d'une ostéotomie segmentaire maxillaire antérieure incluant le plancher des fosses nasales et le septum narinaire (ostéotomie segmentaire transbasale). Cette procédure est réservée aux cas cliniques présentant une atrophie osseuse terminale ou tridimensionnelle complexe. Seule une ostéotomie haut située incluant le plancher des fosses nasales, c'est-à-dire la « base résiduelle » du prémaxillaire, permet de déplacer un fragment suffisamment individualisé pour permettre la mise en place du matériel d'ostéosynthèse et réaliser simultanément la reconstruction tridimensionnelle de la crête (apposition vestibulaire, comblement de sites implantaires séquellaires, etc.).

Le patient, de 46 ans, présente un édentement en 11, 12, 21 et 22 associé à une atrophie squelettique complexe malgré la réalisation antérieure d'une reconstruction squelettique et d'un traitement implantaire par ailleurs incomplet (fig. 26 et 27).

Les deux implants en 12 et 21 ont été déposés avant la réalisation de l'ostéotomie segmentaire en raison d'une aggravation de la perte osseuse péri-implantaire (fig. 28 à 31).

Plusieurs remarques techniques concernant cette variante chirurgicale méritent d'être indiquées :

– cette intervention ne peut être pratiquée que sous anesthésie générale. L'intubation est réalisée à l'aide d'une sonde nasale préformée. Une bonne accessibilité et une bonne visibilité endobuccale sont recherchées pour faciliter l'exécution du geste opératoire et contrôler l'intégrité de la muqueuse palatine durant l'intervention ;

– le décollement périosté est plus étendu et intéresse l'épine nasale antérieure, la moitié antérieure du plancher des fosses nasales et le tiers inférieur du septum narinaire. Des lames de protection malléables sont disposées dans l'espace de décollement sous-périosté de chaque fosse nasale pour protéger le plan de la muqueuse endonasale et la sonde d'intubation ;

– la section du pied de cloison, réalisée avec des ciseaux spéciaux ou au piézotome, précède l'ostéotomie ;

– le trait de l'ostéotomie horizontale est mené transversalement à travers le plancher des fosses nasales, quelques millimètres en arrière du seuil narinaire. Pour plus de sécurité vis-à-vis du plan périosté palatin, l'opérateur veille à ne pas franchir la corticale palatine mais seulement à la fragiliser à l'aide des inserts ultrasoniques. Une down-fracture contrôlée à la rugine finalise la libération du segment squelettique. Comme au cours de la procédure précédemment décrite, un discret décollement du périoste palatin est réalisé à l'aide d'un décolleur contre-coudé sur le plat à travers l'espace d'ostéotomie nouvellement créé ;

– la mobilisation du segment osseux libéré est particulièrement douce et progressive, en particulier vis-à-vis du plan muco-périosté palatin ;

– à droite comme à gauche, une mortaise est taillée dans chaque pilier canin afin de stabiliser efficacement le greffon principal cortico-spongieux disposé horizontalement. Ce greffon principal, taillé selon les besoins anatomiques, permet d'une part de reconstituer le capital squelettique dans le sens de la hauteur et d'autre part de « caler » le fragment crestal déplacé vers le bas et vers l'avant et désormais sans soutien basilaire. L'apposition vestibulaire d'un greffon membraneux, ici d'origine pariétale, est réalisée secondairement après avoir assuré l'ostéosynthèse du greffon principal et du fragment crestal (fig. 32 et 33) ;

– après consolidation, la situation clinique est jugée favorable pour entreprendre les étapes de chirurgie implantaire (fig. 34) ;

– la planification informatique est réalisée (fig. 35 à 39) et les implants sont mis en place (fig. 40). Après ostéo-intégration, les étapes de réalisation prothétique sont ensuite conduites classiquement (fig. 41 et 42).

Conclusion

Les ostéotomies segmentaires maxillaires antérieures permettent de reconstituer le capital osseux nécessaire à l'insertion des implants cylindriques endo-osseux et permettent de diminuer l'espace prothétique interarcade excessif répondant efficacement aux défis esthétiques ainsi que biomécaniques des atrophies crestales antérieures. L'interposition d'un greffon horizontal disposé dans l'espace d'ostéotomie permet de reconstituer le capital osseux dans le sens de la hauteur tandis que l'apposition d'un greffon vestibulaire autorise si nécessaire la reconstitution simultanée du capital osseux dans le sens de l'épaisseur.

Deux types de procédures peuvent être décrits, incluant ou non le plancher des fosses nasales, pour lesquelles nous proposons les appellations d'ostéotomie segmentaire transbasale et d'ostéotomie segmentaire transalvéolaire.

Parce qu'il n'existe pas d'incision en gencive attachée au sommet de la crête édentée atrophiée, cette procédure permet de diminuer le risque de désunion précoce ou tardive, responsable de l'exposition secondaire du greffon. En dépit d'une incision unique au fond du vestibule, il est possible, à condition d'étendre le décollement vestibulaire, de réaliser dans le même temps opératoire une augmentation d'épaisseur de la crête.

La piézochirurgie permet d'effectuer ce geste délicat, en particulier la découpe osseuse de dépouille, et de préserver les pédicules ainsi que les tissus mous, en particulier le plan muco-périosté palatin.

Le choix du matériau nécessaire à la reconstitution du capital osseux dépend de l'importance et du type de l'atrophie constatée, des possibilités offertes par chacun des différents sites donneurs mais aussi des tendances et des écoles. En ce qui nous concerne, l'os autogène enchondral iliaque nous semble le plus adapté pour effectuer l'augmentation squelettique par interposition, tandis que l'os autogène membraneux mandibulaire postérieur ou pariétal s'impose pour assurer la stabilité de l'augmentation vestibulaire.

Il est indispensable que l'opérateur ait une réelle connaissance de l'implantologie et de la prothèse dentaire avant d'entreprendre ces restaurations certes limitées dans l'espace mais complexes, non dénuées de risques et dont les résultats sont particulièrement visibles lors du sourire.

La possibilité de résorption secondaire du segment crestal ou des greffons, voire leur nécrose aiguë, ne doivent pas être sous-estimées pour cette procédure délicate fréquemment considérée à tort comme anodine puisque limitée anatomiquement.

BIBLIOGRAPHIE

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  • 10. Beziat JL. Chirurgie orthognathique piézoélectrique. Les Ullis : EDP Sciences, 2013.

Benoît Philippe
Docteur en médecine
Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie
19, rue de Téhéran
75008 Paris

Philippe Vendeville
Docteur en chirurgie dentaire
Implantologie
5, rue Edmond-Guillaume
59300 Valenciennes

les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.