Relations entre maladies parodontales et diverses pathologies systémiques Relationship between periodontal diseases and some systemic diseases - JPIO n° 04 du 01/11/2013
 

Journal de Parodontologie & d’Implantation Orale n° 04 du 01/11/2013

 

Article

Henri TENENBAUM  

Département de parodontologie Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg

Résumé

L’impact des parodontites sur la santé globale des patients a été largement sous-estimé. De plus en plus de pathologies systémiques, parmi lesquelles des infections pulmonaires, certains cancers, des pathologies rénales et la maladie d’Alzheimer, pourraient être influencées par la présence d’une parodontite. Celle-ci pourrait, d’une part, participer à l’apparition de la pathologie systémique et, d’autre part, en aggraver l’évolution. Les mécanismes pathogéniques évoqués font intervenir la dissémination bactérienne et la diffusion de molécules pro-inflammatoires comme les cytokines.

Summary

The impact of periodontitis on global health has been widely underestimate. More and more systemic diseases among which pulmonary infections, some cancers, kidney diseases and Alzheimer’s disease could be influenced by periodontitis. Periodontitis could either influence the ongoing of a systemic disease or increase the severity of the disease. Pathogenesis includes both bacterial dissemination and exposure to pro-inflammatory molecules such as cytokines.

Key words

Periodontitis, pulmonary infections, cancers, kidney diseases, Alzheimer’s disease

Introduction

Le but de ce survol des relations entre maladies parodontales et pathologies systémiques, hors celles évoquées auparavant, n’est pas d’être exhaustif mais d’en présenter certaines qui ont pu être évoquées récemment.

Nous envisagerons ainsi successivement les pathologies suivantes pour lesquelles la présence d’une parodontite chronique pourrait constituer un facteur de risque :

- des infections pulmonaires ;

- certains cancers oro-faciaux, digestifs, du sein et du pancréas ;

- des pathologies rénales ;

- certaines maladies neuro-dégénératives comme la maladie d’Alzheimer.

Comme cela a déjà été abordé dans l’introduction de ce numéro spécial, la présence d’une inflammation constitue un des éléments clés de nombreuses pathologies chroniques, y compris les cancers. Or, les maladies parodontales ont cette particularité d’être de nature inflammatoire, d’évoluer pendant plusieurs décennies et de toucher une proportion importante de la population adulte de tous les pays de notre planète. Il n’est donc pas surprenant de découvrir de plus en plus d’effets à distance de la cavité buccale sur de très nombreuses parties de l’organisme (Pizzo et al., 2010).

Parodontites et infections pulmonaires

Les biofilms parodontaux constituent un réservoir de pathogènes susceptibles d’infecter le système pulmonaire, en particulier parmi les patients hospitalisés dans les services de soins intensifs où l’attention portée à l’hygiène orale est souvent déficiente.

Des bactéries orales comme Aggregatibacter actinomycetemcomitans, Capnocytophaga, Eikenella corrodens et Prevotella intermedia peuvent être aspirées vers les poumons et y provoquer des infections de type pneumonie. De même, cytokines et enzymes libérées par les tissus parodontaux enflammés vont pouvoir léser l’épithélium de revêtement du tractus respiratoire et dégrader le film salivaire avec pour conséquence un impact négatif sur les mécanismes de défense non spécifiques de l’hôte vis-à-vis des pathogènes respiratoires (Scannapieco, 2006).

A contrario, une amélioration de l’hygiène orale à la fois par des moyens mécaniques (brossage des dents et de la langue) et/ou des moyens chimiques (nettoyage à la chlorhexidine) peut permettre une réduction de l’incidence des pneumonies de l’ordre de 40 % (Tantipong et al., 2008).

D’autres enzymes en provenance de bactéries présentes dans la salive pourraient aussi endommager ce revêtement épithélial et favoriser ainsi une colonisation par des pathogènes (Paju et Scannapieco, 2007).

Parodontites et cancers

L’inflammation semble être aussi à l’origine de lésions tumorales. Prévenir l’évolution tumorale en traitant précocement la réaction inflammatoire liée aux infections pourrait être une des voies les plus prometteuses pour l’avenir.

Une étude récente menée en Suède (Söder et al., 2011) a mis en évidence, dans une population de plus de 3 000 individus, que la maladie parodontale et l’absence d’au moins une molaire mandibulaire constituaient des facteurs prédictifs indépendants de survenue de cancer du sein.

Même si la maladie parodontale ne représente que l’un des facteurs de risque de l’évolution tumorale, sa prévention et sa prise en charge précoce pourraient permettre de réduire l’incidence des cancers du sein en particulier (Meurman, 2010).

Le cancer du pancréas est une forme tumorale souvent d’évolution rapide dont la consommation tabagique constitue le facteur de risque modifiable le mieux documenté à ce jour.

Récemment, un lien a pu être établi entre parodontites chroniques et pertes dentaires, en particulier par la production de nitrosamines par les bactéries buccales. Ces mêmes nitrosamines, tout comme l’acidité gastrique, ont été proposées comme des facteurs de risque importants de survenue de cancers du pancréas (Abnet et al., 2005).

Une autre étude américaine, à partir du suivi de cohorte NANHES III, a montré que la présence de parodontites modérées et sévères était associée à une mortalité augmentée par cancers oro-digestifs (RR : 2,28). Le risque augmente avec la sévérité de la parodontite et il est encore plus important pour les cancers colorectaux et pancréatiques (Ahn et al., 2012).

Enfin, Tezal et al. constatent, dans une étude de cas-contrôle, que chaque perte d’os alvéolaire de 1 mm est associée à une augmentation de 5,23 fois du risque de cancer de la langue (Tezal et al., 2007).

Parodontites et pathologies rénales

Les pathologies rénales s’accompagnent d’une réduction progressive de la fonction rénale et d’une diminution du taux de filtration glomérulaire évaluée par une mesure de la créatinine.

Les parodontites chroniques pourraient, en amplifiant la production de cytokines pro-inflammatoires, compliquer la gestion des patients dialysés et contribuer au rejet des transplants rénaux chez les patients qui ont bénéficié d’une transplantation (Craig, 2008).

Parodontites et maladie d’Alzheimer

La maladie d’Alzheimer est l’une des principales causes de démence sénile. La prévalence de cette pathologie est forte et s’accroît avec l’âge, passant de 4 % entre 65 et 75 ans à 19 % entre 85 et 87 ans. Au vu de l’allongement actuel de l’espérance de vie, il est évident que cette prévalence va encore augmenter dans les prochaines années. Alors qu’il s’agit d’un problème majeur de santé publique, une réduction de la prévalence de la pathologie ne pourra venir que de nouvelles approches thérapeutiques susceptibles d’en retarder l’apparition, d’en ralentir la progression ou de faire disparaître le processus dégénératif.

Même si l’étiologie et la pathogénie de la maladie d’Alzheimer ne sont pas encore clairement élucidées, la présence d’une inflammation à l’intérieur du cerveau semble jouer un rôle essentiel. Certaines études suggèrent que la présence d’une réaction inflammatoire dans l’organisme va pouvoir agir sur l’état inflammatoire du système nerveux central (Nee et al., 1999). Il a été démontré que des molécules pro-inflammatoires, en particulier des cytokines, présentes dans la cavité buccale pouvaient agir en augmentant la concentration de cytokines cérébrales, soit en pénétrant dans le cerveau par des canaux associés aux nerfs périphériques, soit par l’activation de cellules inflammatoires, lymphocytes T et macrophages, qui peuvent ensuite arriver au niveau du cerveau (Miller et al., 1997 ; Rivest, 2003).

Par ailleurs, des bactéries pathogènes, y compris des parodontopathogènes, pourraient aussi envahir le cerveau par un mécanisme qui n’a pas encore été démontré mais qui se ferait soit par la circulation générale, soit par les voies nerveuses (Kamer et al., 2008). En tout cas, Holmes et al. ont constaté une amélioration des paramètres cognitifs après le traitement d’une infection systémique (Holmes et al., 2003). À l’inverse, la présence d’une infection périphérique accroît le risque de délire chez les patients déjà atteints par la maladie d’Alzheimer (Lerner et al., 1997).

Peu d’études ont évalué la relation entre parodontites et maladie d’Alzheimer. En 2006, Gatz et al., ont montré, chez des jumeaux homozygotes atteints de maladie d’Alzheimer à des degrés différents, que la perte précoce des dents augmentait significativement (OR : 5,5) le risque d’évolution de la maladie.

BIBLIOGRAPHIE

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