Bruxisme et implantologie : prédictibilité, consensus et controverses - JPIO n° 1 du 01/02/2018
 

Journal de Parodontologie & d'Implantologie Orale n° 1 du 01/02/2018

 

Article

Patrick SIMONET 1 / Gérard DUMINIL 2  

1- Docteur en chirurgie dentaire
Master of science de l'université du Michigan, Ann Arbor (États-Unis)
Membre associé de l'Académie nationale de chirurgie dentaire
Expert près la cour d'appel de Paris
113, boulevard Haussmann, 75008 Paris2- Docteur en chirurgie dentaire
Docteur en sciences odontologiques
15, rue de France, 06000 Nice

Résumé

Résumé

Toutes les études convergent à montrer que les forces occlusales jouent un rôle majeur puisqu'elles transmettent d'importantes contraintes vers l'interface os-implant, leur donnant ainsi une signification tant biologique que mécanique. Comprendre la dualité des surfaces d'appuis, maîtriser les contraintes occlusales en présence de parafonctions, choisir un matériau et un concept occlusal approprié à chaque type de restauration prothétique sont autant de sujets qu'il convient d'analyser pour minimiser, voire éliminer les échecs prothétiques.

Mais au-delà, l'objectif de cet article est de confronter certaines idées acquises et préconçues aux données scientifiques les plus actuelles en apportant des réponses simples, pragmatiques et surtout pratiques aux interrogations cliniques auxquelles nous sommes confrontés en permanence lors de la réalisation d'une prothèse implanto-portée chez les patients parafonctionnels.

Summary

ABSTRACT

Parafunctional forces on implants, as on teeth, have long been recognized as harmful and are, very often, the most difficult to contend with on a long-term basis. Stress, represented by repeated or sustained occlusion, is a particular entity expressed as ``force''. As a result, any factor that increases force, magnifies the stress.

In the past, these extra forces have represented a contraindication for implant prosthodontics. Today however, in the light of enhanced clinical experience and more accurate scientific knowledge, the times could be changing.

The purpose of this article is twofold:

1- Review the data on the possible mechanical and biological implications in implantology as it relates to excessive function and/or parafunction.

2- Discuss the factors that may influence and lower the negative impact of parafunction on the implant, the bone and the final restoration.

Key words

Bruxism. Prosthodontic treatment on implants

Introduction

Le bruxisme est un terme utilisé pour définir des activités fonctionnelles anormales et répétitives (parafonctions) qui sont classiquement considérées comme étant diurnes (bruxisme de l'éveil) et/ou nocturnes (bruxisme du sommeil) (Lobbezoo et al., 2010). Une approche multifactorielle de son étiologie met en cause une prédominance de facteurs comportementaux, psychosociaux et physiopathologiques aux dépens de l'occlusion dentaire (Lavigne et al., 2009). En prothèse implanto-portée, le bruxisme est considéré comme étant un facteur de risque majeur, voire une contre-indication, sinon absolue du moins relative. L'hypothèse évoquée est la suivante : si les dents sont soumises à une surcharge fonctionnelle à laquelle répond la mobilité physiologique, l'implant étant immobile, sera soumis aux mêmes contraintes mais avec des conséquences potentiellement plus importantes, tant pour l'implant lui-même que pour son environnement osseux.

Que la situation soit implantaire ou dentaire, il est évident que les forces occlusales excessives jouent un rôle déterminant, qu'elles influent sur les contraintes induites à l'interface os/implant et que celles-ci ont une signification biologique.

Si l'on se réfère aux travaux de Parfitt, pour une dent naturelle avec une force donnée, il existe un premier temps de réaction ligamentaire initiale suivi d'un déplacement de la dent (Parfitt, 1960). À la différence d'une dent naturelle, les contraintes parafonctionnelles vont être immédiatement transférées aux implants d'une manière proportionnelle et linéaire. Il faut donc dissocier, d'une part, la viscoélasticité et, d'autre part, le seuil de discrimination tactile. L'autre différence appréciable est le type de déplacement : celui d'une dent va dépendre de sa taille, du nombre de contacts, de la configuration géométrique de sa racine et du moment d'application de la dernière force si elle est répétitive comme chez les bruxeurs. De plus, un mouvement dentaire n'est pas linéaire en réponse à une force occlusale, mais tridimensionnel, bien que la force appliquée ne soit parfois qu'unidirectionnelle. Le déplacement dentaire est le plus souvent mesuré horizontalement et serait de l'ordre de 64 à 100 μm, alors que celui de l'implant est d'environ 12 μm.

En implantologie, l'absence de desmodonte réduit la capacité proprioceptive des piliers implantaires malgré la présence à distance de récepteurs périostés et gingivaux. À la différence d'une dent naturelle, les récepteurs ne sont pas situés immédiatement autour des implants mais à distance dans l'os. De plus, ils possèdent un seuil de tolérance élevé à la pression, mais une capacité discriminative tactile réduite. Il existe cependant une différence majeure : l'information proprioceptive dentaire reste très précise alors que la proprioception implantaire est plus protopathique, c'est-à-dire plutôt vague et diffuse. Par conséquent, lorsque des implants restaurent deux arcades antagonistes, l'information transmise au système nerveux central est de moindre qualité. De ce fait, sa capacité de réponse est altérée.

Le tableau 1 permet d'apprécier la différence existant entre un sujet dit « normal » et un bruxeur. On comprend que la surcharge pourrait jouer un rôle plus ou moins important sur une prothèse implanto-portée (Isidor, 2006) et dépendra de l'intensité des forces occlusales, de leur temps d'action, de leur rapport intensité/durée, de leur fréquence, de leur direction, de la survenue de leur application (sommeil ou éveil) et, enfin, de la qualité de l'adaptation de la prothèse sur les piliers prothétiques et de ces derniers dans le tissu osseux environnant. La conséquence peut en être mécanique (fracture des vis, de la prothèse et/ou de l'implant) ou biologique (perte osseuse).

Objectifs

Il faut, pour le moment, se contenter d'objectifs très généraux visant à mieux contrôler la surcharge fonctionnelle car il n'existe aucune étude scientifiquement fiable qui confirme ou infirme d'une manière irréfutable ce qui précède (Manfredi et al., 2014) et le seuil d'adaptation au-delà duquel une force peut devenir excessive pour un implant est inconnu. De ce fait, la pertinence de certaines des propositions cliniques qui vont suivre reste à démontrer scientifiquement.

Objectif no 1

Lors de la phase chirurgicale, déplacer le risque biologique (perte osseuse péri-implantaire) vers un risque mécanique (fracture des vis ou de la prothèse) plus facilement gérable cliniquement ou économiquement.

Quelles sont les solutions cliniques possibles pour mieux répondre à cet objectif ?

Utiliser des implants longs de diamètre standard ou des implants courts de plus gros diamètre ?

Si les études et opinions sont parfois contradictoires, on peut cependant dégager quelques éléments de réflexion (fig. 1) :

– augmenter le diamètre d'un implant diminue les contraintes au niveau du col, mais augmenter sa longueur n'a que peu d'effet (Himmlová et al., 2004) ;

– les implants courts ont un taux de survie équivalent à celui des implants longs, en particulier si l'on augmente leur diamètre (Omran MT et al., 2015) ;

– augmenter la longueur entraîne des contraintes de cisaillement dans l'implant et dans la vis de pilier ; un implant court absorbe mieux ces contraintes qu'un long (Martinez H et al., 2008).

Multiplier le nombre d'implants ?

Là encore, les opinions divergent mais il semble raisonnable, à la lecture de certaines études in vivo, d'augmenter le nombre d'implants pour répartir plus uniformément la surcharge occlusale (fig. 2) aux dépens de situations où le nombre d'implants est réduit (technique All-in-four®) (fig. 3). Par ailleurs, si l'espace intermaxillaire prothétique est augmenté, le bras de levier et le facteur de risque s'accroissent (fig. 4).

Aligner ou déporter en tripode les implants lors de la mise en place chirurgicale ?

La réflexion a évolué depuis les recommandations de Renouard (Renouard F et al., 2000) de déporter en tripode les implants les uns par rapport aux autres pour limiter l'effet des contraintes occlusales au col et à l'apex des implants (fig. 5). Aujourd'hui, Itoh et al. ont montré que cette option s'avère inutile et qu'aligner les implants ne cause aucun préjudice mécanique tout en facilitant la réalisation clinique (fig. 6).

Réduire l'inclinaison de l'axe implantaire ?

Là encore, à défaut d'études concluantes in vivo, il faut se contenter de pistes de réflexion proposées par des études par modélisations in vitro (Kumar GA et al., 2013). Globalement, plus l'orientation de l'implant est oblique, plus les contraintes internes augmentent (fig. 7).

Objectif no 2

Lors de l'évaluation préprothétique, faire le meilleur compromis entre le risque de fracture et/ou d'usure prothétique et le bénéfice esthétique et économique souhaité.

Quelles sont les solutions cliniques possibles pour mieux répondre à cet objectif ?

Réaliser une infrastructure par fonderie traditionnelle ou par CFAO ?

Chez les bruxeurs plus que chez tous les autres patients, la précision d'adaptation de la pièce prothétique est essentielle. Une inadaptation associée à des contraintes accentuées augmente le risque de défaillance mécanique. Jusqu'à ces dernières années, il était habituel d'utiliser une fonderie traditionnelle en métal noble ou semi-noble pour la réalisation des armatures (fig. 8 et 9). L'avantage évident est que, en cas de fracture de l'armature, ou en présence d'une adaptation insuffisamment passive il est possible de la souder. L'inconvénient réside dans la difficulté d'obtenir une excellente passivité (fig. 10). En prothèse transvissée traditionnelle ad modum Brånemark, la technique de conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) par fraisage robotique a apporté une qualité d'adaptation exceptionnelle par rapport aux techniques de coulée traditionnelles. Le chrome-cobalt (fig. 11), le titane (fig. 12 et 13) et la zircone (fig. 14) font partie des matériaux usinables. En cas de problème, à défaut d'être réparable, une nouvelle armature peut être refaite à partir du même fichier numérique sans avoir à prendre une nouvelle empreinte (fig. 15). Lorsque le choix se porte sur la réalisation d'une prothèse transvissée réalisée par CFAO (fig. 16) avec des dents prothétiques en résine, il peut s'ensuivre des épisodes de décohésion (fig. 17) car la barre usinée ne présente souvent aucune rétention mécanique. Les armatures doivent être conçues avec des rétentions mécaniques adéquates ou éventuellement ajoutées par soudure au laser en un second temps (fig. 18).

Choisir un matériau occlusal approprié ?

Tous les matériaux s'usent, quelle que soit leur nature. Classiquement et historiquement, il était recommandé d'utiliser des dents prothétiques en résine. L'objectif derrière ce choix était double :

– protéger les implants à tout prix. En effet, selon la formule physique suivante : M (masse mandibulaire) × V (vitesse de fermeture) = F (force appliquée) × T (temps d'application de la force), si l'on augmente le temps d'application de cette force (en utilisant un matériau occlusal qui absorbe les contraintes comme la résine), cette dernière sera réduite (fig. 19) ;

– compenser la transmission des forces qui est immédiate sur les implants par rapport aux dents naturelles ou à une prothèse adjointe totale (fig. 20).

L'utilisation de résine provoque une usure des faces occlusales qui, à terme, va entraîner une perte de calage, de guidage et de centrage des rapports dento-dentaires et possiblement une décohésion des dents artificielles de leur infrastructure métallique comme décrit précédemment. De plus, la fonction occlusale devenant moins efficace, le patient va développer plus de forces de mastication pour la même fonction.

La recommandation dans ces situations extrêmes pour la restauration des surfaces occlusales reste les alliages d'or (fig. 21). Leur ductilité (déformation élastique réversible suivie d'une déformation permanente plastique) leur permet de subir des déformations avant de se fracturer. En effet, la céramique peut se fracturer le long des lignes de plus grande force lors des excursions mandibulaires parafonctionnelles alors que l'alliage d'or ne fait que s'user. Malheureusement, la demande esthétique des patients est telle que ce choix raisonnable demeure exceptionnel et que le matériau de référence est la céramique (fig. 22 à 25).

Anticiper les possibilités de réparation : sceller ou transvisser ?

Aucune étude à long terme ne privilégie l'une ou l'autre option chez les patients parafonctionnels. Le transvissage permet d'anticiper les réparations (potentiellement plus nombreuses dans ces situations cliniques que dans les autres). Il présente cependant l'inconvénient majeur d'être à l'origine, chez les bruxeurs, de nombreuses fractures de céramique autour des puits d'accès à la vis à cause d'une propagation interne des contraintes plus importante (fig. 26). L'option du scellement est idéale (anatomie occlusale respectée, diminution des contraintes internes, passivité d'adaptation certaine), mais toute réparation reste délicate et souvent coûteuse en temps, en argent ou en sérénité : un scellement provisoire est trop souvent... définitif (fig. 27) ! Les travaux de recherche (Tonella BP et al., 2011) concordent sur un point : ils montrent, au moyen d'études par éléments finis, que l'option scellement distribue plus uniformément les forces axiales que l'option vissage. Quant aux forces obliques, voire horizontales, comme chez les bruxeurs, sceller ou visser augmente les contraintes exercées dans la même proportion.

Une possibilité intéressante chez les patients bruxeurs est de réaliser des restaurations céramo-métalliques sectorielles scellées sur une armature transvissée fabriquée par CFAO. L'avantage étant que en cas de fracture d'un élément cosmétique, la réintervention est réalisée a minima tant du point de vue du laboratoire que clinique. Pour faciliter un futur démontage, il est aussi possible de placer des clavettes dévissables (Rotec®) à la demande qui rendent déposables les secteurs postérieurs céramo-métalliques (fig. 28 à 34).

Anticiper le choix du pilier prothétique

Le pilier prothétique est un composant très important de l'assemblage prothétique, il doit disposer d'une connexion de grande précision dans l'implant et permettre l'adaptation de la prothèse dans de bonnes conditions, qu'elle soit scellée ou vissée (Tonella BP et al., 2011 ; Fauroux MA et al., 2014 ; Schmitt CM et al., 2014).

Le meilleur ajustage de la connexion implantaire ne peut venir que du fabricant de l'implant qui usine la pièce avec les tolérances appropriées. L'assemblage mécanique ainsi réalisé offre alors une sécurité optimale. Les connexions coniques semblent apporter la meilleure étanchéité, les connexions internes offrant une meilleure répartition des contraintes occlusales.

La partie prothétique du pilier peut être utilisée sans retouches (cas du transvissage) ou être ajustée pour faciliter l'insertion de la suprastructure (ce qui est plus souvent le cas en prothèse plurale). Les vissages devront toujours respecter les indications de couple de serrage données par le fabricant.

Quelle que soit la solution retenue (prothèse vissée ou scellée), la qualité des ajustements du côté implantaire ou prothétique doit être excellente pour résister aux contraintes fonctionnelles ou parajonctionnelles dans les meilleures conditions. Tout défaut d'adaptation se traduira par des dévissages, des descellements ou des fractures des composants.

Objectif no 3

Lors de la réalisation au laboratoire, parer par anticipation au risque mécanique (fracture de la prothèse).

Quelles sont les solutions techniques possibles pour mieux répondre à cet objectif ?

Solidariser les éléments prothétiques pour mieux répartir la surcharge ?

Les dernières études in vitro par modélisation par éléments finis (Clelland NL et al., 2010) montrent l'inutilité de cette option même si la répartition des forces exercées est alors plus uniforme. Toutefois, il faut bien reconnaître que, techniquement et cliniquement, il est plus facile de réaliser et de manipuler des éléments prothétiques solidarisés plutôt qu'unitaires (essayage des infrastructures métalliques, réglage des points de contact, scellement ou vissage).

Réduire les composantes obliques des forces occlusales ?

Gérer l'occlusion, c'est orienter la direction des forces plus que moduler leur intensité. Il faut donc éviter de substituer à une anatomie préexistante forcément abrasée une anatomie prothétique très cuspidée pouvant créer des contacts nocifs lors des mouvements de frottement au cours du bruxisme.

On sait que l'intensité des contraintes occlusales est doublée lorsque l'angle d'application des forces varie de 0o (force axiale) à 30o. On prend mieux la mesure de l'importance potentielle des contraintes parafonctionnelles sachant que l'orientation des forces occlusales se situe dans une fourchette comprise entre 45 et 70o. Les contraintes internes dans un implant peuvent augmenter jusqu'à 15 fois lorsque les forces appliquées deviennent de plus en plus horizontales, ce qui est le cas des bruxeurs (fig. 35).

Diminuer la largeur des surfaces occlusales ?

Théoriquement deux principes s'opposent :

– si on assimile l'intensité d'application des forces occlusales à une pression, celle-ci est égale à force/surface ;

– si on augmente la surface d'application, la pression diminue, d'où l'intérêt d'augmenter la surface occlusale. Sa réduction permet une réorientation plus axiale des forces occlusales dans l'axe de l'implant, mais au détriment d'une augmentation des contraintes exercées et d'une réduction de la fonction masticatoire (fig. 36).

Certains auteurs (Orthlieb JD, 2015) pensent au contraire que, si l'affrontement occlusal réalise un contact simultané sur deux versants occlusaux opposés (un lingual et un vestibulaire), la force résultante sera verticale, indépendante de la largeur de la table occlusale (fig. 37).

Aucune étude à ce jour ne donne raison à l'une ou l'autre option.

La réalité clinique donne une autre perspective à ce qui précède. Plusieurs paramètres sont à considérer : la position et l'axe de l'implant, le couloir prothétique, l'hygiène bucco-dentaire et, enfin, l'incidence esthétique. La position et l'axe de l'implant sont déterminés par le volume osseux disponible. Lorsqu'une compensation prothétique s'impose (fig. 38 à 40), l'anatomie occlusale devra être réglée pour éviter des forces obliques. Quant au couloir prothétique, la réduction d'une surface occlusale implique un diamètre vestibulo-lingual plus étroit. La conséquence en sera une rétention alimentaire du côté lingual si le déport est vestibulaire (fig. 41). Dans le cas inverse, viendra s'ajouter aux tassements alimentaires un éventuel préjudice esthétique (fig. 42). Dans une situation clinique d'un ancien édentement bimaxillaire, le décalage des bases osseuses s'inverse en raison des phénomènes de résorption. Au problème du bras de levier évoqué précédemment s'ajoute parfois la nécessité de l'organisation d'une occlusion inversée (fig. 43).

Extensions distales et bruxisme

Les extensions distales ont été communément employées avec l'avènement des prothèses transvissées ad modum Brånemark à la mandibule. Il s'agissait de remplacer des dents absentes dans les secteurs postérieurs alors qu'il existait un volume osseux insuffisant pour placer des implants. La question qui se pose est celle de la détermination d'une longueur optimale de l'extension dans des conditions de contraintes occlusales extrêmes. La règle de base est celle dite de l'envergure antéro-postérieure (McAlarney ME et al., 1996 ; McAlarney ME et al., 2000) : la longueur idéale est la mesure de la distance entre l'implant le plus antérieur et la face distale de l'implant le plus postérieur multipliée par 1,5 à 2,5 (fig. 44). Dans la situation d'un patient bruxeur, il convient de se limiter à 1,5.

Un autre paramètre à considérer et qui modulera la précédente règle est celui de la forme de l'arcade à restaurer : plus celle-ci est large, plus les implants antérieurs seront alignés et, par conséquent, plus l'extension devra être courte. Une erreur d'appréciation peut avoir des conséquences fâcheuses (fig. 45). À l'inverse, une arcade étroite (fig. 46) favorisera une extension plus importante. Enfin, la nature de l'arcade antagoniste (fixe ou amovible) sera aussi à considérer. L'association d'une arcade étroite opposée à une prothèse amovible totale reste l'idéal.

Objectif no 4

Lors de la mise en place clinique, compenser pour mieux maintenir la fonction occlusale ?

Quelles sont les solutions cliniques possibles pour mieux répondre à cet objectif ?

Adapter la technique d'ajustement occlusal ?

Lorsque des dents naturelles ou prothétiques coexistent avec des restaurations implantaires, il faut compenser les mobilités physiologiques différentes et tenir compte, à terme, de l'intrusion des dents naturelles. Il est recommandé de réaliser les ajustements occlusaux d'abord avec les arcades antagonistes en léger contact (contacts égaux et simultanés sur les dents naturelles) puis en serrement forcé (obtention des contacts sur les prothèses implantaires) (fig. 47 à 49). Dans des situations cliniques totalement implanto-portées, l'ajustement occlusal se fait de la même manière qu'en denture naturelle.

Mettre les implants en sous-occlusion ?

Cette option n'est pas à retenir. Mettre en sous-occlusion les contacts afin de « soulager » une prothèse implantaire des forces exercées, c'est cautionner l'idée qu'il faille protéger à tout prix les implants au détriment d'un autre élément de l'appareil manducateur (articulations temporo-mandibulaires ou dents). La solution implantaire est une garantie de conserver une dimension verticale d'occlusion stable par rapport à une prothèse amovible, ce qui a pour effet de limiter la compression au niveau des articulations temporo-mandibulaires. Dans le cas présenté ici, l'absence de contacts dans le secteur 20 implanto-porté est en contradiction avec l'indication thérapeutique de soulager la maladie dégénérative des articulations temporo-mandibulaires bien observable sur la radiographie panoramique (fig. 50 à 52). Les modélisations in vitro et les études in vivo montrent que les implants ont une grande capacité de résistance mécanique. Les fractures sont rares. Par ailleurs, si les dents antagonistes aux implants sont naturelles, la sous-occlusion sera vite compensée par leur égression.

Adapter aux implants un concept occlusal personnalisé ?

Aucune étude scientifique ne justifie l'utilisation d'un concept occlusal plutôt qu'un autre. Il est de règle d'appliquer les mêmes concepts que pour la restauration sur dents naturelles. L'organisation d'un guidage antérieur préserve les dents postérieures d'un excès de forces transversales en favorisant une orientation plus axiale des contacts occlusaux. En fonction de la nature de l'arcade antagoniste (dentée, implanto-portée ou prothèse amovible), il convient de ménager la situation la moins stable. Par exemple, lorsqu'une prothèse amovible totale est opposée à une prothèse implantaire (fig. 53), l'occlusion doit être réglée de manière bilatéralement équilibrée.

Protéger la restauration clinique par une orthèse occlusale ?

C'est indispensable à l'évidence.

Conclusion

L'absence d'études prospectives, rétrospectives ou épidémiologiques concernant un possible rapport de cause à effet entre bruxisme, parafonctions et échecs implantaires ne permet pas de conclure à une contre-indication certaine et absolue. Il faut donc anticiper au maximum les problèmes potentiels à défaut de pouvoir en circonscrire totalement les conséquences. En pratique, un suivi régulier du patient s'impose.

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